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le souverain; l'autorité légitime n'a aucun risque à courir: la ré◄ publique, est à l'abri de sa dissolution.

Et je remarque qu'il ne faut pas même que la convention prononce, sauf l'appel au peuple; car ce seroit un préjugé sur cette affaire, dont on pourroit un jour lui faire un crime. Toute influence quelconque de la convention, dans cette question, seroit à l'avantage des factieux; c'est-à-dire, au détriment de la république. Nous n'éviterons tous les écueils, qu'en faisant porter sur le souverain la responsabilité toute entière.

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Ainsi donc, dans le cas où Louis sera jugé coupable, je demande que l'application de la peine soit renvoyée aux assemblées primaires : je déclare que, dans l'affaire de Louis, je n'en tends prononcer que sur le fait : je déclare que la décision de la convention n'a pas d'autre sens pour moi; que le jugement de Louis se borne-là; que l'application de la peine, étant une question politique, la solution d'un point si important n'est pas une sentence, et ne se trouve pas attribuée par fe décret; que, quand on prétendroit le contraire, une telle décision devroit s'anéantir devant l'intérêt public; et qu'il n'est aucune puissance humaine qui, quand le décret ne seroit pas révoqué, pourroit me forcer d'y accéder; car je suis maître de mon opinion, et mon devoir est de la garder au fond de ma conscience, lorsqu'il m'est démontré que le bien du peuple l'exige.

Discours prononcé dans la séance de la convention nationale du vendredi 4 janvier 1792, l'an second de la république française, sur le jugement du procès de Louis Capet, par B. BARRERE, député du département des Hautes-Pyrénées ; imprimé par ordre de la convention nationale.

Citoyens, ce que l'ordre public a de plus important, la législation de plus difficile, la politique de plus délicat, la liberté de plus nécessaire, et la nation de plus sacré, est soumis à votre délibération. Le calme qui y préside depuis quelques jours, annonce que la justice et la raison vont prononcer. Il n'échappera pas à l'histoire, ce contraste des rois, qui souvent, au milieu des dissipations des cours, signoient des proscriptions ou l'ordre de mort d'un millier de citoyens, et des représentans du peuple qui délibèrent avec une sage lenteur sur la punition d'un tyran.

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C'est ici le dernier combat entre le despotisme et la liberté. Déjà, au bruit de vos longs débats toutes les passions ennemies de la république se sont agitées. D'un côté, l'aristocratie nobiliaire relève sa tête insolente, et le fanatisme sacerdotal prépare ses per, fides insinuations dans les assemblées primaires. De l'autre, les intrigans et les ambitieux renouent leurs intrigues; les scélérats et les agitateurs, prêts à profiter de toutes les circonstances, aiguisent leurs poignards. C'est donc la destinée des rois de causer des maux

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au peuple, soit qu'ils demeurent sur le trône, soit qu'ils en soient précipités. Ainsi, l'on vit dans les places publiques de Rome les statues des despotes, démolies par le temps, écraser encore par leur chûte les meilleurs citoyens.

Il ne faut pas nous le dissimuler: nous marchons entre des précipices profonds; mais ces abîmes n'ont été creusés que par nos propres mains, par notre versatilité et notre désunion.

Des insinuations calomnieuses, des inculpations violentes ont trop occupé nos séances; les haines réciproques ont imprimé de trop mobiles et dangereux mouvemens à l'opinion populaire. Qu'ils se rassasient enfin d'une horrible célébrité et des tristes succès de la calomnie, ceux qui, dans tous les partis, attaquent, dénoncent et s'accusent sans cesse. Ce n'est pas à la lueur de la torche des passions soupçonneuses et des vengeances particulières , que l'on parvient au terme dans les orages révolutionnaires. Remplissons avec calme notre pénible et impérieux devoir. C'est être parricide de la liberté publique, que de substituer l'amour propre à l'amour de la patrie, et d'ajouter les haines de la rivalité aux difficultés d'une affaire aussi importante pour le salut de l'état.

Un seul point nous divise d'opinion. Nous différons seulement sur les moyens de lier la nation entière à notre décret de sûreté générale, au jugement de Louis Capet.

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J'observe d'abord que la nation s'est liée elle-même, et par sa propre volonté, à votre décret, parce qu'elle vous a créés ses représentans, parce qu'elle vous à envoyés après que Louis Capet arrêté, suspendu de ses pouvoirs, et emprisonné, a été accusé de conspiration contre l'état; parce que la nation vous a investi de ses pouvoirs illimités et d'une confiance sans bornes; enfin, parce que vous êtes la convention nationale d'une république représen

tative.

Si des doutes pouvoient s'élever parmi nous sur la latitude de nos mandats, je n'aurois pas l'injustice, trop ordinaire dans cette assemblée, de calomnier les motifs de cette diversité d'opinion; j'aurois seulement le courage de les combattre, et la franchise de vous dire que nous avons dans nous-mêmes le moyen efficace de lier la nation à notre décret : ce moyen est dans le rapprochement des esprits; ce moyen est dans une très-grande majorité pour le vote de cette affaire. Voilà ce qui dissiperoit tous les nuages, et qui comprimeroit toutes les factions.

