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avaient les quartiers de l'Ouest et la Chambre, ils acceptaient le drapeau tricolore, mais ne voulaient pas de la république. Les partisans du duc d'Orléans en profitèrent pour faire adopter une solution mixte, la royauté de la branche cadette, avec le drapeau tricolore et la Charte. Ils ne dévoilèrent leur plan que graduellement. Ils affichèrent d'abord une proclamation rédigée par Thiers: << Charles X ne peut plus rentrer dans Paris, il a fait couler le sang du peuple. La République nous exposerait à d'affreuses divisions, elle nous brouillerait avec l'Europe. Le duc d'Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution... Il était à Jemmapes... C'est un roi-citoyen. Il a porté au feu les couleurs tricolores, il peut seul les porter encore. Il attend notre vœu. Proclamons ce vou, et il acceptera la Charte, comme nous l'avons toujours voulue. C'est du peuple français qu'il tiendra sa couronne. » Puis Laffitte et Thiers allèrent chercher le duc qui attendait aux environs et l'amenèrent à Paris. Le duc vint s'établir au Palais-Royal et déclara qu'il acceptait d'être lieutenant général du royaume en attendant la réunion des Chambres, il ajoutait : « Une Charte sera désormais une vérité. » Une proclamation, rédigée par Guizot et signée de 91 députés, annonça sa résolution: « Le duc d'Orléans s'est dévoué à la cause nationale et constitutionnelle... Il respectera nos droits, car il tiendra de nous les siens » (30 juillet). La Chambre se réunit et nomma Louis-Philippe lieutenant général du royaume.

Mais il restait à l'Hôtel de Ville un gouvernement à demi républicain. Louis-Philippe fit alors la chevauchée fameuse à travers la ville encore en armes et se présenta à la Commission; là il fit lire la déclaration de la Chambre, embrassa Lafayette et fut acclamé par le peuple (31 juillet). Les républicains laissèrent faire, sachant que personne en France ne voulait la république. Cavaignac répondit. aux remerciements de Duvergier : « Vous avez tort de nous remercier, nous n'avons cédé que parce que nous n'étions pas en forces. » La révolution n'était faite encore qu'à Paris et Louis-Philippe n'était encore que lieutenant général; on avait évité de préciser au nom de qui. Charles X essaya de conserver la couronne dans sa famille en acceptant la révolution; il nomma le duc d'Orléans lieutenant général, puis lui et son fils abdiquèrent en faveur de l'héritier légitime, son petit-fils Henri V, et il confia à Louis-Philippe la régence. Mais la Chambre déclara le trône vacant par 219 voix contre 33 (sur 430 députés, 252 seulement étaient présents) et proclama LouisPhilippe Ier roi des Français (7 août).

Charles X, retiré à Rambouillet avec sa cour et sa garde, pouvait

encore continuer la guerre. Les gardes nationaux parisiens marchèrent sur Rambouillet en désordre; mais Charles X n'essaya pas de résister, et partit pour l'Angleterre. En France la nouvelle de la révolution avait été apportée partout avec le drapeau tricolore; le peuple l'accueillit avec joie, heureux de revoir les couleurs nationales. Personne ne résista.

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Le régime politique de Louis-Philippe. La révolution avait été amenée par un conflit entre le peuple et le roi. Elle aboutit à proclamer officiellement la souveraineté du peuple. La déclaration de Thiers disait : « C'est du peuple français qu'il (Louis-Philippe) tiendra sa couronne. » Et celle de Guizot : « Il respectera nos droits, car il tiendra de nous les siens. » Louis-Philippe accepta cette doctrine. — Il se titra «< roi des Français par la grâce de Dieu et la volonte nationale ». Avant de prendre possession du trône, on lui lut la Charte; il la signa et la jura, et il fut entendu que ce n'était plus une Charte octroyée par le roi comme en 1814, mais une Charte imposée par la nation et consentie par le roi. - Les Chambres se bornèrent à reviser la Charte, mais le rapport appela la Charte revisée un « établissement nouveau », et définit ainsi la position : « C'est une nation en pleine possession de ses droits qui dit au prince auquel il s'agit de déférer la couronne : A ces conditions écrites dans la loi, voulez-vous régner sur nous? » Ainsi la question des pouvoirs du roi était résolue dans le sens du peuple, c'est-à-dire de la Chambre. L'article 14, qui avait servi de motif au coup d'État de Charles X, fut modifié ainsi : «< Le roi fait les ordonnances nécessaires pour l'exécution des lois, sans jamais pouvoir ni suspendre les lois, ni dispenser de leur exécution. >>

