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roître car, quel eût été le roi qui n'auroit pas abusé de son autorité? Les Français, sans cesse réunis en assemblées primaires, eussent été sans cesse occupés de choisir leurs rois, et les assemblées nationales érigées en tribunaux, perpétuellement obligées de les juger.

Le corps constituant qui prévoyoit ces malheurs politiques, crut pouvoir les éviter par le moyen de l'inviolabilité; il crut par-là écarter les dangers des partis que fait naître la confusion, et que suit de près le despotisme. Ces moyens n'étoient pas merveilleux, sans doute; mais, si placé dans une position embarrassante, son erreur fut de bonne foi, il seroit injuste, peut-être, de ne vouloir remarquer que ses fautes et d'oublier aussi vite les services importaus qu'il rendit à la 'patrie.

Mais eufin tel fut le pacie social qu'il venoit de former. Le peuple qui s'en contentoit alors, consacra l'inviolabilité du monarque avec la suppression des droits féodaux et des prérogatives de la noblesse. Il sut que le roi étoit en quelque sorte au-dessus de toutes les lois : et cependant il accepta la constitution; et ce n'est aujourd'hui que par elle et d'après elle, qu'il peut, qu'il doit juger ceux qu'il avoit établis pour le gouverner.

Qu'il me soit permis de faire une question bien simple à ceux qui prétendent que l'inviolabilité royale ne peut se rapporter qu'aux faits purement administratifs, et qu'il est dans l'esprit de la cons titution, que le monarque puisse être responsable lorsque le ministre ne l'est pas.

Ceux-là, regardent-ils l'exercice du véto accordé au roi comme un acte d'administration ou comme un fait personnel au monarque? sans doute, ils ne peuvent le considérer que sous ce dernier rapport: cependant, en lisant la constitution, ils ont dù se convaincre que le roi n'étoit pas obligé d'expliquer les motifs du refus qu'il opposoit à la sanction des lois ; ils doivent se rappeler qu'il lui étoit même défendu de donner ces motifs. Le roi n'étoit donc pas responsable, car il ne peut y avoir de responsabilité là où il n'y a pas d'obligation de rendre des comptes.

Dira-t-on néanmoins que le roi en apposant son véto à une. loi, ne pouvoit pas compromettre la sûreté de l'état ? dira-t-on qu'il ne pouvoit pas conspirer contre la liberté publique ? dira-t-on, qu'en paralysant une loi, il ne pouvoit pas faire un acte beaucoup plus pernicieux à l'intérêt national, qu'en payant ses gardes ou en alimentant ses frères....? et pourtant le roi étoit inviolable sous ce rapport; il n'encouroit pas même dans ces cas la peine de la déchéance. Mais le ministre n'étoit point responsable de la volonté du roi exerçant le droit de véto; il n'est donc pas vrai de dire que l'inviolabilité du monarque ne s'étendoit pas jusqu'aux délits dont il étoit impossible de charger ses agens,

Il est des cas prévus par la constitution; où le roi devenoit responsable de certains actes. L'intérêt national, la, sûreté publique éminemment ménacée commandoient cette mesure dans le cas où l'exercice du pouvoir qui lui avoit été confié étoit près de devenir · dans ses mains un moyen prompt de renverser la liberté; ainsi que,

le roi se mit à la tête d'une armée et qu'il en dirigeât les forces contré la nation: il étoit alors sujet à une peine. Mais dans ce cas-ci le roi ne se montre-t-il pas avec tous les attributs d'un conspirateur qui veut détruire la liberté de son pays? Cependant, quelle peine est portée contre lui par la constitution? la déchéance; mais c'est la seule peine raisonnable, dit-on, qu'on puisse lui infliger car, le roi à la tête d'une armée, il est douteux qu'une peine plus forte puisse l'atteindre. Ce raisonnement ne vaut absofument rien; car, en prononçant qu'après l'abdication le roi rentreroit dans la classe des citoyens et pourroit être accusé et jugé comme eux pour les faits postérieurs à son abdication, le contrat social a bien prévu qu'il seroit possible qu'il restât ou qu'il rentrât en France. Il pouvoit se faire, d'ailleurs, que dans le combat le roi fût pris les armes à la main ; et cependant, dans ce cas, très-facile à prévoir, la loi ne le punit que par la dé

chéance.

