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ART. l'usage d'un bulletin officiel que le ministre de la justice fut chargé d'adresser aux présidents des administrations départementales et municipales, et aux divers fonctionnaires mentionnés dans le décret. Elle déclara que les lois et actes du corps législatif obligeraient, dans l'étendue de chaque département, du jour que le bulletin officiel serait distribué au chef-lieu du département; et que ce jour serait constaté par un registre où les administrateurs de chaque département certifieraient l'arrivée de chaque numéro.

L'envoi d'un bulletin officiel aux administrations et aux tribunaux est encore aujourd'hui le mode que l'on suit pour la promulgation et pour la publication des lois.

Dans le projet de code civil, les rédacteurs se sont occupés de cet objet; ils ont consacré le principe que les lois doivent être adressées aux autorités chargées de les exécuter ou de les appliquer.

Ils ont pensé que les lois dont l'application appartient aux tribunaux devraient être exécutoires dans chaque partie de la république du jour de leur publication par les tribunaux d'appel, et que les lois administratives devraient être exécutoires du jour de la publication faite par les corps administratifs.

Ils ont ajouté que les lois dont l'exécution et l'application appartiendraient à la fois aux tribunaux et à d'autres autorités, leur seraient respectivement adressées, et qu'elles seraient exécutoires, en ce qui est relatif à la compétence de chaque autorité, du jour de la publication par l'autorité compétente.

Les avantages et les inconvénients des divers systèmes ont été balancés par le gouvernement, et il a su s'élever aux véritables principes.

Une loi peut être considérée sous deux rapports: 1o relativement à l'autorité dont elle est émanée; 2o relativement au peuple ou à la nation pour qui elle est faite.

Toute loi suppose un législateur.

La promulgation ne fait pas la loi; mais l'exécu- ART. tion de la loi ne peut commencer qu'après la promulgation de la loi : Non obligat lex, nisi promul| gata.

La promulgation est la vive voix du législateur. En France, la forme de la promulgation est constitutionnelle : car la constitution règle que les lois seront promulguées, et qu'elles le seront par le premier consul.

D'après la constitution, et d'après les maximes du droit public universel, nous avons établi, dans le projet, que les lois seraient exécutoires en vertu de la promulgation faite par le premier consul.

Si la voix de ce premier magistrat pouvait retentir à la fois dans tout l'univers français, toute précaution ultérieure deviendrait inutile. Mais la nature même des choses résiste à une telle supposition.

Il faut pourtant que la promulgation soit connue ou puisse l'être.

Il n'est certainement pas nécessaire d'atteindre chaque individu. La loi prend les hommes en masse. Elle parle, non à chaque particulier, mais au corps entier de la société.

Il suffit que les particuliers aient pu connaître la loi. C'est leur faute s'ils l'ignorent quand ils ont pu et dû la connaître, idem est scire aut scire debuisse, aut potuisse. L'ignorance du droit n'excuse pas.

La loi était autrefois un mystère jusqu'à sa formation. Elle était préparée dans les conseils secrets du prince. Lors de la vérification qui en était faite par les cours, la discussion n'en était pas publique, tout était dérobé constamment à la curiosité des citoyens. La loi n'arrivait à la connaissance des citoyens que comme l'éclair qui sort du nuage.

Aujourd'hui il en est autrement. Toutes les discussions et toutes les délibérations se font avec solennité et en présence du public. Le législateur ne se cache jamais derrière un voile. On connaît ses pensées avant même qu'elles soient réduites en commandements. Il prononce la loi au moment même où

Toute loi suppose encore un peuple qui l'observe elle vient d'être formée, et il la prononce publiet qui lui obéisse.

Entre la loi et le peuple pour qui elle est faite, il faut un moyen ou un lien de communication : car il est nécessaire que le peuple sache ou puisse savoir que la loi existe et qu'elle existe comme loi.

La promulgation est le moyen de constater l'existence de la loi auprès du peuple, et de lier le peuple à l'observation de la loi.

Avant la promulgation, la loi est parfaite relativement à l'autorité dont elle est l'ouvrage, mais elle n'est point encore obligatoire pour le peuple en faveur de qui le législateur dispose.

quement.

Un délai de dix jours précède la promulgation, et pendant ce délai, la loi circule dans toutes les parties de l'empire.

Elle est donc déjà publique avant d'être promulguée.

Cependant, comme ce n'est là qu'une publicité de fait, nous avons cru devoir encore la garantir par cette publicité de droit qui produit l'obligation et qui force l'obéissance, après la promulgation. Nous avons en conséquence ménagé de nouveaux délais pendant lesquels la loi promulguée dans le

ART. lieu où siége le gouvernement, peut être successivement parvenue jusqu'aux extrémités de la république.

