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rois, peut bien se réveiller encore. Bientôt de la délibération sur le roi on passera à délibérer sur la royauté, et de question en question, adroitement suggérées, on menera l'empire à sa dissolution. D'un autre côté ces hommes ambitieux et remuant auxquels la conscience de leur profonde nullité dans un tat de choses bien ordonné, fait sentir qu'ils ont besoin de l'absence de tout gouvernement pour resfer sur la scène avec quelque avantage, s'y procurer des places et de l'argent par les voies les plus criminelles, ne manqueront pas de jeter eux-mêmes les différentes sections de l'empire, les unes par rapport aux autres, dans de grandes contradictions, d'y semer entre les citoyens d'une même commune, ou entre une commune et autre commune voisine, des sentimens différens. Jugez, dans un moment où la forme de votre gouvernement n'est pas encore déterminé, où chacun dirige ses efforts non pas vers le bien commun, mais pour faire tourner la chance en fa faveur de soi ou de son parti, ou l'intrigue et les factions les plus funestes travaillent avec une incroyable activité, où la calomnie répand son poison sur les hommes les plus probes, et se montre jusque dans la plus respectable des assemblées politiques avec autant d'atrocité que d'impudence; où en un mot toutes les passions exaspérées les unes par les autres ont une intensité effrayante, et menacent d'anéantir, l'empire de la raison, pour élever le leur sur ses ruines; jugez, dis-je, quelle source féconde de haine et de discorde vous ouvrez au sein de la France en admettant l'appel au peuple. Bientôt les dénominations les plus injurieuses de parti seront mutuellement prodiguées entre les citoyens et les différentes sections de la république, et l'état décomposé dans les angoises d'une longue et sanglante anarchie ne renaîtra que pour passer dans les mains d'un tyran, qui paroîtra se faire prier encore pour se charger du soin. du peuple excédé par-tout les maux qu'enfantent les dissensions civiles. Quant à moi, citoyens, je ne sais si mon extrême amour, pour la liberté m'abuse et me fait voir la réalité où il n'y a que des fantômes; mais je l'avoue, en méditant sur les révolutions qui out changé la face des empires, en réfléchissant attentivement sur ce qui s'est passé et sur ce qui se passe aujourd'hui dans celui-ci ; quand je vois dans Paris un petit nombre d'hommes, lorsque toute espèce d'autorité est détruite, hors l'autorité nationale, vouloir néanmoins détruire encore et toujours détruire, lorsqu'il ne s'agit plus que de réédifier; quand j'observe le mouvement effrayant d'une rotation aussi rapide et toujours prolongée, que l'on imprime à cette grande ville, qui mériteroit si bien qu'enfin on la laissât jouir en paix de la liberté à laquelle elle a fait tant de généreux sacrifices; quand enfin je songe que les révolutions ne marchent pas en ligne droite, mais parcourent un cercle, que par conséquent chaque pas que l'on fait en avant ramène au despotisme, lorsqu'une fois on est parvenu au point qui lui étoit diamétralement opposé, je ne puis m'oter de la peusée qu'on veut nous mener là!.... que des hommes qui se cachent habilement sous le manteau de la popularité, ne visent qu'à établir une oligarchie sanguinaire sur les débris du trône de la loi, en se tenant toujours prêts, au surplus,

