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» mêmes crimes, tu eusses pu subir la peine imposée par les lois préexistantes au pacte que tu dis avoir accepté.

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» Eh bien! si l'on s'arrête à la voix qui t'accuse, qu'as-tu fait ? pis que tout cela: tu as commis un crime de plus; tu as été par>> jure à cette constitution dont tu invoques l'appui ; tu as trahi ton » pays auquel tu avois juré fidélité. Comment donc peux-tu te préva» loir du contrat même qui te rend plus coupable? Comment, plus » criminel par la constitution que tù ne l'eusses été sans elle, se>> rois-tu moins puni? »

C'est ici, citoyens, que les règles éternelles de la justice seroient ouvertement blessées; elles ne peuvent, elles ne doivent point l'être; l'inviolabilité constitutionnelle et ses prérogatives, si elles pouvoient s'interpréter au gré de leurs partisans, se seroient toujours évanouies avec l'infraction de l'acte qui les contenoit.

Ecartons donc ce vain épouvantail, et disons que si Louis XVI est justement prévenu de délits graves contre la nation, sujet aux peines générales de la loi, il peut être mis en jugement.

Doit-il l'être? Pour être mis en jugement, il faut être suffisam ment prévenu d'un délit : Louis XVI l'est-il ?

Je ne dirai pas comme l'un des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, qu'il seroit criminel par cela seul qu'il fut roi, et conséquemment usurpateur.

Ce n'est point sur de pareilles bases que nous devons asseoir l'instruction de ce grand procès; si Louis n'avoit contre lui que la volonté bien manifestée par la nation française de vivre libre et sans roi, le peuple, pour qui la justice est un devoir, ne sauroit le punir autrement que par la privation du trône, du hasard de sa naissance et de l'imbécillité de nos pères.

Mais si Louis protégea les ennemis de ce peuple, s'il le devint lui-même, c'est alors qu'il fut coupable, c'est en ce sens seulement que la justice peut l'interroger.

Eh! comment douter qu'il le fut? Transportons-nous à ces époques désastreuses où ses perfides mains faisoient jouer tous les ressorts de l'état; voyez l'art avec lequel ses ministres avoient soin d'écarter tous les obstacles qui pouvoient arrêter les progrès de l'ennemi; voyez la conduite des généraux et les trahisons qui préparoient le retour à l'ancien esclavage.

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Voyez au contraire, après le réveil de la nation, cette énergie salutaire qui l'a sauvée.

Quel contraste! Ah, Louis! le ciel même et nos succès ne t'accusent-ils pas aujourd'hui ?

Je sais cependant que tu pourrois rejetter et sur tes ministres et sur tes généraux, le poids de cette inculpation, si rien ne prouvoit que tu eusses trempé dans leurs complots; et je ne veux point te priver de l'avantage d'une légitime défense.

Mais, si je recours au rapport fait à l'assemblée législative, par le citoyen Gohier, à celui fait à la convention, par le citoyen Valazé, si je suis tous les actes de ton règne constitutionnel, si enfin je reporte mes regards sur la journée du 10 août. . . . . oui, je le dis avec ce sentiment de douleur qu'inspire l'intime persuasion de

l'existence d'un grand délit, Louis, je te crois coupable; puissestu te laver des crimes qui te sont imputés, lorsque tu paroîtras devant le tribunal de la nation! mais si tu ne le fais point, l'éternelle justice est aujourd'hui pour les rois comme pour les autres hommés.

J'entends d'ici la voix de la douce pitié qui crie qu'il faut dans la victoire être généreux envers un ennemi désarmé.

Ah! si je ne stipulois ici que pour moi, je céderois peut-être à ce beau sentiment; mais, représentant du peuple, je ne vois que mes devoirs; nous tous ici, nous devons décider si Louis mérite ou non d'être mis en jugement; le tribunal, quel qu'il soit, déci dera s'il doit être condamné ou absous; le droit d'être généreux ou de faire grace ne se délégue point.

Ces premières vues de la justice naturelle et distributive seroientelles donc ici contrariées par l'intérêt politique?

« Si vous frappez, dit-on, la personne de Louis XVI, les mal» heurs et l'innocence de son fils feront revivre pour lui des par»tisans que la conduite de son père a aliénés ou refroidis; gardez»le donc soigneusement, mais éloignez de lui une sévérité qui ne » pourroit qu'être nuisible à la république.

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S'il m'étoit permis d'anticiper sur la discussion du fond, je rappellerois à ces hommes foibles qui voient du danger à prononcer sur le sort d'un roi; je leur rappellerois ces nombreux exemples où des peuples exercèrent ce droit sacré sans crainte et sans dangers. O mon pays! que serois-tu dans la balance des nations, si tu pouvois croire la liberté en péril à ce prix!

Mais s'agit-il donc en ce moment de prononcer définitivement sur Louis XVI? Non, il s'agit de décider s'il sera, Ou non, mis en jugement. Et par quelle fatalité existeroit-il une politique qui s'y opposât?