On avait jeté l'idée d'un délai unique, d'un délai uniforme, après lequel la loi aurait été dans le même instant exécutoire partout.

Mais cette idée ne présentait qu'une fiction démentie par la réalité. Tout est successif dans la marche de la nature : tout doit l'être dans la marche de la loi.

Il eût été absurde et injuste que la loi fût sans exécution dans le lieu de sa promulgation et dans les contrées environnantes, parce qu'elle ne pouvait pas encore être connue dans les parties les plus éloignées du territoire national.

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Personne n'est affligé de la dépendance des choses. d'effet rétroactif. On l'est de l'arbitraire de l'homme.

J'ajoute que de grands inconvénients politiques auraient pu être la suite d'une institution aussi con

A l'exemple de toutes nos assemblées nationales, nous avons proclamé ce principe.

Il est des vérités utiles qu'il ne suffit pas de pu

traire à la justice qu'à la raison et à l'ordre phy-blier une fois, mais qu'il faut publier toujours, et sique des choses. qui doivent sans cesse frapper l'oreille du magistrat,

Nous avons donc gradué les délais d'après les dis- du juge, du législateur, parce qu'elles doivent constamment être présentes à leur esprit.

tances.

Le système du projet de loi fait disparaître tout ce que les différents systèmes admis jusqu'à ce jour offraient de vicieux.

Je ne parle point de ce qui se pratiquait sous l'ancien régime. Les institutions d'alors sont inconciliables avec les nôtres.

Mais j'observe que dans ce qui s'est pratiqué depuis la révolution, on avait trop subordonné l'exécution de la loi au fait de l'homme.

Partout on exigeait des lectures, des transcriptions de la loi ; et la loi n'était pas exécutoire avant ces transcriptions et ces lectures. A chaque instant, la négligence ou la mauvaise foi d'un officier public pouvaient paralyser la législation, au grand préjudice de l'État et des citoyens.

Les transcriptions et les lectures peuvent figurer comme moyens secondaires, comme précautions de

secours.

Mais il ne faut pas que la loi soit abandonnée au caprice des hommes. Sa marche doit être assurée et imperturbable. Image de l'ordre éternel, elle doit, pour ainsi dire, se suffire à elle-même. Nous lui rendons toute son indépendance, en ne subordonnant son exécution qu'à des délais, à des précautions commandées par la nature même.

Le plan des rédacteurs du projet de code joignait au vice de tous les autres systèmes, un vice de plus.

Dans ce plan, on distinguait les lois administratives d'avec les autres; et, pour la publication, on

L'office des lois est de régler l'avenir. Le passé n'est plus en leur pouvoir.

Partout où la rétroactivité des lois serait admise, non-seulement la sûreté n'existerait plus, mais son ombre même.

La loi naturelle n'est limitée ni par le temps, ni par les lieux, parce qu'elle est de tous les pays et de tous les siècles.

Mais les lois positives, qui sont l'ouvrage des hommes, n'existent pour nous que quand on les promulgue, et elles ne peuvent avoir d'effet que quand elles existent.

La liberté civile consiste dans le droit de faire ce que la loi ne prohibe pas. On regarde comme permis tout ce qui n'est pas défendu.

Que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouvait craindre qu'après coup il serait exposé au danger d'être recherché dans ses actions, ou troublé dans ses droits acquis, par une loi postérieure!

Ne confondons pas les jugements avec les lois. Il est de la nature des jugements de régler le passé, parce qu'ils ne peuvent intervenir que sur des actions ouvertes, et sur des faits auxquels ils appliquent des lois existantes. Mais le passé ne saurait être du domaine des lois nouvelles, qui ne le régissaient pas.

Le pouvoir législatif est la toute-puissance humaine.

La loi établit, conserve, change, modifie, per

ART. fectionne. Elle détruit ce qui est; elle crée ce que Dans le cours de son voyage, ou pendant le temps

pays dans lequel il passe, ou dans lequel il réside. ART.

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n'est pas encore.

La tête d'un grand législateur est une espèce d'Olympe d'où partent ces idées vastes, ces conceptions heureuses qui président au bonheur des hommes et à la destinée des empires. Mais le pouvoir de la loi ne peut s'étendre sur des choses qui ne sont plus, et qui, par là même, sont hors de tout pouvoir.

