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systême de l'inviolabilité absolue, par cet article de la constitution: Après l'abdication expresse ou légale, le roi sera dans la classe des citoyens, et pourra être accusé et jugé comme eux, pour les actes postérieurs à son abdication. Cet article ne peut être considéré isolément, parce qu'il n'est qu'une conséquence de trois autres articles qui fixent les cas où l'abdication est acquise: or, comme dans ceux-ci il n'est question que de la rétractation du serment, d'une entreprise contre la nation à la tête d'une armée ennemie, et de la sortie du royaume, il en résulte que l'article cité n'est applicable qu'à ces mêmes cas. Si donc le ci-devant roi a commis d'autres crimes; si, par exemple, il a fomenté la guerre civile dans l'état, comme il n'y a pas à cet égard d'abdication prononcée il n'y a pas lieu par conséquent à l'application de l'article qui est une conséquence de l'abdication; il ne faut plus examiner alors si le roi doit rentrer dans la classe des citoyens, puisque la loi n'a pas dit qu'il fût au-dessus de cette classe. Là se trouvent les limites de la prérogative royale, et l'application de ce principe garanti par l'ancienne constitution: Il n'y a plus pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilège ni exception au droit commun de tous les Francais.

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D'un autre côté, s'il est vrai que le roi, après l'abdication, peut être jugé comme les autres citoyens, c'est-à-dire, par les tribunaux qui lui étoient auparavant subordonnés, il ne s'ensuit pas qu'avant l'abdication et hors des cas où elle est encourue, le roi ne soit pas jugeable par la nation assemblée ou par ses représentans. Cette exception aux lois communes n'est exprimée nulle part. On lit, au contraire dans la constitution, au chapitre même de la royauté, qu'il n'y a point en France d'autorité supérieure à celle de la loi; d'où il est facile de conclure que la loi qui défend le meurtre, les conspirations contre l'état, doit frapper le roi comme tout autre citoyen. On y lit encore, que la souveraineté de la nation est inalienable; et certes, elle eût été aliénée, si l'un de ses agens pouvoit lui contester le droit d'examiner sa conduite. Non le systême de l'inviolabilité ne peut être soutenu par le tyran lui-même. Comment, en effet, Louis XVI oseroit-il vous dire: je vous ai trahi, j'ai soulevé contre vous les puissances de l'Europe, j'ai suscité dans votre sein la guerre civile, j'ai commandé de vous assassiner? Arrêtez ! je suis inviolable. Inviolable? toi! Non la loi te frappera; car la nature te défendoit de t'abreuver du sang humain; et le peuple français, en te nommant son roi, ne t'avoit pas constitué pour être son assassin. Il n'y a pas d'inviolabilité pour la tyrannie; et les brigands couronnés ne peuvent pas exciper des bienfaits des peuples, pour se soustraire au glaive de la justice qui, planant sur toutes les têtes, doit abattre aussi celles des rois.

Ainsi l'on ne trouve dans la constitution de 1791 aucune disposition dont on puisse argumenter pour prouver qu'il n'y avoit pour Louis Capet ni loi naturelle ni loi civile. Ses défenseurs ont bien cité les opinions de quelques membres de l'assemblée constituante;

mais qu'importent les opinions de quelques valets de la cour? c'est le texte de la loi que nous devons consulter, et non ses perfides commentateurs or, le texte ne dit pas que le roi peut commettre impunément tous les crimes. Si cette disposition eût existé, il m'eût été facile de prouver qu'une loi qui renverse toutes les idées du juste et de l'injuste, ne peut pas elle-même être une loi ; et qu'une constitution est nulle qui consacre la tyrannic.

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Si nous remontons maintenant à l'institution de l'inviolabilité, nous trouvons qu'elle fut établie pour préserver le roi des atteintes usurpatrices du corps législatif et des passions des individus; mais comme l'impeccabilité d'un roi étoit pour ceux mêmes qui créèrent cette étrange fiction, une erreur contre laquelle l'histoire de tous les peuples et l'éducation de tous les rois déposoient fortement, comme ils econnoissoient qu'un roi pouvoit devenir un tyran et opprimer la liberté de son pays, ils imaginèrent de placer à côté du roi constitutionnel des Français, des agens responsables, sans le concours desquels il ne pouvoit agir, et qui devoient payer de leurs têtes ses attentats, s'ils concouroient à les faire exécuter. Ce systême de gouvernement, quelque bizarre qu'il fût, présentoit au moins cet avantage, que le roi, s'il avoit rigoureusement observé les formes constitutionnelles auxquelles il s'étoit soumis, auroit été dans l'impuissance de faire le mal, ou ne l'auroit jamais fait qu'en concours avec un de ses agens qui en auroit supporté la peine. Or comme on ne pouvoit pas supposer qu'un ministre exposât légèrement sa tête, on espéroit diminuer , par ces précautions, la masse des attentats inséparables de la royauté; du moins on supportoit plus patiemment l'idée du malheur public, par l'espérance de la punition qui devoit frapper le ministre responsable.

Qu'est-il arrivé? Louis XVI s'est soustrait à ces formes embarrassantes, et seul, il a marché directement au crime.

