Page images
PDF
EPUB

vj

obstacles qui s'opposaient à la réussite de ce projet, et qui, s'ils n'avaient point été renversés par cette révolution, s'y seraient à jamais opposés.

Telle a été la position de la France, lorsque, en 1789, on songea, sinon pour la première fois, au moins d'une manière sérieuse et définitive, à faire jouir le pays du bienfait d'une législation uniforme.

Jusqu'à cette époque, les tentatives partielles faites par quelques ordonnances des rois pour arriver à ce résultat n'avaient point obtenu un succès général et complet par les résistances que leur opposaient les parlements conservateurs des priviléges de certaines provinces.

Il ne fallait rien moins qu'une révolution comme celle qui éclata en 1789 pour faire disparaître, outre ce premier obstacle, deux autres encore qu'il fallait franchir avant d'arriver à une législation civile uniforme, savoir : les nombreux vestiges du régime féodal qui couvraient encore la surface de la Françe, et dont les partisans étaient tous ceux dont ils servaient les intérêts, c'est-à-dire, les hommes les plus puissants de la nation; et d'un autre côté, cet esprit de routine, apanage si ordinaire et pourtant si funeste de la multitude, et qui pouvait lui faire apparaître comme redoutable tout changement à sa législation, même celui qui se serait borné à la rendre uniforme sur tous les points.

Ainsi que nous venons de le dire, tous ces obstacles disparurent à la révolution de 1789. L'on se trouva donc à cette époque placé dans la condition la plus favorable pour arriver à la codification : aussi les assemblées législatives postérieures virent-elles se succéder plusieurs essais infructueux, tentatives avortées aussitôt leur naissance, mais qui eurent au moins cet utile résultat de tracer la route qu'il fallait parcourir.

La célèbre journée du 18 brumaire de l'an vIII (novembre 1799) vint placer à la tête du gouvernement le seul homme dont l'impulsion put achever ce que d'autres avaient vainement tenté. Napoléon aspirait à la double gloire de conquérant et de législateur : il voulut doter son pays de ce Code civil qu'on lui promettait depuis plu

vij

sieurs années; et à cet effet, par un arrêté rendu le 24 thermidor an VIII, sept mois après son élévation au consulat, et au retour de la brillante campagne de Marengo, il nomma une commission de quatre jurisconsultes; c'étaient MM. Tronchet, Portalis, Bigot de Préameneu et Malleville. Ils furent chargés de rédiger et de présenter au gouvernement un projet de Code civil.

Ces commissaires, animés du zèle de la science, mirent à profit avec une grande rapidité les trésors qu'ils avaient acquis lentement et dans le silence du cabinet.

Sept mois après leur nomination, leur tâche était remplie et leur projet imprimé (15 mars 1801).

Napoléon ne voulut pas qu'un projet si important, d'une aussi grande étendue, se composant de matières si variées, pût être renfermé dans le secret des délibérations du conseil d'État. Il voulut, avant de provoquer celle-ci, avoir l'avis de toutes les cours judiciaires de France. En conséquence, le projet leur fut envoyé, afin de l'examiner et de communiquer au gouvernement toutes les observations qu'il pourrait leur suggérer.

C'était, comme on le voit, la France entière qu'on invitait à préparer elle-même ses lois par l'organe de ses principaux magistrats. Ceux-ci ne montrèrent pas moins de zèle que les rédacteurs du projet. En peu de mois aussi de nombreuses observations arrivérent de toutes parts au gouvernement; leur recueil forme un des documents les plus précieux à consulter pour l'intelligence de notre Code civil.

Le conseil d'État alors faisait, d'après la constitution, une des parties intégrantes de la législation. C'était dans son sein que devaient s'élaborer tous les projets de lois avant d'être portés au corps législatif. Dans ce conseil, divisé en sections, il en était une, celle de législation, qui tout naturellement se trouvait appelée à examiner spécialement les observations recueillies sur le projet. Elle commença donc par travailler à part; et dans une discussion à laquelle furent associés les auteurs mêmes du projet, on arrêta d'abord une rédaction provisoire lors de laquelle nul amendement jugé utile ne fut rejeté.

viij

Le projet ainsi épuré devait subir encore une épuration nouvelle. Il fut donc, après tant de méditations, porté au conseil d'État. Là s'engagea cette discussion si animée, si intéressante, dont le résultat, consigné dans des procès-verbaux, forme le second volume de la collection que nous présentons aujourd'hui au public.

L'on sait la part que prit à cette discussion l'âme de tous ces travaux, le génie qui présidait alors aux destinées de la France, et dont la présence animait autant les jeunes guerriers que les vieux jurisconsultes, objet de l'admiration des uns et des autres.

Sorti des mains du conseil d'État, le projet de Code civil avait encore à subir quelques épreuves.

D'après la constitution d'alors, le corps législatif ne pouvait voter immédiatement sur la loi qui lui était portée au nom du gouvernement, et dont les motifs avaient été développés devant lui par un orateur ordinairement membre du conseil d'État. Il fallait que le corps législatif renvoyât le projet à un autre corps, le tribunat, lequel devait être consulté sur toutes les lois à rendre, et exprimer son opinion sur elles.