L'homme, qui n'occupe qu'un point dans le temps comme dans l'espace, serait un être bien malheureux, s'il ne pouvait pas se croire en sûreté, même pour sa vie passée pour cette portion de son existence, n'a-t-il pas déjà porté tout le poids de sa destinée? Le passé peut laisser des regrets; mais il termine toutes les incertitudes. Dans l'ordre de la nature, il n'y a d'incertain que l'avenir, et encore l'incertitude est alors adoucie par l'espérance, cette compagne fidèle de notre faiblesse. Ce serait empirer la triste condition de l'humanité, que de vouloir changer, par le système de la législation, le système de la nature, et de chercher, pour un temps qui n'est plus, à faire revivre nos craintes, sans pouvoir nous rendre nos espérances.

Loin de nous l'idée de ces lois à deux faces, qui, ayant sans cesse un œil sur le passé, et l'autre sur l'avenir, dessécheraient la source de la confiance, et deviendraient un principe éternel d'injustice, de bouleversement et de désordre.

Pourquoi, dira-t-on, laisser impunis des abus qui existaient avant la loi que l'on promulgue pour les réprimer? Parce qu'il ne faut pas que le remède soit pire que le mal. Toute loi naît d'un abus. Il n'y aurait donc point de loi qui ne dût être rétroactive. Il ne faut point exiger que les hommes soient avant la loi ce qu'ils ne doivent devenir que par elle.

Lois de police et de sûreté.

Toutes les lois, quoique émanées du même pouvoir, n'ont point le même caractère, et ne sauraient conséquemment avoir la même étendue dans leur application, c'est-à-dire, les mêmes effets; il a donc fallu les distinguer.

Il est des lois, par exemple, sans lesquelles un État ne pourrait subsister. Ces lois sont toutes celles qui maintiennent la police de l'État, et qui

veillent à sa sûreté.

Nous déclarons que des lois de cette importance obligent indistinctement tous ceux qui habitent le territoire.

Il ne peut, à cet égard, exister aucune différence entre les citoyens et les étrangers.

Un étranger devient le sujet casuel de la loi du

:

plus ou moins long de sa résidence, il est protégé par cette loi il doit donc la respecter à son tour. L'hospitalité qu'on lui donne appelle et force sa reconnaissance.

D'autre part, chaque État a le droit de veiller à sa conservation; et c'est dans ce droit que réside la souveraineté. Or, comment un État pourrait-il se conserver et se maintenir, s'il existait dans son sein des hommes qui pussent impunément enfreindre sa police et troubler sa tranquillité? Le pouvoir souverain ne pourrait remplir la fin pour laquelle il est établi, si des hommes étrangers ou nationaux étaient indépendants de ce pouvoir. Il ne peut être limité, ni quant aux choses, ni quant aux personnes. Il n'est rien s'il n'est tout. La qualité d'étranger ne saurait être une exception légitime pour celui qui s'en prévaut contre la puissance publique qui régit le pays dans lequel il réside. Habiter le territoire, c'est se soumettre à la souveraineté. Tel est le droit politique de toutes les nations.

A ne consulter même que le droit naturel, tout homme peut repousser la violence par la force. Comment donc ce droit qui compète à tout individu serait-il refusé aux grandes sociétés contre un étranger qui troublerait l'ordre de ces sociétés ? Des millions d'hommes réunis en corps d'État seraient-ils dépouillés du droit de la défense naturelle, tandis qu'un pareil droit est sacré dans la personne du moindre individu?

Aussi, chez toutes les nations, les étrangers qui délinquent sont traduits devant les tribunaux du pays. Nous ne parlons pas des ambassadeurs; ce qui les concerne est réglé par le droit des gens et par les traités.

Lois personnelles.

S'agit-il des lois ordinaires? On a toujours distin- 3 gué celles qui sont relatives à l'état et à la capacité des personnes, d'avec celles qui règlent la disposition des biens. Les premières sont appelées personnelles, et les secondes réelles.

Les lois personnelles suivent la personne partout. Ainsi la loi française, avec des yeux de mère, suit les Français jusque dans les régions les plus éloignées; elle les suit jusqu'aux extrémités du globe.

La qualité de Français, comme celle d'étranger, est l'ouvrage de la nature ou celui de la loi. On est Français par la nature, quand on l'est par sa naissance, par son origine. On l'est par la loi, quand on le devient en remplissant toutes les conditions

ART. que la loi prescrit pour effacer les vices de la naissance ou de l'origine.

Mais il suffit d'être Français pour être régi par la loi française, dans tout ce qui concerne l'état de la personne.