Mais, je le demande, peut-on concevoir un crime plus grand que celui qu'auroit conçu un tel conspirateur? Que l'imagination s'exerce autant qu'elle voudra, et qu'elle fasse toutes les suppositions possibles; comparez ce crime atroce avec celui d'un roi assassinaut même un citoyen : et si vous aimez la liberté, si vous êtes républicains, certes vous ne croirez pas que le traître qui vient porter le fer et la flamme dans sa patrie pour lui donner des chaîhes, ne se soit rendu coupable du plus grand des forfaits. Cependant, vous le saviez, même dans ce cas la déchéance étoit la peine portée contre le monarque qui rentroit alors dans la classe des citoyens.

Cependant, législateurs, vous ne trouverez pas ici la responsabilité des ministres; car il seroit bien injuste de rendre le ministère responsable d'un fait qui lui est absolument étranger, et qui doit même avoir été préparé et exécuté à son insu. Ce cas prévu par la constitution, et qui est bien au-dessus de tous les attentats possible, m'autorise donc à penser que la constitution n'a voulu faire, et n'a fait réellement aucune autre exception que celle qu'elle a désignée, lorsqu'elle a prononéé l'inviolabilité du monarque.

Ces raisonnemens, messieurs, n'ont rien de brillant; mais lorsqu'on discute, il ne suffit pas d'étonner l'esprit par de grands mots, il faut convaincre la raison; il faut être conséquent voilà certes alors tout le mérite de l'orateur.

Pour ajouter à ce que je viens de dire, il doit m'être permis de citer un passage du rapport du comité de législation. Vous l'écouterez avec plaisir ; mais comme vous aimez la vérité, et que vous ne recherchez que la vérité, vous approuverez aussi que j'en tire les conséquences qui viennent naturellement se ranger en faveur de mon opinion.

« La puissance réelle du corps législatif à l'égard du roi, dit le » rapporteur de ce comité, étoit bornée, par la constitution, à » juger les cas de la déchéance qu'elle avoit prévus. Dans ces cas » mêmes, il ne pouvoit prononcer que la peine de la déchéance:

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» hors ces cas, la personne du roi étoit indépendante du corps législatif; hors ces cas, le corps législatif ne pouvoit s'ingérer d'au>> cune fonction judiciaire. A cet égard, il n'avoit dans ses mains » que les décrets d'accusation; et quand il auroit pu en lancer un » contre Louis XVI, à quel tribunal l'auroit-il renvoyé ? Placé » rallèlement par la constitution à côté du corps législatif, le roi pa» étoit au-dessus de toutes les autorités constituées : il ne pouvoit » donc être accusé et jugé que par la nation elle-même ».

Je ne conçois pas, citoyens, comment, après un aveu aussi formel, que, hors la déchéance, le roi ne peut subir aucun autre jugement, soit du corps législatif, soit des autres autorités constituées, le rapporteur du comité n'est pas demeuré convaincu que l'inviolabilité s'étendoit indistinctement sur tous les actes du mo→ narque, à l'exception de ceux que la constitution en a expressé ment séparés; car comment concevoir dans l'ordre politique, des actes repréhensibles qui ne trouveroient ni accusateurs pour les dénoncer, ni tribunaux, pour les juger? Qui pourroit penser de bonne-foi que l'intention du corps constituant n'eût pas été, ainsz qu'il l'a exprimé dans le texte même du contrat social, d'accorder au roi une inviolabilité absolue? Elle n'auroit pas désigné une autorité quelconque pour prononcer sur tous les cas où il auroit pu lui être dénoncé pour les faits qui lui étoient personnels; mais le peuple, dit-on, le jugera : le peuple, oui, d'après les lois qu'il a consenties; et certes, la position la plus avantageuse à Louis XVI seroit d'avoir pour adversaire cette nation franche et loyale, juge et partie dans sa propre cause: le peuple le jugera ; il falloit donc une révolution nouvelle pour légitimer une accusation contre le roi constitutionnel. Veuillez concevoir tout ce que renfermoit d'impolitique et d'immoral la perspective de voir exercer un pareil droit au mépris des lois jurées; mais convenez en mêmetemps, que la constitution l'avoit revêtu d'une inviolabilité indéfinie.

