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des prérogatives de la République, et par conséquent à la garantie que nous avons offerte. Outre cela, l'intérêt direct de notre empire exige que nous ayons dans ces possessions voisines un duc qui n'aurait aucun rapport direct avec les rois de Pologne, et qu'il dût toute obligation à nous seule.

Vous savez aussi combien le traité de paix de 1686, conclu entre notre empire et la Pologne, est peu observé et respecté et à combien de tracasseries il nous expose. Tous les diocèses des sujets polonais professant notre religion sont opprimés, au mépris de ce traité, mais la plupart d'eux ont été incorporés au rit grec-uni, ce qui reste en Russie Blanche avec ses églises et ses couvents éprouve des désagréments de la part du clergé catholique romain et de la noblesse de ces contrées-là. Nos frontières, de ce côté, ne sont pas non plus bien déterminées et toutes nos représentations là-dessus n'ont abouti à rien.

A la suite du cadastre fait de notre côté en 1753, il résulte que les Polonais possèdent 988 verstes carrés de notre territoire, c'est-à-dire qu'en vertu du traité et d'autres preuves, il appartient à nos sujets. Onze bourgs et les villages situés aux environs de Kiiow et dont la délimitation a été remise à plus tard, lors de la conclusion de la paix, se trouvent peuplés avec nos sujets transfuges. Ces transfuges, reçus et protégés par la Pologne, sont donc en contravention au traité de paix et ils commettent des dégâts et des assassinats dans les pays frontières de notre empire.

Nous ne pouvons attribuer les violences exercées sur nos sujets et les infractions portées à l'intégrité de nos frontières, qu'au système politique indéterminé qui existait avec les autres puissances étrangères. Le dernier roi de Pologne, électeur de Saxe, en faisait partie. Il paraît qu'alors notre politique devait suivre une ligne double, c'est-à-dire, qu'il fallait avoir égard à notre simple liaison avec la République de Pologne et aux intérêts séparés du roi de Pologne qui, à titre d'électeur de Saxe, unit ses intérêts héréditaires à ceux du trône électif. Nous étions donc forcée de témoigner notre affection au roi de Pologne et de remettre nos propres intérêts avec la république aux événements ultérieurs.

Cette expérience, confirmée par les événements, nous sug

gère la maxime politique suivante, que la Russie atteindra plus facilement son but lorsqu'elle aura affaire avec la Pologne elle-même, et elle y arrivera soit au moyen de démarches amicales, soit par la force.

A ces considérations, qui s'appliquent particulièrement à notre empire, s'en ajoute une autre : c'est qu'il est d'un intérêt général, le premier et le plus important pour toutes les puissances voisines, que l'élection en Pologne ne se change pas en hérédité, car ce premier pas serait le plus prompt à amener toutes les autres réformes nuisibles à nos intérêts.

Ce qu'un étranger, élu roi de Pologne et ayant ses États héréditaires et ses revenus, peut entreprendre, tout le monde le sait, depuis les dernières années du règne d'Auguste II. Si Auguste III, qui vient de mourir, n'a rien fait, c'est que son caractère était indolent et que son premier ministre a été inconstant, prodigue et occupé de basses intrigues; il est vrai aussi que les événements tournaient toujours à son détriment. D'ailleurs, le temps lui manquait pour arriver à quelque bon résultat. Si on laissait l'élection dans la même famille, elle dégénérerait bientôt en véritable hérédité. La République de Pologne n'a pas assez de forces intérieures pour qu'elle puisse s'opposer à ce danger ou arrêter les violences qui pourraient être portées à ses lois et constitutions; elle ne peut pas être comparée avec la Confédération germanique. A la suite de toutes ces considérations, à cause de notre position et de notre voisinage, nous devons porter toute notre attention à ce que la forme actuelle du gouvernement polonais soit maintenue intégralement, qu'on ne change point la loi de l'unanimité dans les Diètes, que la force armée ne soit jamais augmentée; en cela se repose la base principale des profits de notre empire, c'est par là que nous influerons directement sur la politique européenne.

Après avoir donc approfondi tous les motifs et sans avoir égard à toutes les éventualités possibles, il est probable, il est indispensable que nous portions sur le trône de Pologne un Piast à notre convenance, utile à nos intérêts réels, en un mot, un homme qui ne dût son élévation qu'à nous seule. Nous trouvons dans la personne du comte Poniatowski, panetier de Lithuanie, toutes les conditions nécessaires à notre convenance

et, en conséquence, nous avons résolu de l'élever au trône de

Pologne.

M. le comte Keyserling, vous avez jusqu'à présent, sous le nom des princes Czartoryski et de leurs partisans, qui nous sont dévoués, travaillé avec succès pour nos intérêts et pour ceux d'un candidat pris dans la famille des princes, en cas de la mort du dernier roi de Pologne. Aussi, à l'avenir, vous exécuterez ponctuellement tout ce qui a été contenu dans nos instructions précédentes, et nommément dans celles sous les no 18 et 19; du 8 février, sans numéro; du 23 avril, no 73, du 10 septembre et enfin du 7 octobre, no 77. Aujourd'hui, vous travaillerez conjointement tous les deux. Cependant, pour que nos intentions soient plus précises encore, s'il est possible, vous aurez à exécuter ce qui suit:

I. Quoique nous ayons ordonné tous les préparatifs de guerre, quoiqu'une grande partie de nos forces militaires portées sur les frontières soient prêtes à les franchir au premier avis, il importe néanmoins à notre gloire et à celle de notre empire de montrer à l'univers que la Russie, dans toutes les affaires les plus importantes, sait négocier et agir, seule, sans secours de personne; qu'elle possède la prudence et la connaissance d'une véritable politique vis-à-vis des puissances étrangères, et que ses forces physiques sont suffisantes pour les appuyer au besoin et efficacement.