Un Français ne peut faire fraude aux lois de son pays pour aller contracter mariage en pays étranger sans le consentement de ses père et mère, avant l'âge de vingt-cinq ans. Nous citons cet exemple entre mille autres pareils, pour donner une idée de l'étendue et de la force des lois personnelles.

Les différents peuples, depuis les progrès du commerce et de la civilisation, ont plus de rapport entre eux qu'ils n'en avaient autrefois. L'histoire du commerce est l'histoire de la communication des hommes. Il est donc plus important qu'il ne l'a jamais été, de fixer la maxime que, dans tout ce qui regarde l'état et la capacité de la personne, le Français, quelque part qu'il soit, continue d'être régi par la loi française.

Lois réelles.

3 Les lois qui règlent la disposition des biens sont appelées réelles : ces lois régissent les immeubles, lors même qu'ils sont possédés par des étrangers. Ce principe dérive de ce que les publicistes appellent le domaine éminent du souverain.

Point de méprise sur les mots domaine éminent; ce serait une erreur d'en conclure que chaque État a un droit universel de propriété sur tous les biens de son territoire.

Les mots domaine eminent n'expriment que le droit qu'a la puissance publique de régler la disposition des biens par des lois civiles, de lever sur ces biens des impôts proportionnés aux besoins publics, et de disposer de ces mêmes biens pour quelque objet d'utilité publique, en indemnisant les particuliers qui les possèdent.

vaient être régies par des lois qui n'émaneraient art. pas du même souverain.

Il est donc de l'essence même des choses, que les immeubles, dont l'ensemble forme le territoire public d'un peuple, soient exclusivement régis par les lois de ce peuple, quoiqu'une partie de ces immeubles puisse être possédée par des étrangers.

Règles pour les juges.

Il ne suffisait pas de parler des effets principaux 4 des lois, il fallait encore présenter aux juges quelques règles d'application.

La justice est la première dette de la souveraineté; c'est pour acquitter cette dette sacrée que les tribunaux sont établis.

Mais les tribunaux ne rempliraient pas le but de leur établissement, si, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, ils refusaient de juger. Il y avait des juges avant qu'il y eût des lois, et les lois ne peuvent prévoir tous les cas qui peuvent s'offrir aux juges. L'administration de la justice serait donc perpétuellement interrompue, si un juge s'abstenait de juger toutes les fois que la contestation qui lui est soumise n'a pas été prévue par une loi?

L'office des lois est de statuer sur les cas qui arrivent le plus fréquemment. Les accidents, les cas fortuits, les cas extraordinaires, ne sauraient être la matière d'une loi.

Dans les choses même qui méritent de fixer la sollicitude du législateur, il est impossible de tout fixer par des règles précises. C'est une sage prévoyance de penser qu'on ne peut tout prévoir.

De plus, on peut prévoir une loi à faire sans croire devoir la précipiter. Les lois doivent être préparées avec une sage lenteur. Les États ne meurent pas, et il n'est pas expédient de faire tous les jours de nouvelles lois.

Il est donc nécessairement une foule de circonstances dans lesquelles un juge se trouve sans loi. Il faut donc laisser alors au juge la faculté de sup

Au citoyen appartient la propriété, et au souverain l'empire. Telle est la maxime de tous les pays et de tous les temps; mais les propriétés particulières des citoyens, réunies et contigues, for-pléer à la loi par les lumières naturelles de la

ment le territoire public d'un État; et, relativement aux nations étrangères, ce territoire forme un seul tout, qui est sous l'empire du souverain ou de l'État. La souveraineté est un droit à la fois réel et personnel. Conséquemment, aucune partie du territoire ne peut être soustraite à l'administration du souverain, comme aucune personne habitant le territoire ne peut être soustraite à sa surveillance ni à son autorité.

La souveraineté est indivisible. Elle cesserait de l'être, si les portions d'un même territoire pou

droiture et du bon sens. Rien ne serait plus puéril que de vouloir prendre des précautions suffisantes pour qu'un juge n'eût jamais qu'un texte précis à appliquer. Pour prévenir les jugements arbitraires, on exposerait la société à mille jugements iniques, et, ce qui est pis, on l'exposerait à ne pouvoir plus se faire rendre justice; et avec la folle idée de décider tous les cas, on ferait de la législation un dédale immense, dans lequel la mémoire et la raison se perdraient également.

Quand la loi se tait, la raison naturelle parle en

ART. core si la prévoyance des législateurs est limitée, la nature est infinie elle s'applique à tout ce qui peut intéresser les hommes; pourquoi voudrait-on méconnaître les ressources qu'elle nous offre? Nous raisonnons comme si les législateurs étaient des dieux, et comme si les juges n'étaient pas même des hommes.

