Page images
PDF
EPUB

bunal qui ne seroit pas celui du peuple, qui ne seroit pas en quelque sorte le peuple lui-même, je ne croirai jamais à son incorruptibilité. J'infere de-là que la saine politique se réunit à la justice pour faire décider que Louis XVI sera jugé par la convention. Nous allons rapidement examiner quelles formes il convient d'employer dans ce jugement.

S'il s'agissoit ici d'un jugement ordinaire, je dirois qu'il faut un juré d'accusation, un juré de jugement, un tribunal qui applique la loi ces formes ont été sagement inventées pour contenir les juges dans le devoir, et pour assurer le bien jugé des prévenus. Quand la nation a voté l'institution des jurés, elle est censée avoir dit: « Je ne puis moi-même examiner tous les délits qui se coní-» mettent dans mon territoire ; mais ne voulant pas m'en rapporter » à la volonté, souvent dépravée, d'un juge, je veux au moins que >> tous les membres qui me composent, faute d'être examinés par » moi, le soient par leurs pairs, leurs voisins, leurs concitoyens ; je veux en quelque sorte me faire remplacer par un jury; et » pour assurer davantage les droits des accusés, je veux qu'il y » ait deux sortes de jurys, le jury d'accusation et le jury de juge»ment ». Or, ces formes, précieuses en elles-mêmes, ces formes tutélaires deviennent inutiles alors que la nation se constitue pour ainsi dire, en cour de justice, alors qu'elle exerce sa souveraineté, sou droit de surveillance, soit par elle, soit par ses représentans légitimes.

n

[ocr errors]

Proposer à la convention nationale de se diviser en sections, d'établir dans son sein divers jurys, ce seroit, à mon avis, lui contèsler` le droit de juger Louis XVI; car elle ne le juge que comme réprésentant du peuple souverain, que comine convention nationaler et si l'on admettoit cette division en jury d'accusation et de jugement, la convention ne jugeroit plus comme représentant du souverain elle jugeroit comme tribunal ordinaire; et comme tribunal ordinaire, la constitution lui interdit à elle-même le droit de juger le ci-devant roi. Il est donc évident que dans cette occurrence la convention nationale ne doit employer d'autres formes que celies usitées lorsqu'elle délibère sur les intérêts généraux ou particuliers de l'état faire recueillir par un comité toutes les pièces relatives à la conspiration de Louis XVI, interroger Louis XVI, entendre sa défense, lui donner des avocats s'il n'en choisit pas spontanément. et ensuite voter par appel nominal; voilà, ce me semble, à quoi se réduit toute la théorie de ce fameux jugement.

Si la convention nationale n'avoit jamais offert le spectacle des méfiances personnelles et des préventions injustes; si quelques-uns de ses membres ne se plaisoient à empoisonner les opinious souvent les plus innocentes, je vous proposerois, législateurs, de donner à ce jugement quelque solemnité; je vous proposerois de le rendre au champ de la Fédération, sur l'autel de la patrie, en présence, du peuple, et sous les yeux de l'Eternel: mais on diroit peutêtre..... Je me tais, car je ne veux pas réveiller des passions qui doivent bientôt s'éteindre dans le sang du tyran. Oui, elles s'éteindront quand il s'agira de punir avec justice: si nous nous sommes

réunis pour détrôner Louis XVI, nous nous réunirons encore le jour qu'il faudra justifier le renversement du trône par la mort du despote...

Il ne reste plus qu'une question, celle de savoir si le jugement de la convention nationale devra être ratifié par le peuple ; et s'il est une opinion que je respecte, c'est celle des citoyens qui voteront pour l'affirmative. Toutes les fois qu'il s'agira de reporter la souveraineté à sa source, je me déciderai pour cette opinion lorsque je la croirai praticable; car, j'aime à le répéter souvent, je ne connois, moi, de bornes à l'autorité souveraine de la nation, que celle de l'impossible.

On va m'objecter qu'en supposant Louis XVI coupable, il n'y aura pas d'impossibilité à ce que les assemblées primaires appliquent la loi, dès que la convention nationale l'aura déclaré coupable partant, que suivant mon principe même, la convention doit se borner à vérifier les faits de la culpabilité, laissant au peuple le droit d'indiquer la peine.

Je réponds d'abord que cette question, présentée sous une seule face par le comité de législation, offre cependant deux faces, même deux questions toutes différentes, Le comité de législation a demandé si le jugement de la convention nationale seroit susceptible de ratification par le peuple, ce qui suppose que la convention ap pliquera elle-même la loi; mais d'autres demandent, si le peuple fera l'application de la loi, après que la convention aura constaté les faits, et c'est une autre hypothèse.

