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l'abbé Bossuet, qu'il se persuada * que de Cambrai Fénélon avoit corrompu les secrétaires de son oncle à Paris, pour en obtenir communication de ses écrits à mesure qu'il les composoit : soupçon bien digne du caractère que l'abbé Bossuet montre dans toute sa correspondance.

Cette époque de la controverse du quiétisme fut sans doute la plus affligeante. Nous nous bornerons à rapporter les expressions si mesurées du chancelier d'Aguesseau, juge impartial des démêlés de deux grands hommes qu'il aimoit et qu'il estimoit.

«* Le scandale fut moins grand, tant que ces >> deux illustres adversaires ne combattirent

* Mts. de

Ledieu.

* Mémoires

du chancelier

que d'Agues» sur le fond de la doctrine, et l'on pouvoit le seau, tome

>> regarder comme un mal nécessaire. Mais la » scène devint plus triste pour les gens de bien, » lorsqu'ils s'attaquèrent mutuellement sur les » faits, et qu'ils publièrent des relations con>> traires, dans lesquelles l'un et l'autre ne surent » peut-être pas assez se garantir d'un excès de >> véhémence et même d'amertume. »>

Il étoit difficile que l'intérêt de cette controverse pût se soutenir au degré de chaleur où l'avoit porté la relation de Bossuet et les réponses de Fénélon. Aussi l'attention publique commença à se refroidir, et devint presqu'indifférente à

XII.

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XVIII. Mémoire de

Louis XIV

au pape.

quelques écrits que publièrent encore les deux adversaires.

Tous les regards étoient tournés vers Rome, qui faisoit attendre depuis si long-temps un jugement que toutes les parties provoquoient avec

la même impatience, et que les instances de Louis XIV tendoient en vain à accélérer.

du

On trouve dans la relation du quiétisme de l'abbé Phelipeaux le récit fidèle des dispositions de la Cour de Rome, des discussions agitées dans les congrégations des cardinaux, des incertitudes pape, de sa répugnance à condamner Fénélon, des derniers efforts qu'il tenta pour échapper à la nécessité de prononcer un jugement en se bornant à de simples canons sur les caractères de la vraie et de la fausse spiritualité; de tous les ménagemens enfin par lesquels il voulut adoucir, par un sentiment d'estime et de tendresse pour Fénélon, la rigueur d'une sentence nécessaire; nous ne pourrions que répéter des faits déjà connus, et sur lesquels tout le monde s'accorde également.

C'est à l'occasion de ce projet de canons, que Louis XIV adressa au pape Innocent XII le mémoire fulminant que l'on trouve au tome xv des *Pag. 375. OEuvres de Bossuet*.

Ce mémoire est peut-être le monument le plus

affligeant de cette controverse. Nous l'avons rapporté dans l'Histoire de Fénélon, et nous sommes heureusement dispensés d'en rappeler toutes les dispositions dans celle de Bossuet.

On regrettera toujours que Bossuet se soit cru dans la nécessité de faire intervenir, sous une forme si impérieuse, le nom et l'autorité de Louis XIV dans le jugement doctrinal d'un livre déféré au tribunal de l'Eglise romaine présidé par le pape lui-même, et d'y avoir mêlé des expressions menaçantes qui auroient pu intimider des juges accessibles aux considérations humaines.

Il est difficile de ne pas trouver au moins de l'exagération dans l'accusation portée par Louis XIV contre le livre de l'archevêque de Cambrai, qu'il déclare mettre tout son royaume en combustion. On ne voit rien dans les mémoires du temps qui annonce que la doctrine des quiétistes se fût propagée en France avec une rapidité si alarmante. A peine leurs excès donnèrent - ils lieu à quelques plaintes dans un ou deux diocèses. Toute la chaleur de cette controverse étoit concentrée à Paris et à la Cour. Elle n'inspiroit dans les provinces d'autre intérêt, que celui qui étoit attaché au nom et aux talens des deux célèbres adversaires.

On étoit à la vérité fondé à présumer que le

projet des canons proposés à INNOCENT XII étoit au moins inutile dans les circonstances, et qu'ils donneroient lieu à l'archevêque de Cambrai de prétendre que sa doctrine avoit été jugée exempte de censure. C'est ce que l'abbé Phelipeaux a démontré avec évidence dans un court mémoire, qui est un chef-d'œuvre de dialectique.

Il n'est pas moins certain qu'INNOCENT XII n'avoit adopté ce projet de canons, que dans la vue d'épargner à un archevêque dont il respectoit les vertus et dont il admiroit la religieuse docilité, l'humiliation d'une censure éclatante. Mais ce pontife tenoit si peu à ce projet de canons, qu'il l'avoit abandonné sans résistance dès le premier moment où on lui en avoit fait sentir les inconvéniens, et avant même d'avoir reçu le mémoire de Louis XIV.

Mais en supposant qu'INNOCENT XII se fût mépris dans ses intentions paternelles pour Fénélon, cette respectable illusion pouvoit-elle mériter qu'un roi catholique et le plus catholique de tous les rois, que Louis XIV adressât à un pontife dont la France avoit toujours eu à se louer, ces expressions si déplacées : « Que si Sa » Sainteté prolongeoit cette affaire par des mé»nagemens qu'il ne comprenoit pas, il sauroit ce

qu'il auroit à faire, et qu'il espéroit que le pape

» ne voudroit pas le réduire à de si fácheuses » extrémités ».

Il est vrai que les principes si connus de Bossuet, son zèle si éprouvé pour l'Eglise, que sa vie toute entière dépose contre les interprétations odieuses que l'on prétendroit donner à des expressions échappées dans un moment d'inquiétude ou d'irritation.

Mais il en résulte au moins une grande leçon qui ne doit pas être perdue pour notre instruction.

Si deux hommes tels que Bossuet et Fénélon, animés de l'amour le plus sincère pour la religion, ornés de tous les dons du génie et de toutes les vertus qui honorent l'humanité, profondément versés, quoiqu'à un degré inégal, dans les matières qui faisoient le sujet de leurs controverses; si deux hommes qui n'avoient plus rien à demander à la fortune et à la gloire, et que le consentement de toute l'Europe plaçoit à la tête de la première église de la chrétienté, n'ont pas su s'arrêter aux justes bornes que leur prescrivoit la dignité de leur caractère et de leur ministère, comment ne pas s'étonner de l'ardeur indiscrète avec laquelle on s'engage trop souvent dans des discussions, où il est si rare de ne porter que le désir sincère et modeste de s'éclairer?

Mais cette leçon, comme tant d'autres, restera

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