Mais n'est-ce pas là une illusion du patriotisme? On parle de toutes parts d'appel au peuple, de ratification au peuple, de la souveraineté du peuple. Je sens qu'il est facile de se décider, par d'aussi honorables motifs, à déposer sur tout nos concitoyens le fardeau de la responsabilité personnelle à laquelle aucun de nous ne peut échapper, quelque chose qui arrive, si la nation est injuste ou

asservie.

Certes le procédé est commode, de se débarrasser d'un pénible devoir sur ceux qui nous l'ont imposé; mais ce procédé est-il nécessaire, quand vous pouvez terminer le procès par votre justice, qui est celle du souverain? Est-il utile, quand vous pouvez, par

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(No. 8.) e renvoi, diviser la nation en partis contraires? est-il convenable, lorsque vous avez accepté le pouvoir constituant, est-il conséquent de rejeter sur le peuple l'exercice de la souveraineté qu'il yous a expressément délégué ? n'est-ce pas là, au contraire, un acte de foiblesse et d'infidélité, plutôt qu'un hommage ou un

devoir ? Quand on gouverne, quand on constitue il n'y a que

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les résolutions fermes et justes qui soutiennent les révolutions et les empires. Les circonstances sont difficiles notre situation est critique; mais, pour un fait extraordinaire, pour un de ces tristes événemens que la politique n'offre qu'à des époques rares, le législateur quitte les sentiers battus, et il marche avec audace vers la liberté.

Tels sont les motifs de l'opinion que je vais énoncer: opinion fondée sur des principes incontestables de droit public, et sur la fermeté de ma conscience.

L'assentiment au parti du recours au peuple, que j'ai cru remarquer dans une grande partie de la convention, et que j'ai entendu soutenir par des orateurs éloquens, m'a engagé à examiner de plus près mon opinion; et, sans entêtement, j'y ai persisté.

J'avoue que si quelque considération avoit pu me faire refléchir davantage sur l'appel au peuple et sur la ratification nationale c'est de voir qu'un des orateurs qui s'est élevé contre cette mesure dans un état républicain, est le même qui la réclama en juillet 1791 dans un état monarchique. Si quelque chose avoit pu me faire changer, c'est de voir la même opinion partagée par un homme que je ne peux me résoudre à nommer, mais qui est connu par des opinions sanguinaires; c'est de voir mon opinion se rapprocher de celle de quelques sections de Paris; entr'autres, de cette section du Luxembourg, dont on auroit dû punir l'arrêté provocateur de la désobéissance aux lois, et coupable d'attentat à la liberté des opinions politiques.

Enfin, si quelque pensée avoit pu arrêter ma plume, c'eût été de me dire que si je repousse la ratification populaire pour extirper la royauté, en déracinant le tronc ; d'autres, avec la même opinion que moi, dans la république, ont peut-être l'arrière-pensée de substituer une idole à une autre, et de faire naître des príncipes les plus purs des moyens d'agitation et de trouble.

Mais non, ces diverses considérations n'ont rien ôté de l'énergie de la mienne, parce que j'ai cru voir de plus grands maux pour ma patrie, dans les suites inévitables de la consultation nationale sur le sort de l'individu qui fut roi.

Je ne viens donc ici caresser aucune passion, ni flatter aucun parti. Je viens exposer ma pensée, et ne veux influencer celle de personne. Je n'ai jamais ambitionné que ma voix comptât pour plus d'une. L'homme libre pense d'après lui-même; le juge opine pour lui seul.

Avant que d'entrer dans la discussion, je fais une simple observation sur la demande du rapport du décret qui a déclaré que Louis Capet seroit jugé par la convention.

Procès de Louis XVI. Tome III,

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Ce décret, exécuté par la défense publique de Louis Capet, qui en a été la suite nécessaire, et par votre discussion, qui dure depuis plus de dix jours, ne peut plus être rapporté. Dans les événemens révolutionnaires, les chemins par lesquels on marche sont rompus; les vaisseaux qui nous ont portés sont brûlés. On ne rétrograde pas en révolution.

D'ailleurs, pouviez-vous remettre à la conscience de quelques jurés, à la pusillanimité de quelques juges, le soin important de la sûreté générale qui vous est confié. Il eût suffi d'un quart des voix pour absoudre un tyran , pour le rendre à la nation, et pour faire le procès à l'assemblée législative, au peuple français et à la révolution républicaine. Or, pour obtenir ou pour arracher une telle minorité de suffrages, les diverses aristocraties et les cours étrangères auroient-elles manqué de moyens? La convention nationale peut être trompée un instant, mais elle est incorruptible.

