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ART contre lesquels certaines condamnations seraient prononcées, on s'est bientôt accordé sur le nom qu'on donnerait à cette exclusion; et il a été reconnu que les termes de mort civile consacrés par l'ancienne législation française, et par les lois de tous les peuples civilisés, étaient les plus propres à rendre la pensée du législateur et à caractériser le retranchement du sein de la société prononcé contre les coupables. Celui qui est exclu de toute participation aux droits civils est hors de la société. Les lois civiles et politiques de cette société ne sont donc plus pour lui. Il ne peut ni recueillir les bienfaits, ni exercer les actions qui n'émanent que d'elles. Seulement, tant que son existence pèsera sur la terre qu'il a souillée et troublée par ses excès, l'humanité pourra réclamer en sa faveur ce qu'elle accorde à tous les êtres vivants, le droit de pourvoir à sa subsistance, lui d'être secouru s'il est menacé ou frappé : c'est l'effet de la pitié générale due à tout ce qui respire dans la nature; mais voilà tout ce qu'il peut prétendre. Tout ce qui vient de loi ne peut plus être réclamé par celui qui est mort à ses yeux.

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ce

L'article 23 porte «< que la condamnation à la mort a naturelle emportera la mort civile. » Ce serait en effet une contradiction bien étrange, si la loi regardait comme vivant celui qui n'existe que parce qu'il a dérobé sa tête coupable à sa juste vengeance.

C'est une sage amélioration que celle proposée dans l'article 24, qui veut qu'il n'y ait que des peines afflictives perpétuelles auxquelles la loi puisse attacher l'effet d'emporter la mort civile. Cette mort devant être en effet aussi perpétuelle, aussi irrévocable que celle prononcée par l'arrêt de la nature, ne peut être attachée qu'à des peines qui aient ellesmêmes ce caractère de perpétuité.

L'article 25 décrit les effets de la mort civile. Nous n'avons eu que deux difficultés à nous proposer sur les effets attribués par cet article à la mort civile; mais leur importance a excité toute notre attention.

L'incapacité de transmettre à titre de succession les biens acquis postérieurement à la mort civile encourue, a donné lieu à la première de ces difficultés ; la dissolution, quant aux effets civils du mariage précédemment contracté, a fait naître la seconde. Je les examine séparément.

A la disposition qui veut que le mort civilement ne puisse transmettre à titre de succession les biens par lui postérieurement acquis, et dont il se trouvera en possession au jour de sa mort naturelle, se rattache la disposition de l'article 33, qui règle le sort de ces biens, en déclarant qu'ils appartiendront à la nation par droit de déshérence, en laissant néan

moins au gouvernement la faculté de faire, au profit art. de la veuve, des enfants ou parents, telles dispositions que l'humanité lui suggérera.

On a en conséquence attaqué les deux articles tout à la fois. On a dit, contre le premier, que la mort civile ne brisait pas les liens naturels qui unissent le condamné à ses parents; que les rapports de la nature sont indépendants de la loi civile, qui ne peut ni les détruire ni les méconnaître; que le condamné a toujours, dans l'ordre naturel, une famille qui doit être appelée à recueillir sa succession.

On a critiqué la disposition faite par l'article 33, des biens acquis par le condamné depuis la mort civile encourue. On a prétendu que c'était, sous le nom de déshérence, faire revivre le droit odieux de confiscation, à jamais retranché de notre législation; que priver celui qui est mort civilement de l'espoir de laisser à sa famille le faible produit de ses travaux, c'etait l'éloigner du travail, et s'ôter ainsi le seul moyen de le voir rentrer dans le chemin de la vertu; on a ajouté que le droit conféré au gouvernement, de pouvoir faire au profit de la famille telle disposition que son humanité lui suggérera, étant purement facultatif, n'absout l'article d'aucun des reproches qu'on vient de lui faire.

Je réponds d'abord à la première branche de cette objection. Je conviens, avec ceux qui la proposent, que la loi civile ne peut rompre les liens naturels qui unissent les familles; mais je dis que la loi qui a attaché certains effets à ces liens naturels, peut les retrancher ou les modifier, suivant que l'intérêt social l'exige. Sans doute elle ne peut pas faire que les enfants d'un même père ne soient frères et sœurs; sans doute elle ne peut détruire ces rapports antérieurs et immuables qu'établit la nature; mais les conséquences de ces rapports dans les droits civils auxquels ils donnent ouverture dans les actions qu'elle autorise, et qui s'intentent en son nom, restent toujours dans son domaine; toujours elle peut les changer ou même les supprimer.