On pourroit dire contre, le systéme du comité de législation quo les représentans du peuple ont déjà décrété que la constitution toute entière seroit soumise à l'examen de la nation; partant, que le jugement de Louis XVI doit également y étre soumis; mais je réponds à cette objection, je réponds en faveur du systême du comité, que la constitution d'un peuple est son pacte social; que pour que ce pacte existe, il faut qu'il soit consenti; que pour qu'il soit consenti, il faut qu'il ait été librement examiné, discuté, révisé. Je réponds que le jugement d'un homme n'est point un acte de cette nature; ce n'est, comme je l'ai déjà dit, qu'un fait de surveillance et de défense personnelle; et si le peuple a bien voulu nous charger de le défendre contre les attaques des ennemis du dehors et du ledans, sans exiger la révision de nos décrets, pourquoi exigeroiton pour lui la révision du décret qui condamnera ou absoudra Louis XVI? Dire que l'arrêt, de vie ou de mort de Louis XVI doit étre sanctionné par le peuple, c'est dire que tous les décrets particuliers, tous les décrets de circonstance n'ont force de loi qu'après la sanchion populaire; et soutenir un pareil systême, c'est prétendre qu'il n'y aura jamais de gouvernement en France.

Quant à la deuxième question, qui consiste à savoir si la convention nationale ne doit pas se borner aux fonctions de juré d'accusation, en laissant au peuple le soin d'appliquer la loi; elle n'est pas plus difficile à résoudre. Qu'est-ce qu'appliquer la loi ? C'est juger. Qu'est-ce que juger? C'est prononcer après une mûre délibération: or, 25 millions d'hommes répandus, sur une surface in

mense, peuvent-ils délibérer? Non; ils ne peuvent donc pas juger; ils ne peuvent donc pas appliquer la loi.

J'avoue que ce seroit un grand et sublime spectacle que de voir Louis XVI condamné par la voix unanime du peuple ; j'avoue qu'une telle condamnation fermeroit la bouche à ceux qui ne manqueront pas de dire que les formes ont été violées ; j'avoue que l'univers entier seroit bientôt convaincu de la réalité de cette conspiration dont Louis XVI est le chef, si la nation lui avoit dit : tyran, meure, expie tes forfaits. Mais comme je trouve cette condamnation impossible, parce que je trouve impossible de la faire précéder par une délibération, je ne puis me borner qu'à des regrets, mais à des regrets d'autant moins violens, que je me repose avec plus de confiance sur la sévère équité de la convention nationale.

Je dirai encore un mot : la révolution est faite, mais elle n'est pas consolidée la voix des royalistes est étouffée; mais elle n'est point éteinte ne seroit-il pas possible qu'ils se portassent à des excès dans les assemblées primaires, si l'on discutoit la vie ou la mort de celui que si long-temps ils ont appellé leur maître? Craignons les guerres civiles; évitons l'occasion de faire des rebelles; épargnons le sang quand il n'est pas nécessaire pour cimenter la liberté.

Citoyens, faut-il vous parler d'Antoinette? Faut-il que ce nom jusfement proscrit souille encore la tribune? Non; prononcez contre elle le décret d'accusation, et qu'un tribunal ordinaire soit chargé du soin de la juger.

:

Mais son fils! son fils n'a pas mérité la mort; qu'il est heureux cet enfant qu'il est heureux que la convention ait aboli la royauté ! il pourra devenir homme de bien. La révolution du monde se prépare, bientôt les rois ne seront plus alors vous pourrez le mettre en liberté en attendant, j'ai la douleur de voter pour la détention d'un être qui seroit dangereux dans le monde, et qu'on doit enchaîner comme on enchaîne un lionceau, un jeune tigre, pour l'empêcher de dévorer les hommes.

Je me résume, et je conclus à ce que Louis soit jugé; à ce qu'il soit jugé par la convention nationale; à ce qu'il soit jugé par elle, comme si le peuple jugeoit lui-même. Je conclus au décret d'accusation contre sa femme, et finalement à la détention contre le fils, détention qui ne finira que le jour où il n'y aura plus de rois en Europe.

[ocr errors][merged small][ocr errors]

Opinion du citoyen BousQUET, député du département dit Gers, sur le jugement du ci-devant roi; imprimée par ordre de la convention nationale.

Citoyens, Louis est accusé; il est présumé coupable, puisqu'il est prisonnier : vous ne pouvez donc plus éluder son jugement. Vous lui devez cet acte de justice; la république et l'Europe l'attendent. L'inviolabilité est la seule objection qui vous a été faite. Plusieurs orateurs l'ont combattue avec des moyens qu'ils ont puisés dans la constitution, tandis que j'apperçois dans cette même cons titution que le roi a pu cesser d'être inviolable, et qu'alors rentrant dans la classe de simple citoyen, il doit être accusé et jugé. C'est en examinant la conduite de Louis, que vous connoîtrez le jour qu'il a cessé d'être inviolable. Faites-le paroître à cette barre; dites-lui de vous rendre compte des actes formels qu'il a dû opposer à la conduite la plus criminelle de ses frères qui ont fait des emprunts en son nom, qui se sont coalisés avec tous les monstres que la France avoit vomis, et avec les tyrans du Nord qui ont souillé la terre de la liberté, en y introduisan t leurs esclaves enrégimentés.

