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vous donc que les assemblées primaires, dépourvues de tous les éclaircissemens nécessaires, puissent fixer plus aisément leur incertitude? Il ne faut pas nous abuser; ces délibérations réunies ne présenteroient qu'une masse de variété de vues, de dissonnances qui ne pourroient qu'augmenter votre embarras."

Il me semble entendre dire, dans la majeure partie des assemblées, et sur-tout dans celles composées de nos honnêtes et labo-. rieux habitans des campagnes, ce n'est point à nous qu'il appartient de délibérer sur de si grands intérêts, de pénétrer dans des considérations politiques: nos représentans ne sont réunis que pour le salut commun; nous les avons jugé dignes de notre confiance; nous les avons investis de pouvoirs illimités; qu'ils délibèrent avec sagesse, avec prudence, qu'ils fassent ce qu'ils croiront devoir contribuer plus promptement et plus surement à notre bonheur, à notre tranquillité.

Il me paroît sensible que sous ce point-de-vue l'appel à la nation ne peut offrir un résultat facile ni décisif.

Mais considérons-le sous une autre face.

J'ai entendu des orateurs prétendre qu'il seroit aisé de connoître en peu de temps le vœu des assemblées primaires, en leur soumettant les seules questions de savoir, si Louis seroit condamné à mort ou à la réclusion perpétuelle, et en recevant les suffrages par oui ou par non, sur des listes préparées à cet effet.

Je ne crois pas ce mode de délibération praticable dans les circonstances; je le regarde même, dans le sens de ceux qui proposent l'appel à la nation, comme inconséquent avec leur systême. Il me semble qu'il répugneroit à la souveraineté, à laquelle ils veulent rendre hommage, de gêner ainsi, par des restrictions, l'émission du vœu qu'ils demandent à la nation comme souveraine.

Vous voulez, en l'écartant de vous, laisser tomber sur la nation les effets de la responsabilité; vous devez donc donner à ses délibérations la plus grande extension : vous devez lui établir toutes les questions, et les questions entières; autrement vous violeriez vous-mêmes les principes de souveraineté que vous invoquez. Cela me paroît évident.

Mais si, en soumettant à la nation le jugement de Louis XVI, Vous ne pouvez fixer ses délibérations sur tel ou tel point, il faut en conclure que chaque assemblée, usant de son droit, pourra examiner toutes les questions, ou se renfermer dans celle qu'elle croira devoir adopter. Ici, je vois les difficultés se multiplier. Les assemblées délibéreront isolément; elles sont disséminées sur un territoire immense. Dans telle assemblée, on pourra délibérer sur la question d'inviolabilité; dans telle autre, on traitera le fait de savoir si Louis est coupable de conspiration. Dans celle-ci, on examinera s'il doit être puni de mort; dans celle-là, on discutera sur la peine du bannissement ou de la réciusion. C'est le résultat de ces différens vœux que les procès-verbaux vous offriront. Ainsi, dans le même département, dans le même district, il pourroit arriver que dans plusieurs sections on ne voulût pas s'assujétir aux restrictions que vous auriez établies; que dans aucune on ne se fût

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accordé ni sur les questions à traiter, ni sur l'objet particulier de la discussion.

On sait que de l'union naît la force; que les divisions nous affoiblissent et nous désorganisent; je redoute les malveillans; ils feront l'impossible pour exciter des débats; avec quelle impudence ne préviendront-ils pas contre vos questions restreintes, lorsqu'ils croiront pouvoir argumenter eux-mêmes de la souveraineté du peuple, pour ne pas gêner ses délibérations ?

;

Si cela arrivoit, comme il est possible, vous n'auriez pour résultats que de nouvelles incertitudes, de nouveaux embarras. Vos précautions n'auroient servi qu'à multiplier vos doutes, et rendre plus difficile le parti que vous auriez à adopter définitivement. Je soutiens encore qu'il vous seroit impossible de ne pas fixer un assez long délai pour la tenue de ces assemblées ; car la nation devenant juge, chargée de prononcer sur le sort de Louis, et par rapport à lui, et sous le point-de-vue politique, obligée de peser ce qui seroit plus avantageux pour le bonheur de la république, n'auroit-elle pas le droit de prolonger cet examen autant qu'elle croiroit convenable pour obtenir un résultat, sinon, certain, au moins plausible? Ne pourroit-elle pas demander des renseignemens, se livrer à l'examen des pièces? Que sais-je ? il pourroit arriver que tel département influencé par des esprits malveillans, et qui se nourrissent encore de l'esprit de retour, se fît un devoir d'éloigner la décision en prolongeant, sous différens motifs, les délibérations; car, il ne faut pas nous le dissimuler, les ennemis du bien trouveroient dans cet appel au peuple un moyen facile et favorable d'user de leur maligne influence pour égarer les gens peu instruits, entraîner les foibles, et alimenter l'anarchie par les troubles; et c'est en cela que je le crois très-dangereux.