Cette vérité s'applique surtout à l'ordre des successions, qui est tout entier l'objet et l'apanage de la loi civile. Montesquieu, après avoir réfuté l'opinion que les règles des successions sont fondées sur l'ordre naturel, ajoute : « Le partage des biens, les « lois sur ce partage, les successions après la mort « de celui qui a eu ce partage: tout cela ne peut « avoir été réglé que par la société, et par conséquent par des lois politiques ou civiles 1. » La transmission des biens appartient donc uniquement

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'Esprit des Lois, liv. 16, chap. 26.

ART. et exciusivement à la loi. La nature conserve ses rapports, sans que la loi perde ses droits; et la loi peut fort bien reconnaître des parents dans l'ordre naturel, et méconnaître des héritiers dans l'ordre légal.

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Je prie maintenant les auteurs de l'objection de vouloir bien considérer avec moi les contradictions dans lesquelles leur système entraînerait le législateur. Car, tout en demandant que les parents du condamné succèdent aux biens qu'il a acquis depuis sa mort civile encourue, ils ne veulent cependant pas que, depuis cette époque, il succède lui-même à ses parents. Mais s'il est parent pour transmettre, il doit l'être aussi pour recueillir. S'il est de la famille quand il faut trouver des héritiers, il faut qu'il en soit aussi quand il s'agit de le devenir. Voilà les conséquences nécessaires de cet appel aux droits de la nature.

Certes, ces droits pourraient être bien plus puissamment invoqués par les parents de l'étranger mort en France, qui n'avait point, à la vérité, les droits et la qualité de Français, mais qui avait ou l'espérance ou la faculté de les acquérir; tandis que l'individu mort civilement les avait perdus par un crime, et était déclaré ou incapable ou indigne de les recouvrer; et cependant, comme l'ordre de succéder est le domaine exclusif de la loi civile, elle en prive la famille étrangère, qui n'est pas soumise à son empire.

droit de déshérence; telle est la conséquence néces- ART
saire du principe. Mais en même temps le gouver-
nement est autorisé, je pourrais même dire invité
par la loi, à faire, en faveur de la famille, toutes
les dispositions que l'humanité lui suggérera. Il n'y
a ni raisons, ni intérêt possible qui puissent jamais
détourner le gouvernement d'user de cette faculté,
ou de déférer à cette invitation. Cette espérance,
fondée sur la loi, naîtra dans l'âme du condamné,
et lui rendra, s'il en est temps encore, avec l'amour
du travail, celui de la vertu. Heureuse disposition
qui, en sauvant un principe rigoureux, mais néces-
saire à l'ordre et à la sûreté publics, satisfait en
même temps à tout ce que peut exiger l'humanité!

La seconde difficulté que j'ai déjà annoncée, a pour objet la dissolution, quant à tous les effets civils, du mariage précédemment contracté par celui qui est mort civilement.

On a dit, contre cette disposition, qu'elle ajoute à la sévérité de l'ancienne loi française, qui, en privant le condamné et sa famille de tous ses biens, avait cru néanmoins devoir conserver l'engagement qui subsistait entre les époux.

On a ajouté qu'en faisant même abstraction des idées religieuses, le mariage ne doit pas être considéré comme une chose purement civile; que c'est un contrat naturel réglé par la loi civile, une union dont la perpétuité est le vœu.

Enfin, on a regardé cette dissolution du mariage comme une peine infligée à des tiers intéressés, à la femme et aux enfants; comme tendant surtout à établir une opposition toujours funeste entre la loi d'un côté, et la morale et la religion de l'autre; la loi, qui regarderait comme un concubinage la persévérance d'une épouse à partager la destinée de l'époux malheureux et coupable; la morale et la religion, qui l'approuveraient comme un acte de dévouement et de vertu.