La déclaration de Guizot avait annoncé des « garanties pour rendre la liberté forte et durable»: le rétablissement de la garde nationale, le jury pour les procès de presse, « la responsabilité légalement organisée des ministres, l'état des militaires assuré, l'intervention des citoyens dans la formation des administrations municipale et départementale ». On inscrivit dans la Charte revisée la promesse de lois sur le jury, la garde nationale, l'organisation départementale et municipale; on y inscrivit l'interdiction de la censure et la liberté de l'enseignement; enfin, pour indiquer l'égalité des cultes, on remplaça la formule « la religion catholique est la religion de la France », par « la religion professée par la majorité des Français ».

La revision changea un peu le mécanisme des Chambres et des élections. La Chambre des députés eut le droit d'élire son président et l'initiative des lois (non pas encore individuelle pour chaque

député, mais collective); l'âge pour être éligible fut abaissé de quarante à trente ans.

La revision fut complétée par deux lois : l'une abaissa le cens électoral de 300 à 200 francs; l'autre rendit la qualité de pair viagère et non plus héréditaire (1831).

Ce nouveau régime, appelé la « Monarchie de juillet », parce qu'il était l'œuvre de la Révolution de juillet, différait peu par les institutions de celui de la Restauration. Le véritable changement consista à faire arriver au pouvoir un personnel politique nouveau. La famille royale des Bourbons, attachée par traditior à l'ancien régime, favorable au maintien de l'aristocratie et au pouvoir du clergé, fut remplacée par la famille des Orléans, à demi bourgeoise et voltairienne, obligée de s'appuyer sur la bourgeoisie libérale. La Chambre des pairs fut privée d'une moitié de ses anciens membres (175 pairs sur 364 refusèrent de prêter serment à Louis-Philippe), dépouillée du privilège d'hérédité, et perdit son influence sur le gouvernement. Le pouvoir politique se concentra dans la Chambre; la majorité appartint désormais à la bourgeoisie libérale, ennemie de la noblesse et du clergé, et qui donna à la politique une direction opposée à celle de la Restauration.

Une nouvelle force politique fut créée par la Révolution et reconnue par la Charte. « La Charte et tous les droits qu'elle consacre demeurent confiés au patriotisme et au courage des gardes nationales. » La garde nationale, réorganisée en 1831, se composait de tous les contribuables en état de se procurer à leurs frais leur uniforme; elle élisait ses sous-officiers et officiers jusqu'au grade de capitaine. La garde nationale de Paris remplaça la garde royale supprimée; elle fut la force armée chargée de défendre le gouvernement; mais elle fut aussi un organe politique: Louis-Philippe passait lui-même en revue les gardes nationaux, les cris qu'ils poussaient pendant la revue étaient la principale manifestation de l'opinion populaire. Ce rôle politique de la garde nationale fut le trait le plus original du régime de juillet.

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Lutte des partis dans le gouvernement (1830-31). Louis-Philippe, devenu roi par une insurrection de Parisiens, surnommé par les légitimistes « le roi des barricades », fut obligé d'abord de manifester aux insurgés sa reconnaissance. Une récompense nationale fut votée pour les « victimes de la Révolution de juillet », une colonne fut élevée sur la place de la Bastille « à la mémoire des citoyens morts en combattant pour la défense des libertés publiques ». Le roi reçut en audience « les condamnés pour délits politiques ». Le

roi sortait à pied avec un parapluie, serrait la main aux gardes nationaux, se laissait offrir des verres de vin par les ouvriers; manifestations démocratiques qui servaient de thème aux plaisanteries des salons et des journaux légitimistes; ils s'amusaient aussi de <«<l'insurrection des solliciteurs » venus pour demander des places au gouvernement, et racontaient que Lafayette avait apostillé 70 000 demandes.

Le gouvernement restait partagé entre les deux groupes qui avaient mené la Révolution : l'ancien parti révolutionnaire du drapeau tricolore, qui avait préparé le soulèvement contre les Bourbons et formé la commission exécutive de l'Hôtel de Ville (Lafayette, Laffitte, Dupont); le parti constitutionnel (Guizot, Broglie, Dupin), qui avait pris la direction de la Chambre et lui avait fait accepter le duc d'Orléans.