Demandez-lui quel étoit son agent responsable, lorsqu'il soulevoit les puissances de l'Europe, et les appeloit à envahir notre territoire, pour y rétablir le despotisme et ses brigandages?

Demandez-lui quel étoit son agent responsable, lorsqu'il organ isoit la guerre civile dans l'intérieur de l'empire, lorsqu'il encou rageoit les rebelles d'Arles, protégeoit les conspirateurs de Jalès saulevoit l'aristocratie d'Avignon et du Comtat, fomentoit par-tout les troubles religieux, et commandoit la trahison dans nos armées et dans nos places frontières?

Enfin demandez-lui ( car je veux détourner vos yeux de cette suite de crimes) demandez-lui quel étoit son agent responsable, lorsqu'il annonçoit à l'évêque de Clermont qu'il travailloit à rétablir son ancienne puissance, ce qui, très-certainement, est un aveu de sa conspiration, écrit de sa propre main. Ah! qu'il est loin de pouvoir vous répondre! Louis XVI eut constamment deux ministères : l'un étoit chargé de l'exécution des ordres ostensibles; l'autre donnoit et faisoit exécuter les ordres secrets. On en a trouvé la preuve dans le porte-feuille de Bertrand et dans une des lettres de Bouillé, qui fait mention d'un sieur Heymann, envoyé en Prusse

- pour le service du roi, et payé par le roi, Or, ce dernier ministère n'étant pas avoué, n'étoit pas responsable. C'étoit une réunion de conspirateurs dont le roi étoit le chef. La loi, si elle les eût atteints, n'auroit pu les frapper que comme ennemis de l'état, et non comme ministres. Il est donc vrai que Louis Capet, dans les principaux actes qui ont compromis notre liberté, n'a pas eu d'agent responsable. Or, dès qu'un crime est commis, il faut que la loi frappe; il n'y a pas en France d'autorité supérieure à la loi; et si elle ne trouve pas les agens qui devoient garantir les actions du roi, parce qu'elles ont été faites sans leur concours elle doit alors frapper le roi car Louis XVI est nécessairement accusable pour tous les actes dont on ne peut charger ses agens. Ainsi je trouve dans l'institution même de l'inviotabilité la preuve que Louis Capet n'est pas inviolable pour les actes dont il s'agit.

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J'ai déjà prouvé que cette inviolabilité n'avoit été appliquée qu'aux actes de la royauté, et non aux crimes de la tyrannie; et que dès que la constitution n'avoit pas expressément dérogé en faveur du roi à toutes les lois naturelles et civiles il en résultoit que le roi y étoit soumis comme les autres citoyens, sauf les trois exceptions à la loi civile, exprimées dans l'acte constitutionnel.

Il faut maintenant démontrer, pour sapper entièrement le systême des défenseurs de Louis Capet, qu'il n'y a jamais eu pour lui de constitution, parce qu'il a constamment protesté contre elle par ses actions, et que depuis long-temps il étoit censé avoir abdiqué la couronne, de manière que même avant le 10 août, il étoit déjà dans la classe des simples citoyens, et par conséquent soumis comme eux à toutes les lois de l'état. Je sais que plusieurs de mes collégues sont prêts à traiter ces questions; et je leur laisse cette tâche à remplir.

Sur la peine à infliger à Louis XVI, par J. B. JOURDAN député de la Nièvre à la convention nationale; imprimé par ordre de la convention nationale.

On a long-temps discuté pour savoir si Louis XVI étoit jugeable; on a beaucoup soit pour le prouver, comme s'il n'étoit pas I un homme comme si la captivité ne lui donnoit pas le droit de le requérir; de même enfin que si la convention avoit pu se dispenser d'ordonner son jugement, d'en déterminer le mode, ou de le prononcer elle-même, sans commettre un crime de lèse-hu

manité.

Louis sera jugé, la convention le jugera, la forme de son jugement est prononcée, son interrogatoire et ses réponses sont connus. A quelle peine le condamnera-t-on ? Sera-ce à une clôture perpétuelle, ou au dernier supplice, ou au bannissement, et à être exporté du territoire de la république ?... Il est coupable, il n'y

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a pas à hésiter; ses actions, ses délits, ses trahisons, ses crimes demandent justice: qui chercheroit à l'innocenter seroit son complice, protégeroit ses forfaits, mériteroit d'être puni.

Représentans du plus sensible, du plus généreux de tous les peuples, s'il étoit parmi vous des hommes prévenus, passionnés, qu'ils se dépouillent de leurs préjugés, qu'ils se défient d'eux-mêmes qu'ils deviennent hommes nouveaux à ce jugement, qu'ils prononcent librement leurs opinions, après avoir consulté ce qu'ils se doivent, ce qu'ils doivent à leurs représentans, aux Français qui naîtront, à l'humanité entière !

Qu'il seroit mémorable ce jugement, si la convention nationale, imprégnée des mêmes principes, dirigée par le même sentiment, le prononçoit à l'unanimité des suffrages! Tant de gloire ne nous est pas réservée.