Revenons donc à ce principe universellement établi, que, pour qu'il y ait transmission de succession, il faut qu'il y ait capacité dans la personne de celui qui transmet comme dans la personne de celui qui recueille. Sans le concours de ces deux capacités, il n'y a pas de succession. Dans l'espèce qui nous occupe, il y a incapacité dans la personne du condamné que dis-je? il ne vit pas même aux yeux de la loi. Pourrait-elle le reconnaître capable de transmettre, quand elle méconnaît son existence? La solution de la première partie de l'objection prépare et facilite la solution de la seconde, principalement dirigée contre l'article 33. Qu'il ne soit d'abord plus question de confiscation; car franche-monarchie, cette disparité est fondée sur la manière ment, ni l'idée, ni le mot, ne peuvent plus se retrouver à côté d'une disposition qui déclare la succession du condamné, à l'instant de sa mort civile, ouverte au profit de sa famille.

Quel sera maintenant le sort des biens qu'il aura postérieurement acquis? Celui des biens laissés par tous ceux qui n'ont pas d'héritiers aux yeux de la loi, lors même qu'ils auraient des parents aux yeux de la nature. Ces biens se confondront dans le domaine public ils appartiendront à la nation par

Je reprends successivement les trois parties de cette objection.

Quant au reproche qu'on fait au projet de loi d'être plus sévère sur cet objet que les lois de la

différente dont on envisageait, sous l'empire de ces lois, le lien du mariage. C'était alors un engagement tout à la fois religieux et civil; la religion et la loi concouraient également à le former, et la loi seule ne pouvait rompre des noeuds qu'elle seule n'avait pas tissus. Aujourd'hui la célébration du mariage et tous ses effets appartiennent à la loi civile. Elle laisse aux époux le soin ou la liberté de prendre le ciel à témoin de leurs engagements; elle n'entre point, à cet égard, dans l'asile impéné

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ART.

trable des consciences; mais il n'y a à ses yeux d'union légitime que celle qui est formée devant les magistrats qu'elle en a chargés, et il n'y a que les mariages ainsi contractés qui puissent produire les effets qu'elle y attache. Aussi se contente-t-elle de dissoudre le lien, quant à ces effets. Je conviens d'ailleurs que, dans le mariage, le contrat naturel a précédé le contrat civil. Qu'en faut-il conclure? c'est que cet engagement est sous la double autorité de la loi naturelle et de la loi civile. Si l'un des époux vit encore aux yeux de la nature, le lien qu'il a formé reste sous l'empire de la loi naturelle, à laquelle, à la vérité, il ne reste plus alors de sanction. Mais si cet époux est hors de la société, les lois que cette société n'a faites que pour elle-même, qui n'existent que par sa volonté et pour son intérêt, ne peuvent plus, sans se contredire, reconnaître la durée de l'engagement, quant aux effets qu'elle y avait attachés. La rupture d'un lien purement légal (et il n'est que cela aux yeux du législateur), est la suite nécessaire de la perte de tous les droits légaux. Comment conserver le droit d'un homme vivant à celui qui est réputé mort? Peut-on considérer comme époux, comme père, celui qui n'existe plus? Si l'on reconnaît la nécessité du principe, il faut bien en adopter les conséquences.

C'est, au surplus, la force des choses qui nous conduit à ce résultat. Comment, en effet, supposer qu'un individu mort civilement puisse rester chef d'une communauté dissoute par l'ouverture de sa succession; que celui qui n'a ni biens, ni existence légale, puisse exercer le puissance déférée par les lois aux époux et aux pères sur la personne et les biens de leurs femmes et de leurs enfants; qu'il puisse autoriser sa femme à paraître devant les tribunaux, quand l'accès lui en est personnellement interdit à lui-même ? C'est donc la force des choses, je le répète, qui amène l'annullation de tous les effets civils du mariage, ou sa dissolution, quant à ces effets.