Si un tribunal avoit jugé, il auroit absous ou il auroit déclaré coupable. S'il avoit absous, ce qui ne peut se présumer, n'auriezvous pas dû prendre de nouvelles mesures de sûreté générale contre Louis Capet, au milieu d'une guerre générale au-dehors, d'une anarchie cruelle au-dedans? S'il l'avoit déclaré coupable, le tribunal n'auroit-il pas pu élever des doutes sur l'application de la loi ? Et alors, dans les doutes, comment auroit-il déterminé la peine? N'auroit-il pas pu, n'auroit-il pas dû recourir à la convention na→ tionale, s'il avoit pensé que les lois existantes étoient muettes sur Bespèce particulière des crimes de Louis Capet?

Ainsi, dans tous les cas d'absolution ou de condamnation, la convention nationale devroit toujours s'en occuper, soit pour la peine à infliger, soit pour les mesures de sûreté générale.

Un homme qui fut roi, qui fut le premier fonctionnaire public, qui fut couvert d'une inviolabilité quelconque, présentoit trop de rapports d'intérêt national, trop de considérations d'intérêt public, pour que des magistrats, autres que les représentans du peuple pussent en connoître. Dans quel tribunal, devant quels jurés, à quelle majorité auroit-on pu discuter et juger les grands intérêts politiques et révolutionnaires auxquels l'existence de cet accusé est évidemment liée ?

Sans doute ce procès aussi important aujourd'hui sous les divers rapports que les ambitions particulières y ont rénnis; ce procès qui exalte toutes les têtes, qui excite tout ce que les passions ont de plus vil et de plus généreux; ce procès, qui a usurpé une aussi grande influence sur l'affermissement de la république, n'au roit été qu'une affaire ordinaire pour la convention; il n'auroit pas consumé le temps précieux qui appartient à la constitution, à l'examen de l'état de nos armées et à la défense générale, s'il avoit pu être renvoyé à un grand tribunal ou jury national. Mais la convention a décrété sa compétence unique; la convention s'est formée en tribunal révolutionnaire ; voilà la source ou le prétexte des difficultés et des doutes."

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;

On a parlé de recours au peuple, quand on a vu s'approcher le

terine du jugement; et l'on n'a pas réclamé le recours, quand il s'est agi de l'étendue de nos pouvoirs, et de la déclaration de notre compétence. Cependant, si le recours à la nation avoit été soutenable dans quelque systême, ce ne pouvoit être que quand vous interprêtiez, quand vous déclariez la nature et l'étendue de vos mandats. Voilà donc le seul décret, le seul fait de cette affaire que vous auriez pu et dû soumettre à vos commettans, 'si une grande majorité de doutes s'étoit élevée dans cette assemblée, évidemment munie de tous les pouvoirs; ou si diverses sections de la nation avoient posé des bornes à votre compétence. Voilà la seule précaution qui pouvoit être prise sans attaquer les principes de la représentation, puisqu'il ne s'agissoit là que d'un fait et d'un mandat. Mais on parle de recourir au peuple, après que vous aurez prononcé. Je viens m'élever, de toutes mes forces, contre tout recours à la nation, soit sous le rapport de l'application de la peine, soit sous le rapport de l'appel du jugement, soit sous le rapport de la ratification.

Voici le plan simple de mon discours, sur les faits et sur les formes, sur l'appel au peuple, sur la souveraineté nationale, sur les considérations et les intérêts politiques.

1o. Louis a été accusé de conspiration contre la liberté des Français, il a été entendu, et les formes prescrites par la justice ont été observées. Louis me paroît coupable. Ses défenseurs l'ont justifié, en divisant les faits pour les atténuer. Je les rapproche pour les faire ressembler à ce qui s'est passé.

2°. Le jugement de Louis Capet étoit la suite naturelle de la Connoissance des faits et de sa défense. Vous alliez prononcer, lorsque tout-à-coup la scène s'est aggrandie sous la plume de quelques orateurs. Le recours au peuple, qui étoit l'arme de l'accusé, est devenue l'arme de plusieurs juges. Des bornes ont été posées à votre mandat conventionnel. Des doutes ont été jetés dans vos esprits. On a parlé de faire confirmer ou infirmer un décret qui n'est pas encore rendu; et des juges se sont occupés des moyens qui peuvent s'élever contre leur jugement, avant que le jugement soit prononcé. On a parlé d'appel au peuple; j'examinerai ce que l'on peut faire de ce moyen.

3o. On a invoqué l'intervention de la nation à cause de sa souveraineté, et parce qu'elle seule peut dépouiller Louis Capet de l'inviolabilité dont elle l'a investi par la constitution royale. J'examinerai l'abus qu'on a fait de ce moyen imposant de la souveraineté du peuple, et de la prétendue inviolabilité.

4°. Enfin, la politique fit les tyrans, la politique a essayé de les sauver. Il faudra donc examiner s'il importe à la France, sous les rapports politiques, de renvoyer cette grande affaire à la ratification nationale.

PREMIERE PARTIE.

Sur les faits et sur les formes.

C'est aux commissaires de la convention nationale chargés du dé

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