Trois sortes de peines m'ont paru pouvoir s'appliquer, d'après les lois actuelles, aux crimes dont Louis Capet est coupable: j'examinerai chacune d'elles, je montrerai ce qu'elles peuvent donner à espérer ou à redouter.

A l'exemple des premiers Français qui rasoient et renfermoient leurs rois, déchus de la royauté, Louis Capet sera-t-il renfermé ? Lorsque les hommes ne sont plus les mêmes, les lois doivent changer aussi. Quoique la majorité de la nation française soit digne de ses aïeux, et faite pour garder, sans danger, un pareil dépôt; la minorité, dont la proportion effraie, exige, par sa corruption, des précautions de prudence et de sagesse, pour prévenir des désordres et des agitations que l'existence actuelle de Louis Capet, captif en France, entretiendroit et fomenteroit constamment.

Comme un volcan caché, qui se forme peu-à-peu, brise toutà-coup les liens qui le tenoient assoupi, produit une explosion terrible, embrase, dans un instant, tout ce qui l'environne, et change une plaine riante et fertile dans des monceaux de ruines, de cendres; ainsi Louis Capet prisonnier fomenteroit des troubles et des orages; ainsi Capet libre renverseroit l'autel de la liberté, détruiroit le bonheur du peuple..... la république.... et substitueroit sur ses ruines le trône du despotisme et tous les attentats de la tyrannie.

Pour la tranquillité publique, pour le bonheur de ma patrie, je pense que Louis Capet ne peut rester en France, sans exposer ses habitans aux plus terribles fléaux.

Louis XVI sera-t-il condamné à mort ?

Si les supplices doivent être déterminés et mesurés d'après les crimes commis, ceux de Louis Capet sont de nature à ce que les plus cruels lui soient réservés. Ici, se présentent deux questions de la plus haute importance: leurs décisions auront la plus grande influence sur les mœurs nationales.

La première, c'est de savoir si la loi de mort peut et doit être portée contre un homme.

La deuxième, d'approfondir l'assentiment national, et de considérer si ne pas condamner à mort un grand coupable ce re seroit pas concourir puissammeut à éloigner une partie du peuple

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de

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(No. 7.)

de ces malheurs cruels que l'on craint autant de rappeler que de les peindre.

Sortis d'un gouvernement féodal , en conserverons-nous toute la barbarie ? Le règne de la liberté ne sera-t-il pas celui de l'humanité? Français, deviendrez-vous républicains, ou resterezvous français ?

Ce siècle l'atteste encore! pour cinq sous volés un domestique étoit pendu; son cadavre, attaché à des fourches, y restoit des années entières, aux yeux du peuple, dévoré par les animaux, séché par le soleil : déjà vous avez peine à croire la vérité de ce récit.

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Ge siècle l'atteste encore! un homme étoit rompu vif; souvent ce n'étoit qu'après plusieurs jours de souffrances qu'il expiroit! ne faut-il pas avoir été témoins de ces horreurs pour les croire? Aujourd'hui, on croit que la raison a fait de grands progrès, en raffinant l'art de donner la mort. Un fer tranchant termine dans un instant la carrière du coupable; il est inhumé. La nature a moins à souffrir, elle est moins avilie; cependant elle frémit elle frémira tant que l'homme, flétri par de vils préjugés, ne sera pas monté à sa hauteur et n'aura pas effacé la peine de mórt du code de ses lois. Législateurs, montrons-nous avares de sang, si nous ne voulons pas courir les hasards qu'il coule encore avec profusion.

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Quel but peut avoir la peine de mort ? Est-ce de punir le coupable? Sans doute c'est une des fins qui la déterminent: la principale c'est pour contenir, par de pareils tableaux, les intentions des scélérats; c'est, en un mot, plutôt pour l'exemple que rapport au criminel. En France heureusement il n'y a qu'un Louis XVI: à qui sa mort servira-t-elle d'exemple ?

Peut-être m'accusera-t-on d'être son partisan, et d'être un royaliste: calomniateurs, suspendez. Quel mortel desire plus la liberté que celui qui n'a besoin de rien? Quel homme sensé, quel honnête homme peut aimer et préférer le règne de la tyrannie, de la licence, celui d'un seul, au règne de la vertu, celui de la république.

Moi, son partisan! au mois de juin ou de juillet dernier, le directoire du département de la Nièvre, dont j'étois membre du conseil, m'envoya une des proclamations de Louis XVI, en me marquant que, d'après sa lecture, je jugerois qu'il n'étoit pas possible de soupçonner les intentions.

Je terminai ainsi la réponse que je leur fis : « Louis XVI devint-il un dieu pour l'univers, sera toujours un diable pour moi: » voilà une époque, voilà un fait: je défie qu'on démente l'un ou l'autre.

Je me suis éloigné, j'ai cru le devoir : je dois rappeler aux principes de la nature, et prouver que le droit d'infliger la mort ne peut être exercé par des législateurs philosophes, éclairés, humains. Avilis par le despotisme du gouvernement où nous avons vécu, vadrions-nous justifier la guillotine, comme il y a quelques années nous eussions vanté peut-être l'ordre social, fondé sur l'exis Procès de Louis XVI. Tome III.

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