Ah! si la politique, ce fatal agent de tant de gouvernemens corrupteurs et corrompus, doit encore pendant quelque temps figurer dans nos discussions, j'invoque sous cet aspect les motifs développés dans l'opinion de Thomas Payne.

Mais hâtons le moment où notre politique n'existera plus que dans le grand livre de la nature. Que la loi atteigne le coupable, quelque puissant qu'il ait été; qu'elle ménage l'innocent: voilà la vraie, la seule politique digne d'un gouvernement républicain essentiellement fondé sur la vertu.

Louis-Charles, enfant malheureux, la république française trop forte pour te craindre, est trop juste pour t'opprimer : mais ton père.

Je conclus à ce qu'il soit mis en jugement, d'après les lois gé nérales de l'état portées contre les grands conspirateurs.

Opinion de JEAN DE BRY, député du département de l'Aisne sur la question : Le ci-devant roi sera-t-il jugé ? imprimée par ordre de la convention nationale.

Jus malè faciendi cùm sit regi nullum, manes
jus populi naturâ supremum.
MILTON Pro populo anglicano
defensio.

J'ai été de l'avis de la motion d'ordre proposée par Pétion, et qui avoit pour objet d'établir la méthode à suivre dans cette importante discussion. Ce que vient de dire Robespierre, m'a prouvé son utilité. Il a attribué à la personne d'un roi ce qui appartient à la royauté. S'il étoit resté sur les débris du trône un homme innocent, auriez-vous prononcé une peine contre cet individu ? C'est parce que l'homme qui a survécu au trône français est inculpé de grands crimes, que vous avez à le juger; et lorsque, dans cette affaire, je vois les peuples attentifs à votre décision, je dis que l'intérêt des peuples y prête son importance. C'est aussi parce que beaucoup de citoyens foibles ou timides composent dans leur opinion avec le nom de roi, que, pour écarter d'eux les suggestions de la malveillance aristocratique, vous devez apurer cette question: le roi sera-t-il jugé ? et souffler sur le nuage d'inviolabilité dont on cherche à l'envelopper pour le soustraire à la justice nationale: je dirai donc qu'il y a long-temps que le bon sens auroit décidé pour nous seuls, si seuls nous étions intéressés à cette cause. Les peuples, législateurs, le sont aussi avec vous ; les peuples et les rois sont, pour ainsi dire, présens à vos séances. Vous avez bien proclamé la volonté d'être libres; mais c'est par les actes de cette volonté que l'on jugera si les lumières doivent l'emporter sur l'ignorance, si l'habitude de l'esclavage peut résister aux droits de l'homet si enfin les profondes cicatrices d'une civilisation tyrannique, après quatre mille ans, permettent à l'espèce humaine de reprendre l'attitude de la liberté. Ainsi donc, si dans une cause qui tient à la morale de la nation et à l'intérêt de la liberté, il est un seul argument qui n'art point été fait, il doit être offert à la méditation des représentans du peuple; il ne faut pas qu'on puisse accuser la liberté d'injustice ou de précipitation, ni qu'on imagine que le droit des peuples étouffe leur morale. Il faut enfin que tout ce qui peut, dans cette affaire, appuyer l'opinion de celui qui vote, et justifier qu'il l'a fait en connoissance de cause soit manifesté; et ceci n'importe pas moins à la détermination que vous prendrez, qu'à l'individu lui-même. Tels sont, citoyens, les motifs qui m'engagent à parler aussi dans cette affaire; et voici les questions que je me suis faites.

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Sous le rapport du droit naturel, sous le rapport du droit politique, sous celui du droit positif, le ci-devant roi peut-il être jugé? Si vous voulez rapporter à cette division ce qui vous a déja

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été dit, vous verrez qu'il reste peu de chose à dire; car, en droit naturel, cela ne peut pas même faire une question. Mais la diriculté vient seulement de ce qu'indépendamment des droits attachés à l'existence de l'individu, la loi à mêlé, en quelque façon, dans la personne du roi, par une fiction, une existence politique résultante de la nature et de l'ensemble des fonctions qui lui sont attribuées; ensorte que lorsqu'on parle de la personne du roi, aussitôt on vous oppose ses prérogatives: mais de qui les tient-il? De la volonté générale, je veux dire de la nation; et ici la cause est entre cette même nation et le roi: or, je demande si l'on croit le principe pur et inattaquable? Qu'on en tire nettement la conclusion, et qu'on nous dise que les prérogatives concédées au fonctionnaire public le sont pour l'intérêt de l'individu, et non pour l'avantage de la société qui l'a délégué. Mais si cette conclusion est absurde, il faut donc aussi que le principe le soit, et que lorsqu'il est question de juger entre la personne du roi et la nation outragée, le premier ne puisse opposer des prérogatives qui ne sont ni en lui, ni pour lui.