M'objectera-t-on qu'il est possible que des enfants naissent de cette union dissoute par la loi, et qu'alors ces enfants seront privés des honneurs de la légitimité? Je reconnais la vérité de cette conséquence. Je pourrais dire qu'en pareil cas la légitimité a beaucoup à perdre de ses honneurs et de son prix; mais enfin, la législation est pleine de ces dispositions de rigueur, commandées par des intérêts d'un ordre supérieur. Les enfants naturels sont exclus des honneurs réservés aux fruits d'une union légitime, et cependant ils sont innocents de la faute qui leur a donné le jour. C'est la morale, c'est le maintien des

| bonnes mœurs, la dignité du mariage, qui ont fait ART. établir cette sage distinction. Ici, c'est l'intérêt général de la société qui veut que l'individu retranché de son sein subisse toute sa peine, qu'il ne puisse plus invoquer ces lois qu'il a méconnues et violées, qu'il ne soit plus ni citoyen, ni père, ni époux.

A l'égard de la femme qui, oubliant les crimes de son époux, ne verrait que son malheur, et qui consentirait encore à suivre sa destinée, si elle se croit liée aux yeux de la religion et de la nature, la loi n'entend contrarier ni ses sentiments ni sa résolution. Si ce dévouement lui est dicté par des motifs honorables, qu'elle en trouve sa récompense dans sa conscience, dans sa religion, même dans l'opinion; tout cela sort du domaine de la loi. Son devoir à elle, c'est d'assurer aux peines leur effet, c'est d'être conséquente avec elle-même, de ne plus voir dans la société celui qu'elle en a exclu, de ne plus reconnaître comme vivant l'homme qu'elle a déclaré mort.

Après avoir réglé les effets de la mort civile, le 26 projet de loi devait naturellement s'occuper du moment où elle serait encourue; et il a très-sagement distingué les condamnations contradictoires des condamnations par contumace.

Les premières emportent la mort civile du jour de leur exécution, soit réelle, soit par effigie; c'est la disposition de l'article 26.

Quelques difficultés se sont élevées sur l'article 27, qui veut que les condamnations par contumace n'emportent la mort civile qu'après les cinq années qui suivront l'exécution du jugement par effigie, et pendant lesquelles le condamné peut se représen

ter.

Ceux qui pensaient que la mort civile devait dater du jour même de l'exécution par effigie, se fondaient sur la nécessité d'exécuter, autant que possible, le jugement rendu, et sur l'avantage qui reviendrait à la société de la promptitude de l'exemple; sauf néanmoins à prendre des précautions telles que, si le condamné mourait, se représentait, ou était arrêté dans les cinq ans, cet état de choses ne fût que provisoire, et ne pût nuire aux droits rouverts en faveur des parties intéressées.

On a répondu à ces objections que l'ordre public n'a jamais à souffrir de la suspension de l'exécution d'un jugement, quand cette suspension est l'ouvrage ou du jugement même, ou de la loi supérieure aux jugements; qu'ainsi toute latitude est laissée au législateur.

La nature même du jugement rendu par contumace, et les dispositions qui l'accompagnent, exigent que la mort civile ne soit encourue qu'après

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actions, en l'assimilant, sous ce double rapport, ARTaux absents.

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ART. les cinq années. Pendant toute la durée de ce délai, le sort du condamné est incertain, tout est provisoire à son égard; non-seulement, s'il est arrêté, Les articles 29 et 31 s'occupent des cas où le conou s'il se représente, les choses recouvrent leur damné serait constitué prisonnier, se représenterait 31 premier état; mais s'il vient à mourir, il meurt in- ou décéderait dans les cinq ans; et, dans ces trois tegri status, et sa succession s'ouvre par sa mort cas, le jugement est anéanti de plein droit. C'est, naturelle. Ce n'est qu'après le délai, pour purger par rapport à la personne et aux biens, comme si la contumace, que la condamnation, suivant les la condamnation n'eût jamais existé. Tous les déprincipes et les expressions de l'ancienne jurispru-veloppements contenus dans ces acticles tiennent dence, est réputée contradictoire; il serait donc injuste de faire mourir civilement le condamné, pendant la durée de l'ordre de choses purement provisoire, qui s'établit jusqu'à l'expiration de ce délai.

On insiste sur la nécessité de l'exemple; mais l'exemple est donné par l'exécution en effigie, par la privation de l'exercice des droits civils provisoirement prononcée contre le condamné, enfin par❘ sa mort civile, et par son expropriation après les cinq ans, s'il ne s'est pas présenté.

