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et qu'ils furent sur le point de se boucher les oreilles comme firent les pères du concile de Nicée lorsqu'ils entendirent les propositions d'Arius. Mais les égards qu'on avoit pour les jésuites prévalurent sur cette horreur; l'assemblée se contenta de faire dire aux curés, par les commissaires qu'elle avoit nommés pour examiner leur requête, qu'étant sur le point de se séparer, et l'affaire qu'ils lui proposoient étant d'une grande discussion, elle n'avoit plus assez de temps pour y travailler. Du reste elle ordonna aux agents du clergé de faire imprimer les instructions de saint Charles sur la pénitence, et de les envoyer dans tous les diocèses, « afin que cet excellent ouvrage servit comme de barrière pour arrêter le cours des nouvelles opinions sur la morale. >>

Quoique les jésuites n'eussent pas lieu de se plaindre de la sévérité des prélats, ils furent néanmoins très mortifiés de la publication de ce livre, sur lequel ils n'ignoroient pas que toute la doctrine du livre de la Fréquente Communion étoit fondée; mais ils se plaignirent sur-tout de l'abbé de Ciron, qu'ils accusèrent d'avoir composé la lettre circulaire des évêques qui accompagnoit ce même livre. Et plût à Dieu que leur animosité contre cet abbé se fût arrêtée à sa personne, et ne se fût pas étendue sur un saint établissement de filles (les filles de l'Enfance) dont il avoit dressé les constitutions, et qu'ils ont eu le crédit de faire détruire, au grand regret de la province de Languedoc, et de toute l'église même, qui en recevoit autant d'utilité que d'édification!

Comme tous ces extraits des curés avoient achevé de convaincre tout le monde de la fidélité des citations de M. Pascal, les jésuites prirent un parti tout contraire à celui qu'ils avoient pris jusqu'alors. Ils entreprirent de défendre ouvertement la doctrine de leurs auteurs; c'est ce qui leur fit publier le livre de l'Apologie des casuistes, composé par le père Pirot, ami du père Annat, et qui enseignoit la théologie au collège de Clermont. Comme ils n'avoient pu obtenir de privilège pour l'imprimer, on n'y voyoit ni nom d'auteur ni nom d'imprimeur; mais ils le débitèrent publiquement dans leur collège; ils en distribuèrent eux-mêmes plusieurs exemplaires aux amis de la société, tant à Paris que dans les provinces. Le père Brisacier le fit lire en plein réfectoire dans le collège de Rouen : il avoit plus de raison qu'un autre de soutenir ce bel ouvrage, puisqu'on y renouveloit contre les religieuses de Port-Royal et contre leurs directeurs les mêmes impostures dont il pouvoit se dire l'inventeur.

Mais sa compagnie n'eut pas long-temps sujet de s'applaudir de la publication de ce livre; jamais ouvrage n'a excité un si grand soulèvement dans l'église. Les curés de Paris dressèrent d'abord deux requêtes pour les présenter, l'une au parlement, l'autre aux grands-vicaires. Le père Annat, pour parer ce coup, obtint qu'ils fussent mandés au Louvre pour rendre raison de leur conduite; mais cela ne fit que hâter la condamnation de cet exécrable livre. En effet, le cardinal Mazarin ayant demandé aux,curés, en présence du roi et des principaux ministres de son

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conseil, pourquoi ils vouloient s'adresser au parlement au sujet d'un livre de théologie, ils répondirent avec une fermeté respectueuse qu'il ne s'agissoit point dans ce livre de simples questions de théologie, mais que la doctrine qu'il contenoit ne tendoit pas moins qu'à autoriser les plus grands crimes, tels que le vol, l'usure, le duel, l'adultère et l'homicide; et que la sûreté des sujets du roi et celle de sa majesté même étant intéressée à sa condamnation, ils s'étoient crus en droit de porter leurs plaintes aux mêmes tribunaux qui avoient autrefois condamné les Santarel, les Mariana, et les autres dangereux auteurs de cette même société. On n'eut pas la moindre réponse à leur faire. Le chancelier, qui étoit présent, déclara qu'il avoit refusé le privilège de ce livre. Enfin le roi, après ayoir exigé des curés qu'ils se contenteroient de s'adresser aux juges ecclésiastiques, leur promit d'envoyer ses ordres en Sorbonne pour y examiner l'Apologie. Le roi tint parole, et toutes les brigues des jésuites et des docteurs de leur parti ne purent empêcher que la faculté ne fit une censure, et que cette censure ne fût publiée. Les grandsvicaires de Paris en publièrent aussi une de leur côté; et presque en même temps, plus de trente archevêques et 'évêques, quelques-uns même de ceux que les jésuites croyoient le plus dans leur dépendance, foudroyèrent à l'envi et l'Apologie et la méchante morale des casuistes.