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De tous les temps on a dit que l'équité était le supplément des lois. Or, qu'ont voulu dire les jurisconsultes romains, quand ils ont ainsi parlé de l'équité?

Le mot équité est susceptible de diverses acceptions. Quelquefois il ne désigne que la volonté constante d'être juste, et dans ce sens il n'exprime qu'une vertu. Dans d'autres occasions, le mot équité désigne une certaine aptitude ou disposition d'esprit qui distingue le juge éclairé de celui qui ne l'est pas, ou qui l'est moins. Alors l'équité n'est, dans le magistrat, que le coup d'œil d'une raison exercée par l'observation, et dirigée par l'expérience. Mais tout cela n'est relatif qu'à l'équité morale, et non à cette équité judiciaire dont les jurisconsultes romains se sont occupés, et qui peut être définie un retour à la loi naturelle, dans le silence, l'obscurité ou l'insuffisance des lois positives.

C'est cette équité qui est le vrai supplément de la législation, et sans laquelle le ministère du juge, dans le plus grand nombre des cas, deviendrait impossible.

Car il est rare qu'il naisse des contestations sur l'application d'un texte précis. C'est toujours parce que la loi est obscure ou insuffisante, ou même parce qu'elle se tait, qu'il y a matière à litige. Il faut donc que le juge ne s'arrête jamais. Une question de propriété ne peut demeurer indécise. Le pouvoir de juger n'est pas toujours dirigé dans son exercice par des préceptes formels. Il l'est par des maximes, par des usages, par des exemples, par la doctrine. Aussi le vertueux chancelier d'Aguesseau disait trèsbien que le temple de la justice n'était pas moins consacré à la science qu'aux lois, et que la véritable doctrine, qui consiste dans la connaissance de l'esprit des lois, est supérieure à la connaissance des lois mêmes.

Pour que les affaires de la société puissent marcher, il faut donc que le juge ait le droit d'interpréter les lois et d'y suppléer. Il ne peut y avoir d'exception à ces règles que pour les matières criminelles; et encore, dans ces matières, le juge choisit le parti le plus doux, si la loi est obscure ou insuffisante, et il absout l'accusé, si la loi se tait sur le crime.

toute la latitude convenable, nous lui rappelons les art. | bornes qui dérivent de la nature même de son pouvoir.

Un juge est associé à l'esprit de législation, mais il ne saurait partager le pouvoir législatif. Une loi est un acte de souveraineté, une décision n'est qu'un acte de juridiction ou de magistrature.

Or le juge deviendrait législateur, s'il pouvait, par des règlements, statuer sur les questions qui s'offrent à son tribunal. Un jugement ne lie que les parties entre lesquelles il intervient. Un règlement lierait tous les justiciables et le tribunal lui-même. Il y aurait bientôt autant de législations que de ressorts.

Un tribunal n'est pas dans une région assez haute pour délibérer des règlements et des lois. Il serait circonscrit dans ses vues comme il l'est dans son territoire; et ses méprises ou ses erreurs pourraient être funestes au bien public.

L'esprit de judicature, qui est toujours appliqué à des détails, et qui ne prononce que sur des intérêts particuliers, ne pourrait souvent s'accorder avec l'esprit du législateur, qui voit les choses plus généralement et d'une manière plus étendue et plus

vaste.

Au surplus, les pouvoirs sont réglés; aucun ne doit franchir ses limites.

Conventions contraires à l'ordre public et aux
bonnes mœurs.

Le dernier article du projet de loi, porte qu'on 6 ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs. Ce n'est que pour maintenir l'ordre public qu'il y a des gouvernements et des lois.

Il est donc impossible qu'on autorise entre les citoyens des conventions capables d'altérer ou de compromettre l'ordre public.

Des jurisconsultes ont poussé le délire jusqu'à croire que des particuliers pouvaient traiter entre eux comme s'ils vivaient dans ce qu'ils appellent l'état de nature, et de consentir tel contrat qui peut convenir à leurs intérêts, comme s'ils n'étaient gênés par aucune loi. De tels contrats, disent-ils, ne peuvent être protégés par des lois qu'ils offensent; mais comme la bonne foi doit être gardée entre des parties qui se sont engagées réciproquement, il faudrait obliger la partie qui refuse d'exécuter le pacte, à fournir par équivalent ce que les lois ne permettaient pas d'exécuter en nature.

Toutes ces dangereuses doctrines, fondées sur des subtilités, et éversives des maximes fondamenMais en laissant à l'exercice du ministère du juge tales, doivent disparaître devant la sainteté des lois.

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