Indépendamment des vues générales d'équité et d'humanité qui s'élèvent en faveur de la disposition du projet de loi, elle est encore secourue par les difficultés infinies que présente l'exécution du système contraire, l'organisation d'une mort civile provisoire, dont les effets peuvent à chaque moment être anéantis par la résurrection ou par la mort naturelle du condamné. Ce système, quelques précautions qu'on puisse prendre, laisse toujours régner une affreuse incertitude, 1° sur le sort des enfants nés dans les cinq ans, légitimes si le père se représente ou meurt dans cet intervalle, illégitimes si les cinq années s'écoulent sans que la destinée du père soit connue.

2o Sur le sort de la femme qui aura contracté, dans les cinq ans, un nouvel engagement: épouse légitime si son premier mari ne paraît pas; infidèle et coupable s'il meurt ou se représente.

3o Sur le sort des successions, qui, pendant les cinq ans, s'ouvriraient au profit du condamné, héritier s'il paraît ou s'il meurt, non héritier s'il laisse passer les cinq ans sans se représenter.

L'impossibilité de remédier à tant d'inconvénients, jointe à la vérité et à la force du principe, qui ne permet pas qu'on place, dans un état de choses purement provisoire, des effets définitifs par leur nature, a déterminé la préférence donnée à la disposition de l'article 27.

Cependant, et pendant la durée des cinq ans, le condamné par contumace sera privé, comme je viens de l'observer, de l'exercice des droits civils. C'est l'objet de l'article 28, qui pourvoit d'ailleurs à l'administration de ses biens et à l'exercice de ses

à ce principe incontestable.

L'article 31 prévoit le cas où le condamné ne se représenterait ou ne serait constitué prisonnier qu'après les cinq ans; et, dans ce cas, quelle que soit l'issue du nouveau jugement, les effets de la mort civile, encourue après les cinq ans de l'exécution du premier, sont immuables.

Enfin, l'article 32 établit qu'en aucun cas la pres- 32 cription de la peine ne réintégrera le condamné dans ses droits civils pour l'avenir. Cette disposition concilie un principe d'humanité avec les règles de l'ordre social. L'humanité sollicite, après un long temps, la prescription de la peine. Mais si le temps éteint la peine, il n'éteint ni le crime ni le jugement; et l'ordre social, troublé par le crime, exige que le jugement conserve son effet quant à la privation des droits civils.

Législateurs, pressé par l'importance et la multiplicité des matières, je ne sais si j'ai rempli la tâche qui m'était imposée. J'ai essayé de remettre sous vos yeux les motifs du vœu du tribunat sur chacune des nombreuses dispositions que renferme le projet de loi. Je me suis attaché à vous présenter, sur les objets les plus susceptibles de difficulté, les raisons de douter et celles de décider. Votre résolution nous éclairera sur le mérite de nos observations.

Qu'il me soit permis, au moment où vous allez délibérer sur le premier titre du code civil, d'offrir à votre pensée les beaux souvenirs que vous prépare la gloire de décréter une législation qui va avoir une si prompte et si grande influence sur le bonheur de vos concitoyens. Vous avez sous les yeux les résultats de cette heureuse harmonie entre deux autorités qui ne se sont rapprochées à la voix du gouvernement que pour s'honorer et s'estimer davantage, et qui, dans les discussions profondes et lumineuses qui ont précédé l'émission des projets de lois, n'ont montré de toutes parts que l'émulation du bien public, que le noble orgueil de se rendre à la vérité.

C'est à votre sagesse, législateurs, de sanctionner leur ouvrage. C'est en vous, c'est dans vos suffrages qu'est leur gloire et leur récompense.

ᎪᏒᎢ.

No 6.

Exposé des motifs du titre II du livre 1o du Code civil, sur les actes de l'état civil, par le conseiller d'État THIbaudeau.

LÉGISLATEURS,

Séance du 10 ventose an XI.

Le projet de loi que nous sommes chargés de vous présenter renferme beaucoup de dispositions qui peuvent d'abord paraître minutieuses; cependant elles sont d'une grande importance, puisqu'elles ont pour objet de fixer l'état des individus : il s'agit ici de la base fondamentale de la société et de la constitution des familles. Nous n'analyserons point toutes ces dispositions; il y en a beaucoup qu'il suffira de lire pour que leur utilité soit facilement sentie.