Louis-Philippe, en écartant les jeunes républicains, n'avait pas osé se débarrasser des chefs du parti du drapeau tricolore qui seul rendait le nouveau régime populaire à Paris. Il appela donc au gouvernement à la fois les hommes des deux partis; il donna sept ministères aux constitutionnels, aux libéraux quatre ministères, le commandement des gardes nationales (Lafayette), la préfecture de la Seine (Odilon Barrot).

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Ce fut alors dans le ministère une lutte continuelle sur la direction générale de la politique. Le parti du mouvement (Lafayette, Laffitte) voulait laisser se produire « les conséquences de juillet »>, comme on disait à l'intérieur soutenir le parti démocratique et combattre le clergé, au dehors aider les peuples révoltés contre les gouvernements monarchiques. Le parti de la résistance (Guizot, Broglie, Casimir Perier) déclarait la « révolution terminée » et voulait à l'intérieur combattre les républicains et donner le pouvoir à la bourgeoisie, à l'extérieur maintenir la paix et réconcilier la France avec les monarchies.

Le parti du mouvement prit d'abord la direction; il avait l'avantage d'être soutenu par la garde nationale et les insurgés de Paris. Sa politique était de laisser le peuple parisien manifester sa volonté. - Le peuple voulut d'abord la mort des quatre ministres de Charles X qui avaient signé les ordonnances; pour les sauver, le parti de la résistance fit voter à la Chambre une adresse demandant l'abolition de la peine de mort politique. Le peuple ameuté attaqua le PalaisRoyal et le fort de Vincennes, prison des ministres de Charles X. Les hommes de la résistance se retirèrent du ministère; Louis-Philippe, partisan lui-même de la résistance, abandonna le gouvernement aux

hommes du mouvement, afin de les user plus vite. Ce fut le ministère Laffitte (2 novembre 1830-13 mars 1831). Il protégea les ministres de Charles X et la Cour des pairs qui les jugeait en garnissant les rues de soldats, mais il laissa le peuple saccager l'église de SaintGermain-l'Auxerrois et l'Archevêché (fév. 1831). Le clergé ayant soutenu le gouvernement de Charles X, la Révolution de 1830 avait été une victoire des libéraux voltairiens sur le clergé légitimiste. En province on avait abattu des croix de mission, insulté des religieux et des prêtres. A Paris on saccagea Saint-Germain-l'Auxerrois où le parti légitimiste avait organisé un service en mémoire du duc de Berry; on démolit l'Archevêché en haine de l'archevêque, qui en 1830 avait conseillé à Charles X un coup d'État militaire. Louis-Philippe n'osait pas assister publiquement à la messe, il se faisait célébrer un service dans une chapelle intérieure et son couronnement se fit sans aucune forme religieuse.

Mais le parti du mouvement avait contre lui la bourgeoisie, effrayée de la perspective d'une guerre et mécontente de la crise du commerce. Les affaires s'étaient arrêtées; 150 000 personnes, disait-on, avaient quitté Paris; les ouvriers sans travail manifestaient; le 3 pour 100 était tombé à 52 francs, le 5 pour 100 à 82; Laffitte lui-même était forcé de liquider sa maison de banque. Louis-Philippe ne voulait pas de la guerre, il empêcha le ministère d'intervenir en Italie ou en Pologne. Alors le parti du mouvement se retira; le parti de la résistance prit le pouvoir ce fut le ministère Casimir Perier (13 mars 1831).

Sa politique fut de consolider la royauté, d'assurer le gouvernement à la bourgeoisie en écrasant le parti démocratique, et de maintenir la paix extérieure en arrêtant toute politique d'intervention. La Chambre de 1830 fut dissoute, et la Chambre élue suivant le nouveau régime par les électeurs à 200 francs donna au ministère une majorité assurée. Casimir Perier indiqua sa politique par le discours du trône : « La France a voulu que la royauté fût nationale, elle n'a pas voulu que la royauté fût impuissante. » Il décida le roi à quitter le Palais-Royal, sa résidence de duc, pour s'installer aux Tuileries, le palais du roi. Il fit voter une loi contre les rassemblements armés. Il interdit à tous les fonctionnaires d'entrer dans l'Association nationale fondée pour combattre les Bourbons et l'étranger. « La France sera gouvernée », dit le Journal des Débats.

Lutte contre les insurrections (1831-34). La monarchie de Louis-Philippe, devenue le gouvernement par la bourgeoisie, fut alors attaquée à la fois de deux côtés opposés deux partis

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