Ainsi tombe d'elle-même cette objection qui a été faite, et d'après laquelle on prétend que Louis XVI doit être jugé pour tous les cas qui n'ont pas été prévus et exceptés par la constitution; la constitution n'a spécifié aucun cas particulier où le roi ne pouvoit pas être jugé; elle l'a déclaré inviolable, et dès-lors elle l'a mis hors d'accusation et de jugement, et en faisant quelques exceptions à ce principe général ; c'est-à-dire, en indiquant certains cas où le roi pourroit être jugé, elle a prononcé bien formellement qu'il ne pourroit l'être dans tous ceux qui n'auroient pas été désignés: il ne peut pas y avoir deux manières de rai

souner.

Je ne saurois me persuader, citoyens, qu'il puisse vous rester encore quelque doute sur le véritable sens et l'étendue qu'on doit donner à l'inviolabilité accordée par la constitution au chef suprême du pouvoir exécutif ; je ne saurois me persuader que la distinction que nous propose de faire entre les actes d'administration et les actes personnels au roi, pour le gratifier de cette inviolabilité, Procès de Louis XVI. Tome IIk Supplément.

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quant aux premiers, et l'en dépouiller à l'égard de tous les au tres, puisse être accueillie.

Mais on nous dit : la nation n'étoit pas liée par l'inviolabilité; elle ne pouvoit même pas l'être.

Faire un tel raisonnement sur les conséquences, c'est convenir au moins de l'existence du principe.

Mais quoi, citoyens! les engagemens que contracteroit le peuple français seroient-ils donc illusoires et ses promesses vaines! Jo ne m'attendois pas à entendre prononcer de pareilles maximes dans le sein de cette assemblée. La nation ne peut pas s'obliger par les lois qu'elle a consenties! Quelle doctrine pour des républicains, si vous ne la renfermiez pas dans ses justes limites! Si l'on a voulu dire par-là que la nation ne peut pas s'obliger à maintenir telle ou telle forme de gouvernement; qu'elle ne pouvoit pas être forcée de conserver à un seul individu l'inviolabilité qu'elle lui avoit accordée pour l'intérêt national; qu'elle n'a pu s'engager à maintenir la royauté, quoiqu'elle ent voulu un instant être gouvernée par des rois certes je serois bien d'accord avec le rapporteur; car il seroit absurde de soutenir que le peuple n'a pas, dans tous les temps, le plein exercice de sa souve

raineté.

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Mais prétendre qu'elle peut porter atteinte, quand il lui plaît, au droit sacré que l'homme tient de la nature; prétendre qu'elle a le droit de faire des lois après coup pour en reporter les effets sur sa tête, quelle est donc cette nouvelle morale ? La morale qui régit les nations seroit-elle moins sublime et moins pure que celle qui gouverne les individus.....?« Nel ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit ». Voilà ce que je trouve dans la déclaration des droits de l'homme; et si le souverain a prononcé que Louis XVI seroit inviolable n'a-t-il pas déclaré en même-temps qu'il n'existoit pour lui aucune loi qui pût le soumettre à une peine..... « Après l'abdication » expresse ou légale, le roi sera dans la classe des citoyens, et être accusé et jugé comme eux pour les actes postérieurs pourra » à son abdication ». Mais si le roi ne pouvoit être accusé et jugé que pour les faits postérieurs à son abdication, n'est-il pas démontré qu'avant qu'il eût abdiqué, il n'existoit aucune loi qui pût le juger, ni comme fonctionnaire public, puisque, considéré comme tel, il avoit, suivant ceux mêmes qui admettent une distinction touchant l'inviolabilité, des agens responsables, ni comme citoyen, puisque, d'après le texte précis de la loi, il ne peut être jugé forsqu'une fois il est rentré dans cette classe, que pour les actes postérieurs à l'abdication.