[ocr errors]

Si Louis, en répondant à vos questions, vous prouve son in nocence vous ne devez plus vous occuper de l'individu, jadis roi; vous ferez savoir à toutes les nations que c'est le vrai sou verain qui a détruit la royauté, et réduit en cendres le trône du despotisme, pour rendre immortel celui de la liberté et de l'égalité. Si, comme tout l'annonce, vous trouvez que l'homme qui nous occupe est coupable, vous devez le décréter d'accusation et former le tribunal qui doit le juger.

On vous a proposé de vous ériger en tribunal, pour prononcer au nom de la nation sur le sort du ci-devant roi. Comment des républicains ont-ils osé vous demander ainsi l'infraction des lois sacrées de la morale, cette justice, unique providence des républiques, qui seule peut préserver la liberté naissante d'être étouffée au berceau. La morale est une, la justice est une; l'une et l'autre doivent être éternelles comme la divinité dont elles émaneut. D'après cette morale et cette justice, l'interprête de la loi doit être impartial et juste comme elle: la partie ne doit pas être juge l'homme qui accuse devant la loi ne doit pas être celui qui la prononce. Cette morale, cette justice qui est de tous les temps, de tous les lieux et de toutes les circonstances, seroit violée par vous, si vous deveniez tout-à-la-fois dénonciateurs et juges.

Les Anglais ont bien connu le mérite de cette distinction si précieuse à l'innocence contre le dénonciateur, le jury et le juge. Cette institution si nécessaire avoit été adoptée par l'assemblée constituante. Si les fondateurs de la république doivent l'adopter aussi, ils ne présenteront pas à la nation l'exemple de la violation d'une des premières lois de la justice.

Confondre

(9)

(No. 2.) Confondre des fonctions qui doivent être distinctes et indépendantes, juger celui qu'on a accusé, c'est imiter les tyrans; les formes judiciaires, dans notre nouvelle jurisprudence criminelle, sont essentiellement liées, à la justice; elles donnent à l'accusé la certitude d'un jugement impartial. Louis étant prévenu du crime de lèse-nation, c'est vous, représentans du peuple, qui devez le poursuivre; c'est vous, qui devez annoncer à la nation que Vous Pavez trouvé coupable, et qu'elle doit se hâter de nommer ses juges.

[ocr errors]

1

Je pense donc, citoyens-législateurs, que le ci-devant roi doit être traduit à la barre que vous devez l'entendre, et qu'en envoyant son décret d'accusation à tous les départemens, vous devez appeler la nation à ses assemblées primaires pour élire le jury et les juges. Acquittés de ce devoir, hâtez-vous de bien organiser la république, donnez au peuple une constitution qui puisse le rendre heureux, et ne livrez pas, l'habitaut des campagnes au danger de l'ignorance. Hâtez-vous donc de bien organiser les écoles primaires.

Opinion de JEAN-BAPTISTE LE CARPENTIER, député du département de la Manche à la convention nationale, sur l'affaire de Louis XVI; imprimée par ordre de la convention nationale.

Citoyens-législateurs, demander si Louis Capet est jugeable c'est mettre en probleme l'évidence; en question, un théorème, un axiôme; c'est insulter à la raison, à la justice; c'est vouloir présenter l'égalité comme un fantôme ; c'est indirectement faire retomber sur la nation opprimée, les crimes de son oppresseur; c'est nier la souveraineté du peuple, douter de sa loyauté, et lui reprocher d'avoir frappé du glaive de la loi tant d'hommes, peutêtre, moins coupables; enfin, c'est prolonger trop long-temps de fastidieuses discussions sur une question imaginaire', et reculer une décision attendue avec impatience, qui doit grandement contribuer au salut de la république (†).

[ocr errors]

En effet, par quelle fatalité voudroit-on placer Louis XVI audessus des lois et le soustraire à leur vengeance? Seroit-ce parce qu'il a été roi, et que quelques-uns en voient encore à l'image dans sa personne ? Grand dieu ! jusques à quand durera le prestige de la royauté? jusques à quand angélisera-t-on, divinisera-t-on les hommes ? Jusques à quand les préjugés viendront-ils rompre le fil de l'égalité ?..... Nous nous disons républicains, mais qu'il vaudroit bien mieux l'être véritablement....

(1) Beaucoup d'orateurs, ont traité cette importante question. Les uns ont déployé tous les charmes, même tous les artifices de l'éloquence pour sauver Louis Capet; les autres ont employé la force de la raison, et de la suprême justice et de la saine politique, pour démontrer qu'il doit être jugé et puni, Jeune encore et peu avan é dans la vaste carrière des lois, et des gouvernemens, je donne mon opinion, sans alentours oratoires, et avec la franchise qui est propre à un vrai républicain. Proces de Louis XVI., Tome III. Supplément.

B

« PreviousContinue »