Le tribunat, sur le renvoi à lui fait par le corps législatif, soumettait le projet à l'examen de la section de législation: celle-ci, par l'organe de l'un de ses membres, faisait un rapport à l'assemblée générale du tribunat, qui envoyait ensuite au corps législatif un orateur chargé d'exprimer l'opinion du tribunat.

Il résulte de là que sur chaque loi ainsi présentée deux discours étaient prononcés au sein du corps législatif, le premier au nom du gouvernement, le second au nom du tribunat.

Ce n'était qu'après toutes ces formalités que l'on votait par scrutin secret.

Le corps législatif écoutait, ne parlait point et votait.
La loi ainsi portée s'appelait décret.

Un quatrième corps, le sénat conservateur, était un tribunal suprême auprès duquel on pouvait appeler contre les décrets inconstitutionnels, pendant les dix jours qui suivaient la publication de leur vote dans le Moniteur. Ces dix jours écoulés sans protestation, la loi était promulguée, c'est-à-dire, obligatoire pour tous.

ix

Trente-six lois qui composent aujourd'hui le Code civil ayant été successivement décrétées, il fut rendu, le 30 ventôse an XII (20 mars 1804), une loi promulguée le 10 germinal suivant (31 mars 1804), sur la réunion des lois civiles en un seul corps, sous le titre de Code civil des Français.

La loi du 3 septembre 1807 et l'ordonnance du 3 août 1816 substituèrent des dénominations nouvelles en rapport avec les changements du pouvoir suprême. Ainsi des dénominations impériales furent substituées aux dénominations républicaines, et ensuite des dénominations royales aux dénominations impériales.

Depuis sa promulgation, le Code civil a reçu différentes modifications. Ainsi un sénatus-consulte du 14 août 1806 a institué les majorats que la loi du 1er mai 1835 a abolis; ainsi la loi du 3 septembre 1807 a fixé le taux de l'intérêt de l'argent, et modifié par là même l'art. 1907. La loi du 8 mai 1816 a aboli le divorce, et abrogé par là même les art. 233 à 305, ainsi que l'art. 310. La loi du 14 Juillet 1819, en abolissant le droit d'aubaine, a modifié l'art. 11 et supprimé par là les art. 726 et 912. La loi du 17 mai 1826, en rétablissant sous quelques rapports les substitutions, a par cela même aboli les art. 1048, 1049 et 1050. Enfin, la loi du 16 avril 1832, en levant la prohibition absolue de mariage entre beaux-frères et belles-sœurs, a modifié les art. 162 et 164.

Les procès-verbaux de la discussion du Code civil, au conseil d'État, ont été recueillis avec un soin extrême par le secrétaire du conseil d'État d'alors, M. Locré, et revus par les auteurs mêmes des opinions qui y étaient contenues. Ils ont été publiés à part, et leur recueil forme cinq volumes in-4°.

Quant aux motifs des diverses lois exposés par les orateurs du gouvernement, quant aux rapports et aux opinions des orateurs qui ont coopéré à la rédaction du Code civil, et qui ont porté la parole, soit au corps législatif, soit au tribunat, ils ont été imprimés et publiés au fur et à mesure qu'ils ont été prononcés. Mais leur recueil complet n'a été entrepris que par un savant jurisconsulte, M. Favard de Langlade, mort conseiller à la cour de cassation, et qui les publia en huit volumes. Ce recueil était depuis longtemps

X

épuisé, lorsque MM. Didot frères, propriétaires de la première édition, ont conçu l'idée de réunir en un seul volume les huit tomes que comprenait cette première édition. Ils ont pensé agir en cela moins dans leur intérêt que dans celui des études juridiques, qui ont toujours puisé dans ces discours, monuments des travaux des premiers corps de l'État, des documents d'une valeur inappré

ciable.

[ocr errors]

M. Favard de Langlade ne s'était pas borné à reproduire textuellement la discussion particulière du conseil d'État et du tribunat, avant la rédaction définitive du Code civil. Frappé avec raison de la difficulté qu'il y avait à saisir, au milieu de ces procès-verbaux, la discussion particulière à chaque article et destinée à en fixer le sens, il avait eu la patience, par un travail opiniâtre et consciencieux de détacher de ces procès-verbaux la discussion de chaque article séparé, et de la placer à côté de l'article qu'elle devait éclaircir. Le résultat de ce travail fut la publication d'un recueil intitulé Conférences du Code civil, et divisé en huit volumes, dont le succès fut égal à celui de la première publication, celle des Motifs. Cet ouvrage était également épuisé, et les mêmes raisons qui ont déterminé MM. Didot à reproduire le premier recueil, ont dû les décider à ne pas séparer celui-ci du précédent.

Maintenant, l'étudiant comme le jurisconsulte consommé, l'avocat comme le juge, pourront, dans un format facile à manier, et avec économie à la fois et de temps et d'argent, puiser aux véritables sources les véritables règles d'interprétation de notre Code civil.

F. F. PONCELET,

Professeur à la Faculté de Droit de Paris.

« PreviousContinue »