Nous n'avons pas encore oublié les agitations violentes, les haines et les dissensions que l'aristocratie et le fanatisme ont fait naître dans tout l'empire. Il n'est, pour ainsi dire, aucune commune qui n'en ait eu dans son sein, presque aucune famille qui n'en ait éprouvé les atteintes. Le fanatisme, l'aristocratie, la royauté se prêtoient des secours mutuels. Ils étoient conjurés contre notre liberté. Ne nous abusons pas; leurs partisans n'ont pas perdu tout espoir; ils n'ont pas abjuré leurs projets; croyez qu'ils useront de tous les moyens pour favoriser, dans tous les coins de la république, leurs plans liberticides.

Nous les avons vu, depuis long-temps, dédaigner de paroître aux assemblées, de se montrer citoyens ; mais ils ne manqueroient pas de se rendre à celles-ci, pour y faire naître des divisions. Bientôt je vois les haines et les partis se renouveller; les citoyens se séparer, se désigner entr'eux pour la diversité des opinions et des vues; je vois la France accablée de nouveau sous le poids des maux dont elle gémit encore.

Evitons de semblables malheurs. Réunis ici par l'effet d'un véritable appel au peuple, pour sauver notre patrie, épargnons à nos concitoyens de nouvelles anxiétés. Bien pénétrés de l'esprit et de l'étendue de notre mission, ayons le courage de prendre nous

mêmes le parti que nous croirons le plus convenable à la chose publique.

On a objecté que la nation s'est réservé le droit de sanctionner les lois constitutionnelles, par une acceptation expresse, et celles qui ne sont pas constitutionnelles, par une acceptation tacite. On a ajouté, que si le jugement de Louis étoit prononcé et exécuté sans être soumis à la sanction du peuple, le silence même que la nation garderoit, ne pourroit être considéré comme une acceptation tacite, parce que, dans le cas où la condamnation à mort seroit adoptée, inutilement voudroit-on réclamer, lorsque la réclamation seroit sans fruit.

Je connois l'acceptation expresse des lois constitutionnelles dans les assemblées primaires; je conçois encore qu'accepter tacitement les lois non-constitutionnelles, c'est les exécuter soi-même, ou les voir exécuter sans réclamation.

Lorsque l'assemblée rend des lois non-constitutionnelles, elle peut bien prévoir et présumer souvent l'acceptation tacite du peuple, mais elle n'en est pas assurée, lors de l'émission. Cependant, si cette acceptation tacite est nécessaire, quelle voie prend-on pour s'en assurer avant l'exécution? Je n'ai encore entendu proposer aucune mesure qui y tende. Si on exécute les lois, sans attendre cette acceptation tacite, sans donner même un délai suffisant d'après lequel on puisse, du défaut de réclamation, inférer une acceptation tacite, on la regarde donc comme inutile. Je crois, qu'en général, l'assemblée législative et la convention nationale l'ont jugé ainsi. J'en appelle au décret qui, contre le vœu d'une grande partie de l'empire, a voulu la guerre offensive; à celui de l'exportation des prêtres non-assermentés; j'en appellé au décret contre les émigrés, à celui du 10 novembre 1792, à celui des 15 et 17 décembre, qui règle la conduite des géné raux sur le territoire des puissances ennemies.

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Tous ces décrets ont été exécutés sur-le-champ. On pourroit alléguer que des réclamations seroient, aujourd'hui, sans fruit, au moins par rapport à ceux qui ont reçu leur exécution: on ne peut nier cependant que les grandes mesures intéressent essentiellement le salut de l'état.

Seroit-ce, au surplus, se soustraire à cette acceptation tacite, et contrarier le vœu de la nation, que de prononcer définitivement sur le sort de Louis XVI.

La convention a , par son décret du 3 décembre, déclaré que Louis XVI seroit jugé par elle.

Par celui du 6 décembre, elle a décrété que l'acte énonciatif des crimes de Louis seroit discuté dans la séance du lundi 10. 1 Que le lendemain Louis seroit traduit à la barre.

Qu'il lui seroit remis copie de l'acte énonciatif, et de la série des questions; qu'il seroit ensuite ajourné à deux jours pour être entendu définitivement.

Que le lendemain de cette comparution elle prononcera sur le sort de Louis par appel nominal.

Ces décrets ont été connus et répandus, sur-le-champ, toute la république. Ils ont annoncé une volonté exprimée de pr

noncer définitivement; l'appel aux assemblées primaires n'y est ni consigné ni même prévu. Cependant aucune réclamation n'est par venue, aucune plainte ne s'est fait entendre; on n'a entendu aucun département prétendre que la convention usurpất, en cela, la souveraineté du peuple, qu'elle outre-passât ses pouvoirs. Les réclamations, les pétitions, auroient pu être présentées avec fruit, puisque, depuis le 3 et le 6 décembre, il y a eu un délai suffisant pour les faire parvenir, et qu'il n'y a encore rien de statué. N'estce donc pas là une acceptation tacite de vos décrets et des suites qu'ils offrent.

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On craint dit-on, , que les puissances étrangères ne se fassent, de ce défaut de sanction du peuple, un prétexte pour nous calomnier, pour nous faire la guerre. La décision de la nation entière auroit quelque chose de plus imposant, et pour elles, et pour les malveillans de l'intérieur.