Ce projet de loi contient six parties distinctes; cette division était indiquée par la nature des choses.

Trois grandes époques constituent l'état des hommes, et sont la source de tous les droits civils: la naissance, le mariage et le décès.

déterminer les formes des actes relatifs à ces insti- ART.
tutions, avant de les avoir soumises au législateur :
nous ne traitons ici que des formes; le fond doit
faire l'objet d'autres lois. Les naissances et les dé-
cès sont des faits physiques; le mariage est une
institution nécessaire et consacrée; il ne peut y
avoir à cet égard de dissentiment, ni aucune espèce
de discussion. Il n'en est pas ainsi de l'adoption et
du divorce. On a donc cru plus régulier et plus
convenable de renvoyer à chacune de ces matières
les formes dans lesquelles les actes qui les concer-
nent seront rédigés.

L'assemblée constituante avait décidé qu'il se- 35
rait établi pour tous les Français, sans distinc- 37
tion, un mode de constater les naissances, ma- 45
riages et décès; elle voulait rendre la validité des
actes civils indépendante des dogmes religieux.
L'assemblée législative organisa ce principe par
la loi du 20 septembre 1792, qui est encore exé-
cutée; mais cette loi ne statua pas seulement
sur les formes des actes, elle régla les condi-
tions du mariage. Tout ce que cette loi contenait
d'essentiel sur la forme des actes, a été conservé
dans le projet de loi; on y a seulement fait des ad-

Lorsqu'un individu reçoit le jour, il y a deux choses qu'il importe de constater, le fait de la nais-ditions ou des modifications, qui sont le résultat sance et la filiation.

Le mariage a pour but de perpétuer régulièrement l'espèce et de distinguer les familles; il faut donc des règles qui impriment à ce contrat un caractère uniforme et légal.

La mort rompt les liens qui attachaient l'homme à la société; en cessant de vivre, il transmet des droits. Les naissances, les mariages et les décès sont donc soumis à des règles qui leur sont particulières.

Il y a néanmoins des règles également applicables à tous ces actes, et des principes généraux qui doivent les régir; on les a compris dans un chapitre préliminaire de dispositions générales; un chapitre règle ce qui concerne les actes de l'état civil des militaires hors du territoire de la république. Enfin, malgré la prévoyance du législateur, il peut se glisser des erreurs dans la rédaction des actes; les parties intéressées ont intérêt d'en demander la rectification; il a fallu déterminer la forme des actions, la compétence des tribunaux, et les effets des jugements. Voilà le système et l'ensemble de

la loi.

Avant d'examiner chacun des chapitres, nous devons prévenir une réflexion qui se présente naturellement. On pourrait croire que la loi est incomplète, en ce qu'elle ne parle point du divorce et de l'adoption; mais il aurait été prématuré de

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de l'expérience de plusieurs années; telle est la dis-
position qui rappelle expressément aux officiers
de l'état civil qu'ils n'ont aucune juridiction, et,
qu'instrument passif des actes, ils ne doivent y in-
sérer que ce qui est déclaré par les comparants; celle
qui veut que les témoins soient du sexe masculin, 37
et âgés de vingt et un ans: en effet, il serait incon-
séquent de ne pas adopter, pour les actes de l'état
civil, les mêmes formes que pour les contrats or-
dinaires; celle qui permet à toute personne de se 45
faire délivrer des expéditions des actes de l'état ci-
vil. Les lois qui semblaient avoir limité cette fa-
culté aux parties intéressées, étaient injustes. L'état
civil des hommes doit être public, et il y avait de
l'inconvénient à laisser les officiers civils juges des
motifs sur lesquels pouvait être fondée la demande
d'une expédition.

Quant aux registres, la déclaration de 1736 40
n'en avait établi que deux; c'est-à-dire, un
seul pour tous les actes, mais tenu double: la loi
de 1792 en établit six; c'est-à-dire, trois tenus dou-
bles, un pour les naissances, un pour les mariages,
et l'autre pour les décès. On avait cru que cette
multiplicité de registres faciliterait la distinction
de chaque espèce d'actes; mais l'expérience a prouvé
que l'on s'était trompé. C'est à cette multiplicité
de registres qu'il faut au contraire attribuer l'état
déplorable où ils sont dans un trop grand nombre

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