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C'est donc avec fondement que je peux invoquer les principes de la raison éternelle, puisque la justice et la raison vous disent également qu'il n'est de lois obligatoires que les lois préexistantes aux faits auxquels on veut les appliquer; et n'avez-vous pas il y a peu de jours, proclamé ce principe en faveur de deux hommes coupables? ce qui fut vrai alors, l'est aujourd'hui, le sera éter nellement.

Il est de la dignité des peuples, il est de leur devoir et de la justice, de respecter envers les individus, les droits que ceux-ci tiennent de la nature. Les rois ne sont rien devant la souveraineté nationale; mais l'homme est tout lorsqu'il défend ses droits par la représentation du titre qui fut le produit de la volonté générale. La force peut mépriser de pareilles conventions, mais la force ne fait pas le droit d'un peuple qui met sa gloire à la faire fléchir devant les lois de la justice. Le devoir le plus sacré consiste à ne pas exiger au-delà de l'engagement dont on s'est contenté ; la raison et la nature commandent cette réserve; tels sont les droits de tous les temps, les droits des nations et ceux des particuliers, et en réclamant pour lui ce droit éternel, le peuple français ne commencera pas, sans doute, par le violer dans autrui.

Le peuple ne peut pas aliéner sa souveraineté : c'est un principe vrai, mais il peut en modifier l'exercice à son gré; il peut la céder momentanément et renoncer au droit de s'en faire rendre compte: autrement ce seroit convenir que le souverain auroit moins de pouvoir que les individus. Lorsqu'il stipule pour ses intérêts, il peut faire des sacrifices dans l'espoir qu'ils tourneront à son avantage; et, semblable à l'être-suprême, jeter à l'avance un voile indulgent sur toutes les fautes de celui dont les obligations dépassent de beaucoup la mesure des forces que la nature accorde à ceux-là mêmes qu'elle combla le plus de ses faveurs.

....

Telle est la position de Louis XVI envers la nation. Chargé par elle des soins du gouvernement, il peut nous dire qu'il n'auroit pas consenti à en prendre les rênes, sans la condition expresse qu'aucune responsabilité ne peseroit sur sa tête. Le peuple luimême consentit à lui accorder ce privilége; et s'il fut abusif, il ne doit s'en prendre qu'à lui-même. Il seroit indigne d'une grande nation de recourir, au préjudice d'un individu, au fallacieux moyen de lettres en restitution contre une pareille garantie.. Ce n'étoit donc que pour me surprendre, pourroit-il vous dire, que vous m'aviez mis au-dessus de la loi ? J'étois homme, j'étois roi, et vous m'avez environné de puissances, de trésors, de tout ce qui peut séduire et égarer. Né dans le faste et les séductions de la première monarchie du monde; élevé dans l'habitude du pouvoir absolu, je devois nécessairement abuser des moyens qui me furent confiés pour un nouvel ordre de choses qui m'étoit inconnu. Vous me promites que je ne serois pas responsable de ! l'usage que j'en pourrois faire ; autrement le jour même de mon élévation eût été celui de ma chûte. J'acceptai vos dons sous la foi de vos promesses. Eh! si j'eusse pu m'oublier un instant jusqu'à m'engager inconsidérément à répondre au peuple de chacune de mes fautes, environné de tant de puissances, environné de tant de dangers, je n'aurois été qu'un insensé; mais alors placé entre la justice du peuple et sa clémence, il seroit digne de lui de releyer de ses obligations téméraires un homme qui auroit pu donner une preuve aussi complète d'une extrême folie.

Tel est le langage que Louis XVI auroit le droit de tenir à la

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