Les jésuites perdoient patience pendant ce soulèvement si universel; mais ils ne purent jamais se résoudre à désavouer l'Apologie. Le père Annat fit plusieurs écrits

contre les curés, et il les traita avec la même hauteur

que

les jésuites traitent ordinairement leurs adversaires. Mais ceux-ci le réfutèrent courageusement, et le couvrirent de confusion sur tous les points dont on les vouloit accuser. D'autres jésuites s'attaquèrent aux évêques mêmes, et écrivirent contre leurs censures. Ils publioient hautement que ce n'étoit point aux évêques à prononcer sur de telles matières, et que c'étoient des causes majeures qui devoient être renvoyées à Rome, comme on y avoit renvoyé les cinq propositions. Ils furent fort mortifiés, lorsqu'au bout de six mois ils virent leur livre condamné par un décret de l'inquisition; ils trouvoient néanmoins encore des raisons de se flatter, disant que l'inquisition n'avoit supprimé l'Apologie que pour des considérations de police. Enfin le pape Alexandre VII, auprès duquel ils avoient toujours été en si grande faveur, frappa d'anathème quarante-cinq propositions de leurs casuistes; quelques années après il condamna encore le livre d'un père Moya, jésuite espagnol, qui, sous le nom d'Amadeus Guimeneus, enseignoit la même doctrine que l'Apologie, et censura de même le fameux Caramuel, grand défenseur de toutes les méchantes maximes des casuistes. Pour achever de purger l'église de cette pernicieuse doctrine, le pape Innocent XI, en l'année 1668, fit un décret où il condamnoit à la fois soixante-cinq propositions aussi tirées des casuistes, avec excommunication encourue ipso facto par ceux qui, directement ou indirectement, auroient la hardiesse de les soutenir.

Qui n'eût cru qu'une compagnie qui fait un vœu particulier d'obéissance et de soumission aveugle au saintsiège garderoit du moins le silence sur une doctrine si solennellement condamnée, et feroit désormais enseigner dans ses écoles une morale plus conforme et à l'évangile et aux décisions des papes? Mais le faux honneur de la société l'a emporté encore en cette occasion sur toutes les raisons de religion et de politique, et même sur les constitutions fondamentales de la société. Il ne s'est presque point passé d'années depuis ce temps-là que les jésuites, soit par de nouveaux livres, soit par des thèses publiques,

n'aient soutenu les mêmes méchantes maximes. On sait avec combien d'évêques ils se brouillent encore tous les jours sur ce sujet. Peu s'en est fallu enfin qu'ils n'aient déposé leur propre général pour avoir fait imprimer, avec l'approbation du pape, un livre contre la probabilité, laquelle est regardée à bon droit comme la source de toute cette horrible morale.

Mais pendant que les jésuites soutenoient avec cette opiniâtreté les erreurs de leurs casuistes, et ne se rendoient, ni sur le fait ni sur le droit, aux censures des papes et des évêques, ils ne poursuivoient pas avec moins d'audace la condamnation de leurs adversaires. Ce ne fut pas assez pour le père Annat d'avoir fait juger dans l'assemblée du Louvre que les propositions étoient dans Jansénius, et d'avoir ensuite fait ordonner dans l'assemblée des quinze évêques que la constitution et le bref seroient signés par tout le royaume; il entreprit encore d'établir

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