à offrir au peuple abattu par la misère ou furieux de l'excès de ses malheurs, un protecteur qui, sous quelque nom qu'on le présente, couvrira de sa toute-puissance leurs crimes et leurs brigandages; et si quelque chose pouvoit me rassurer, ce ne seroit certainement pas l'adage énoncé à cette tribune par Robespierre, que toujours la vertu fut en minorité sur la terre; la scélératesse fut aussi toujours, graces au ciel, en' minorité. Si d'ailleurs cette première maxime est vraie sous des rois elle ne l'est pas chez les peuples libres; mais en l'ad nettant sans restriction, ce seroit faire d'une vérité en morale une bien fausse et bien funeste application en politique. Les tyrans furent toujours en minorité sur la terre, et direz-vous qu'où se trouve la tyrannie, là est la ve vertu, là est la liberté ? Le farouche Cromwel tendit-il un autre langage, lorsqu'en s'anonçant aux Anglais comme le véritable ami du peuple, il opprima leur république naissante, sous prétexte d'être seul en état de la protéger? lorsqu'il mit, non pas la majorité seulement des représentans, mais la totalité des fier's Bretons sous le sceptre de fer d'une minorité machinale dont il étoit l'ame: Eh quel est le titre qu'il donna aux membres de cette minorité, celui de protecteurs au peuple et défenseurs des lois, lorsqu'ils n'etoient que les admirateurs stupides et les instrumens passifs du tyran? He bien, je le dirai, parce que je le pense, au période de révolution où nous sommes arrivés, rien ne prouve plus que cette maxime, qu'une tyrannie nouvelle menace instamment de s'élever sur les ruines de l'ancienne. Eh tous les despotes, quel que fut leur nom, ont-ils jamais manqué de légitimer leur insolent pouvoir, leur injuste oppression, en énonçant comme un dogme sacré que chacun est obligé de croire, sans examen, que le créateur a mis toute la sagesse et les lumières du monde dans leurs têtes et celles d'un petit nombre de leurs favoris, d'où ils concluent que cette minorité doit incontestablement en droit et en raison obliger la volonté générale à se soumettre à la sienne?

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Mais, d'un autre côté, je vous le répète, citoyens, le royalisme mal étouffé respire encore; il travaille avec activité dans l'ombre et le secret, et malgré qu'il marche à un résultat différent de celui que cherche le parti que je viens de vous indiquer, ils ont un premier but commun, celui de troubler la république française et d'empêcher un gouvernement sage et légitime de s'y établir. Et, comme on vous l'à très-bien observé, les puissances étrangères, qui réunissent tant de moyens pour nous attaquer au printemps, ne manqueront pas de joindre leurs efforts à ceux de tous les malveillans pour prolonger la décision de cette grande canse, et nous attaquer dans un moment où la nation, divisée par des opinions politiques, n'aura plus cette force qui naît de l'unité de volonté et d'action.

En

Ne fournissez donc pas à ces fatales intrigues ud nouvel aliment! remplissez les fonctions dont vous êtes chargés, et jugez Louis avec toute Pimpartialité qu'exige la justice; u ais en même-temps avec toute la sévérité qu'elle comportc; et lorsque je vous tiens un pareil langage, croyez, citoyens, que je ne suis guidé que par des vies d'équité et d'intérêt public. Certes, ce n'est pas moi que

l'on

( 169 ) (No. 22.) l'on verra jamais entraîné par la plus odieuse lâcheté, ou par le desir immodéré de la vengeance, ou enfin par des desseins cachés et pervers poursuivre avec un atroce acharnement un ennemi vaincu et desarmé, et lui refuser tout moyen de défense. Plusieurs fois juré, je n'ai jamais vu sans une profonde commisération, celui sur le sort duquel j'avois à prononcer, pas même Louis, quoiqu'il ait été roi. Les hommes qui ont quelque vertu peuvent-ils se montrer altérés du sang d'un ennemi terrassé ? non!... mais ils sont dévorés de la soif de la justice; et lorsque la voix du malheur a fait entendre son premier cri, ils savent l'étouffer avec courage pour n'écouter plus que la voix de la justice, qui ne connoit ni ies mouvemens déréglés de la vengeance, ni les frémissemens d'une pitié peu éclairée, ni les consideratious d'une étroite et timide politique.

Je conclus à ce que :

1. Vous déclariez Louis coupable des crimes de haute trahison dont il est accusé.

2o. A ce que vous prononciez la peine capitale portée dans le code pénal.

3o. A ce que le jugement soit exécuté dans les mêmes formes, et sans plus de délais que les délais ordinaires pour les autres jugemens.

Discours de MoïSE BAYLE, de Marseille, député à la convention nationale, contre l'appel au peuple et la proposition de faire confirmer le jugement qui sera décrété par la convention contre Louis Capet, dernier roi des Français; imprimé par

ordre de la convention nationale.