Je demanderai, d'abord, si, sous prétexte d'éviter des calomnies, et la guerre extérieure, nous devons courir les risques `des déchiremens intérieurs.

Si vous n'appelez pas à la sanction du peuple, les puissances étrangères vous calomnieront, je le crois; mais vous calomnierontelles moins si vous faites cet appel? Croyez-vous qu'elles vous pardonnent jamais l'abolition de la royauté? N'éprouvez-vous pas depuis long-temps, de leur part, des calomnies atroces? Prenez garde, sur-tout, que ce ne sont pas les peuples qui vous calomnient, ce sont les rois et ceux qui ont intérêt de les flatter, parce qu'ils partagent leur autorité.

Que vous feront, au surplus, des calomnies, si, dans le jugement que vous porterez, vous consultez la justice; si vous adoptez le parti que la plus saine politique vous indiquera? Est-ce donc sur la crainte de la calomnie que vous devez vous diriger? Encore une fois l'avez-vous redoutée, lorsque vous avez aboli la royauté, lorsque vous avez rendu vos décrets des 19 novembre, 15 et 17 décembre ?

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Quant aux prétextes de guerre dont on cherche à vous effrayer, P'Autriche, les princes allemands, la Prusse, la cour de Turin, ne sont-elles pas en guerre ouverte avec vous? Et ne s'étoientelles pas déclarées vos ennemis, avant même qu'il fût question, ni de l'abolition de la royauté, ni de mettre Louis XVI en jugement? Quels étoient alors leurs prétextes ? Vous aviez changé la la forme de votre gouvernement, vous aviez usé d'un droit imprescriptible.

L'Angleterre ne fonde-t-elle pas ces mesures hostiles sur le progrès de vos armes, sur la propagation de vos principes, sur vos décrets des 19 novembre, 15 et 17 décembre? L'Espagne, sous l'apparence de la neutralité, a-t-elle attendu jusqu'à ce moment pour vous laisser sans inquiétudes ? Ses préparatifs n'avoient-ils pas déjà excité votre surveillance?

La guerre que vous essuyez n'est pas celle dcs nation's entre elles. Ce sont les rois, et les rois seuls qui vous la font, parce qu'ils redoutent votre exemple. Voulez-vous leur en ôter tous les pré

textes?

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textes? Rendez hommage à la royauté, replacez Louis XVI sur le trône; retirez-vous tranquillement; abandonnez les rênes du gouvernement; rentrez dans l'ancien régime; comptez les rois pour tout, et les peuples pour rien; renoncez à votre liberté, et reprenez vos fers. Voilà le mot. Quel est celui d'entre vous qui voudroit acheter la paix à ce prix ? L'idée seule me révolte

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et me fait frémir.... Je l'abandonne. arrêter plus long-temps.

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Je rougirois de m'y

que

Et les malveillans de l'intérieur Chercheriez-vous à les caresser encore, à ménager leur approbation? Ah! ne savez-vous pas qu'ils servent la cause des rois contre les peuples? Quelle est donc cette crainte de les irriter? Ne vous y trompez-pas, ils ne font entendre leurs plaintes que pour multiplier leurs partisans pour entraver la marche de la révolution; ils ne sont, à l'extérieur, si paisibles, si inquiets, si apitoyés, que pour mieux parvenir à leur but; et ce but est de devenir contre les amis de la liberté les vils agens de la tyrannie: je crains toujours leur perfidie. J'en appelle aux projets horribles des émigrés avec lesquels ils correspondent; à ces mouvemens de satisfaction qu'ils auroient voulu contenir, mais qui échappoient malgré eux, lors des nouvelles des prises de Longwi et de Verdun; aux horreurs exercées à Lille et à Thionville.

Je n'entrerai pas dans un plus long détail. Plusieurs de mes collègues, plus profonds, plus éloquens que moi, ont donné, à cette importante question, tous les développemens nécessaires. J'ai voulu seulement, dans une discussion qui semble mettre en opposition les droits des commettans et des mandataires, rendre compte à ceux qui m'ont donné leur confiance, et à moi-même des motifs sur lesquels je fonde mon opinion. Dans cette circons tance, comme dans toute autre, j'ai pris la résolution ferme et constante d'être en garde contre les préventions; de ne m'occuper, au milieu des agitations que fait naître la diversité des opinions, jamais des personnes, toujours des choses; d'écouter les discussions avec calme, de les méditer sans partialité, et de suivre ensuite les mouvemens de ma, conscience. En me conduisant ainsi je crois remplir mon devoir.

Réflexions de J. FOUCHÉ, (de Nantes), sur le jugement de Louis Capet; imprimées par ordre de la convention nationale.

Citoyens, je ne m'attendois pas à énoncer, à cette tribune d'autre opinion contre le tyran, que son arrêt de mort. Par quel évènement, par quelle main invisible sommes-nous amenés à mettre en problême ce qu'une conscience générale, un sentiment intime, le bon sens du peuple enfin, avoient décidé lorsqu'il nous a enProcès de Louis XVI. Tome III.

Na

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