Mais, comme d'un autre côté nous sommes portée naturellement à l'amour de la paix et de l'humanité, nous voudrions que l'élection de notre candidat se fît sans bruit, sans guerre civile et en garantissant toutes les prérogatives, priviléges et libertés de la République polonaise, et que par là nous arrivassions à accomplir tous nos projets. Mais si, contrairement à nos prévisions, les affaires prenaient une autre tournure, nous sommes décidée, avec une persévérance inébranlable, à employer toutes les forces que la Providence nous a confiées et à terminer les affaires polonaises à notre avantage; c'est pour cela que nous vous ordonnons de tenir la main à l'exécution des articles cidessous.

II. Vous employerez tout l'argent que vous avez entre vos mains, et avec cela les 100 000 roubles que vous toucherez par

mandat sur la maison Clifford fils et compagnie, à Amsterdam, afin d'augmenter le nombre des chefs et des adhérents de notre parti. Nous ne voulons pas vous prescrire à qui, quand et combien vous devrez répandre cet argent, car nous savons que vous en ferez le meilleur usage; nous nous reposons en cela, comte Keyserling, sur votre prudence, sur votre fidélité à notre service, et enfin sur la connaissance parfaite des affaires de ce pays-là. Néanmoins, nous devons tourner votre attention particulière sur les diétines pour que les nonces élus soient tout à fait dans nos intérêts. Il est donc important d'y avoir des émissaires actifs et munis d'argent. Nous joignons, en conséquence, leur liste, pour chaque palatinat, tel que le comte Wladislas Gurowski vient de la fournir à notre conseiller intime Panine. Vous aurez à vérifier toute l'efficacité de cette mesure. Elle vous servira en même temps à éclaircir la conduite personnelle, vis-à-vis de nous, du comte Gurowski; elle prouvera sa sincérité pour nous lorsqu'il nous a promis solennellement de servir fidèlement nos vues; et il nous assura de la manière la plus positive qu'en exécutant rapidement et à la lettre tout ce qu'il propose, on pourra énergiquement sauver sa patrie des dangers qui la menacent. Outre cela, il a déclaré que la mort du roi de Pologne l'a complétement détaché et de l'attachement et des obligations qu'il pouvait avoir pour le feu roi et sa famille.

III. Vous annoncerez positivement au candidat nos intentions de le porter au trône; les moyens que nous employons à cet effet, et ce qui doit le persuader particulièrement de notre volonté que si l'argent que nous destinons à appuyer notre but n'atteignait pas notre but, alors nous employerons toutes les ressources que Dieu nous a accordées; il devra le sentir, car sans nous, un particulier n'aurait ni prétexte ni moyens d'y parvenir. Toutefois, comme nos intentions et nos moyens nécessiteront un surcroît d'impôts sur nos fidèles sujets, guidée par notre cœur maternel, nous sentons qu'ils ont droit d'exiger de nous, et pour eux-mêmes, et pour la patrie, la récompense certaine des sacrifices qu'ils font. Il en résulte que l'honneur et la reconnaissance du candidat doivent être sérieusement engagés, que notre juste intérêt et l'appui que nous lui accordons seront appréciés par lui, et qu'il fera tout pour maintenir la paix

et les relations les plus étroites de l'amitié et de bon voisinage entre la république et notre empire. A cette fin, et comme gage de sa reconnaissance pour nos bienfaits, qu'aussitôt après son élévation à la royauté, il terminera tous les différends relatifs à la délimitation des frontières entre nous et la Pologne, conformément à la justice et à notre pleine et entière satisfaction; que, durant tout le temps de son règne, il envisagera l'intérêt de notre empire comme le sien propre, et qu'il l'appuyera dans toutes les circonstances possibles; qu'en conservant un attachement sincère à notre personne, il accomplira toujours nos légitimes desseins. Nous n'admettons pas qu'il pût nous refuser cette garantie, car, comme patriote vertueux et noble, il doit sentir qu'en l'élevant sur le pavois, nous sauvons sa patrie ébranlée jusque dans ses bases et prête à sa chute complète; nous délivrons ainsi la Pologne du droit d'hérédité et de toutes les infractions qu'avait essuyées sa liberté durant le règne des princes étrangers. Le candidat peut d'ailleurs être sûr qu'à côté des preuves si évidentes de notre bienveillance pour lui, ses adversaires mêmes ne sauraient mal interpréter nos intentions pures et salutaires.

IV. Nous croyons comme un fait accompli que le comte de Keyserling, guidé par sa prudence, par celle des princes Czartoryski, et par ceux de tous les chefs de notre parti dans ce payslà, a déjà tout arrangé ce qui regarde le candidat proposé par nous. Nous ordonnons donc que lui et tous ceux qu'il a gagnés reconnaissent qu'en leur offrant notre appui et notre bienveillance, nous les offrons en même temps à leur patrie; il faut, par conséquent, prendre des mesures décisives, n'épargner rien, même dans le parti opposé, pour qu'à la première Diète on nous accorde le titre impérial, à nous et à notre couronne; que le duc de Courlande, rétabli par nous, soit de nouveau confirmé, qu'à la Diète de couronnement soit créée une commission spéciale qui, conjointement avec nos commissaires, aura à reconnaître et à restituer les terres qui nous appartiennent; à rendre les déserteurs ou ceux qui ont passé en Pologne; à accorder une tolérance illimitée à tous ceux qui professent le rite grec, et à leur restituer les églises, les couvents et les terres qui leur furent jadis arrachés. Cette même commission prendra les me

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