Citoyens, vos momens sont trop précieux pour la chose publique, pour que je fixe long-temps votre attention. Je ne vous parlerai point de ces projets, des cabinets de l'Europe, qui, dit-on, veufent s'opposer à la punition du coupable Louis. Si ces projets existent, la nation est debout pour les renverser, et avec eux les trônes des despotes. :

L'on vous a proposé de décréter que le souverain, réuni en assemblées de communes, confirmât ou modifiât votre jugement. Cette mesure, prenez-y garde, appelle la guerre civile, elle est le dernier espoir des ennemis de la révolution; ils profiteront de ce délai pour répandre, avec profusion, dans les départemens, les discours dont cette tribune a retenti en faveur du plus grand des coupables. Ils feront tous leurs efforts pour donner au caractère de réputé une prépondérance liberticide; ils diront: les voyez-vous ces députés, s'attendrir sur le sort d'un roi trompé par ses courtisans ; s'ils n'avoient pas cette conviction, oseroient-ils le défendre? et la multitude de bonne foi, partagée entre sou penchant à l'idolatrie des rois et sa justice, laissera peut-être prévaloir en faveur de son assassin Procès de Louis XVI. Tome III.

Y

une indulgence fatale aux généreux citoyens qui se sont dévoués pour la révolution.

Je vous dirai donc, avec fermeté, ce que je pense, ce que vous devez faire, et ce que le bien de la nation exige de vous. Loin de moi ces figures oratoires, qui peignent le mensonge des couleurs de la vérité ; loin de moi ces phrases brillantes, qui expriment avec forces les crimes du tyran, et laissent à d'autres le soin de conclure; loin de moi, en un mot, ces mesures qui tendent à déshoncrer lá convention en la faisant rétrograder.

Démontrer en ce moment, par de longs discours, que Capet est coupable, et que vous devez le punir, ce seroit reculer l'époque heureuse de notre dernière délivrance et de l'anéantissement de tout ce qu'on appelle partis. Faire ses efforts pour l'innocenter ou pour atténuer ses forfaits, ce seroit condamner la nation et trahir sa conscience.

Le défenseur de Louis pouvoit bien employer les ressources de son talent pour vous apitoyer, il pouvoit rejeter sur les agens du ci-devant roi les crimes dont il est accusé, il pouvoit vous dire que Louis est innocent; mais ce langage peut-il être celui d'un juge, et sur-tout de jugés tels que Vous ?

Cependant nous savons tous que notre révolution doit son origine aux excès, en tous genres, d'une cour corrompue, à la diłapidation de nos finances, à ces ministres pervers, qui combinoient de longue main notre ruine, et qui y étoient encouragés par cette femme que Marie-Thérèse nous donna pour assouvir sa haine contre la France.

Nous savons tous que Louis pouvoit lui seul remédier à ces désordres, soit en éloignant les scélérats qui dévoroient la France, soit en renvoyant dans sa famille cette femme profondément corrompue au physique et au moral. Il ne l'a point fait, nos malheurs sont donc son ouvrage ?

Depuis la révolution Louis n'a-t-il pas fait tout ce qu'il a pu pour entraver sa marche rapide? les vrais patriotes n'ont-ils pas été précipités dans les fers? ses agens ne les faisoit-il pas égorger en son nom? enfin, y a-t-il en France un seul endroit où le sang des patriotes n'ait pas coulé? les preuves matérielles de tant de crimes sont dans vos mains, et Louis trouve parmi nous des défenseurs! parmi ceux qui ont décrété qu'ils le jugeroient! Non; la postérité pé voudra pas le croire, et si leurs noms lui sont transmis, elle les aura éternellement en horreur.

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Citoyens, craindriez-vous plus les despotes des nations que peuple français; que ce peuple, qui veut que vous donniez à toutes les sociétés politiques l'exemple qu'elles doivent imiter? Ne vous laissez pas surprendre; le serpent se cache toujours sous des fleurs; rejetez donc avec indignation les mesures dilatoires que l'on vous propose, et reconnoissez à temps tout ce qu'elles ont de dangereux. Rappelez-vous aussi les intentions où étoient vos commettaus au moment que vous les avez quittés.'