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Le droit politique est par-tout fondé sur l'intérêt général: ainsi, comme il importe que l'intérêt d'un individu ne dérange pas l'harmonie social en tournant à son seul profit le travail commun, le vol est puni. Comme il importe que la volonté de tous ne plie pas sous une volonté particulière, la résistance à la loi est punie; part le délit, c'est-à-dire, l'acte d'un seul homme contre tous les autres, ne peut être ni approuvé, ni toléré; et la société qui formeroit un pacte par lequel elle éleveroit une volonté au-dessus de la sienne feroit un pacte radicalement nul, n'emportant aucune obligation, ni de la part du corps social, ni de la part de ses membres; car ce prétendu pacte ne seroit autre chose que l'acte de subversion de toute société, et l'asservissement des convenances gérérales à une convenance privée.

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C'est-là le droit naturel me dira-t-on : je le crois bien; car le droit politique, comme toutes les autres espèces de droit, ne sont que le droit naturel appliqué à l'économie sociale, à la vie civile et aux relations des peuples entre eux. Le droit naturel est cette raison profonde sur laquelle doivent être appuyés tous les principes conventionnels, si l'on veut qu'ils soient solides, et qu'ils ne mènent pas à des contradictions, ou même à des crimes. C'est cette raison que, par une espèce d'instinct, l'homme cherche dans toutes les règles qu'on lui présente, ou auxquelles il s'astreint ; il la veut dans ses coutumes, il la veut dans ses lois, il l'observé dans ses sentimens les plus involontaires ; et pour rentrer plus immédiatement dans la cause que je traite, c'est par elle qu'il plaint l'homme percé de coups et baigné dans le sang, qu'il poursuit le meurtrier, s'il est dans l'état de nature, ou qu'il appelle sur sa tête le glaive de la loi. S'il est en société, c'est sur ces tables éternelles, entre les mots nature et société, qu'il est écrit qu'un roi peut être jugé pour ses crimes.

Ces questions deviendroient infiniment simples, si l'on écartoit tous les accessoirs, à l'aide desquels on les déguise, Cl. Fauchet a

parlé du genre de supplice. Or, ce n'est pas de cela qu'il s'agit ; il est même convenu implicitement, qu'il falloit le juger. D'autres s'arrêtent sur le plus ou moins de gravité des faits. Cette considération est parfaitement étrangère à la cause actuelle. Ce qu'il faut décider, c'est de savoir si une prison perpétuelle, ou la condamnation au tourment d'exister au milieu d'un peuplé libre, suppose un jugement préalable. Les actions d'un homme peuvent être jugées, quand cet homme s'appelle roi. Le droit naturel n'admet point d'exception: I.'intérêt social, dans l'ordre politique, n'en souffre pas. Reste donc le droit positif. Quelle opinion devroit-on avoir d'une loi qui contrarieroit les vues. de la nature et l'intérêt de la société? Assurément, après tant de siècles d'esclavage et d'abrutissement, il n'y auroit point à s'étonner si la force qui éleva la constitution, trompée par la perfidie qui la revisa, et soumise encore à un reste d'idolâtrie antique, a sacrifié à la peur des rois et à la vénération superstitieuse exigée par des humains. Mais, ceites, je ne sais quel autre respect superstitieux, non pas pour la consti tution, ouvrage dont j'honore les premiers principes, mais pour les vices qui l'ont gâtée, engageroit un seul homme à vouloir que ses défauts ou son silence prévalussent sur les intérêts de la société, et sur les lois de la nature : ce qui manque au code se retrouve là. Remarquez bien que je ne parle pas de la peine à appliquer; et que de la question que nous traitons, à ce point, il y a une immense intervalle, à moins que l'on ne prétende que pour un roi, c'est déja un supplice que d'être soumis à un jugement. D'un autre côté, je trouve bien dans la constitution que la personne du roi est inviolable et sacrée; ce qui signifie la même chose que l'inviolabilité attribuée dans la même constitution aux députés, où ce qui ne signifie rien du tout; et dans ce cas, il est jugeable, car nous pourrions l'être; et le surplus de la question ne seroit relatif qu'au mode à employer pour ce jugement. En second lieu, je n'y trouve pas que la nation en corps ait renoncé au droit de prononcer sur ses actions, bonnes ou mauvaises; et je répète que là où le droit positif est muet, c'est au droit naturel et politique à parler; ce sont eux qu'il faut consulter. De même qu'avant toutes lois encourageantes, l'humanité fut un noble sentiment, la générosité une vertu digne d'éloge et de récompense; ainsi, avant toutes lois répressives, la barbarie, la cruauté envers ses semblables, envers un peuple confiant et doux ont été des crimes dignes d'exécration et du supplice. Ainsi, quel que soit le poids des considérations politiques qu'on prenne autour des rois, non pour l'intérêt de la république, et pour annuller les ambitions privées, ce n'est point à une autorité constituée à prononcer sur leurs acles; mais la nation qui est debout, et qui reprend ses droits; mais le peuple qui s'organise et qui repousse tout élément de corruption, trahit son intérêt, précipite sa ruine, et corrompt sa propre morale, quand il admet une exception.

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Je pourrois, citoyens, puisqu'il est question de droit positif, vous présenter dans cette cause deux raisons tirées de la constitution elle-même. L'une, que dans les actes où la nation n'a point

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