Si toutes ces considérations ne peuvent vous déterminer à embrasser une mesure prompte. et salutaire, craignez au moins quale

scandale, dont cette enceinte a été si souvent le théâtre, n'excite l'indignation et ne provoque une insurrection; c'est alors que le crime des insurgés seroit votre ouvrage, et que les remords et la houte seroient les précurseurs du jugement que la nation entière porteroit contre vous.

Quelqu'un dira, sans doute, comment est-il possible que celui qui, le premier et avant que personne y songeât, a fait imprimer que la nation devoit prononcer la peine due aux crimes de Capet, soit aujourd'hui d'un sentiment contraire ? Voici ma réponse: j'avois prévu tout ce qui arrive, je m'en suis expliqué avec mes amis ; ils m'en rendront cette justice; d'ailleurs, la convention ignoroit il y a deux mois le mode qu'elle adopteroit ; et ce qui étoit alors excellent, seroit actuellement perfide. Dans ce temps-là l'opinion de la nation étoit vierge, elle n'avoit pu recevoir aucune atteinte par vos discussions; l'on ne disoit pas dans les départemens, je tiens pour celui-ci, on pour celui-là, et les lettres particulières n'y avoient point encore disposé les esprits à recevoir des semences de division (1).

C'étoit donc avant de décréter que vous jugeriez Louis, que les mesures qu'on vous propose aujourd'hui devoient vous être présentées avec tous leurs développemens; et que ceux qui veulent l'appel au souverain devoient étayer mon opinion. La raison leur. eul alors inspiré ce que la pour leur conseille aujourd'hui. Les cir- ' constauces ont changé, la saison des combats s'approche; et ce n'est pas lorsqu'il faut combattre l'ennemi du dehors, que l'on conserve dans son sein celui qu'on a le plus grand intérêt d'anéantir.

On vous a dit que Louis mort feroit place à un autre Cromwell; mais n'avez-vous pas décrété que tout homme qui parleroit d'un roi seroit puni de mort? Craindriez-vous que ce décret ne fût pas exécuté, et qu'il n'y eût pas en France un seul Brutus ? Si tel étoit votre doute, ce que je crois impossible, il faudroit alors décréter une récompense pour celui qui apporteroit la tête du nouveau tyran. Que dis-je, un semblable décret seroit un crime de lèse

nation.

Citoyens, ne vous arrêtez à aucune des propositions qui vous ont été présentées; si vous le faites, voici ce qui en résultera dans les départemens où les patriotes ardens dominent, si les royalistes ne votent pas pour la mort de Capet, et qu'ils cherchent à lui

(1) Le mode que je proposois avoit pour objet de s'opposer à tous les moyens de corruption dont les despotes savent faire usage; il les empêchoit d'employer les plumes vénales qui leur sont toujours vendues, et qu'ils ne manqueront pas de faire servir à calomnier la convention, en la peignant comme une poignée de factieux; il leur ôtoit aussi les moyens d'induire en erreur leurs sujets, en leur faisant partager leur haine contre nous. Aujourd'hui il n'est plus temps, parce que tout ce qui a été dit et écrit en faveur du tyran, donne du ressort aux royalistes, qui, sous le masque du patriotisme, captent la bonne-foi des hommes simples, et sur-tout des femmes; en sorte que devant leur sensibilité le malheureux reste, et ses forfaits disparoissent.

Mon plan avoit encore cet avantage, qu'il mettoit la convention à l'abri de tous les pièves qu'on pouvoit lui tendre, des erreurs où elle pouvoit être entraînée, et sur tout de ces tempêtes terribles qu'elle a vu depuis s'élever dans son sein, tempêtes qui me nacent encore le salut de la république. Je laiffe aux penseurs de donner à tous mes motifs l'extension dont ils sont susceptibles, et à juger si je voyois bien.

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