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un formulaire ou profession de foi, qui comprît également la créance du fait et du droit, et d'en faire ordonner la souscription sous les peines portées contre les hérétiques. C'est ce fameux formulaire qui a tant causé de troubles dans l'église, et dont les jésuites ont tiré un si grand usage pour se venger de toutes les personnes qu'ils haïssoient. Tout le monde convient que ce fut M. de Marca qui dressa ce formulaire avec le père Annat, et qui le fit recevoir dans l'assemblée générale de 1656.

Ce prélat étoit un homme de beaucoup d'esprit, très habile dans le droit canon et dans tout ce qui s'appelle la police extérieure de l'église, sur laquelle il avoit même fait des livres très savants et fort opposés aux prétentions de la cour de Rome; mais il savoit fort peu de théologie, ne s'étant destiné que fort tard à l'état ecclésiastique, et ayant passé plus de la moitié de sa vie dans des emplois séculiers; d'abord président au parlement de Pau, puis intendant en Catalogne, d'où il avoit été élevé à l'évêché de Conserans, et ensuite à l'archevêché de Toulouse. Sa grande habileté, jointe à l'extrême passion qu'il témoignoit contre les jansénistes, lui donnoit un grand crédit dans les assemblées du clergé; il en dressoit tous les actes, et en formoit, pour ainsi dire, toutes les décisions.

M. de Marca et le père Annat convenoient dans le dessein de faire déclarer hérétiques les défenseurs de Jansénius, mais ils ne convenoient pas dans la manière de tourner la chose. Le père Annat prétendoit que, les papes étant infaillibles aussi-bien sur le fait que sur le droit, on

ne pouvoit nier sans hérésie un fait que le pape avoit décidé tel. Mais cela n'accommodoit pas M. de Toulouse, qui avoit soutenu très fortement l'opinion contraire dans ses livres, et cela, fondé sur l'autorité de tout ce qu'il y a de plus habiles écrivains, de ceux même qui sont le plus attachés à la cour de Rome, tels que les cardinaux Baronius, Bellarmin, Palavicin, le père Petau, et plusieurs autres savants jésuites, qui tous ont enseigné que l'église n'exige point la créance des faits non révélés, et qui n'ont point fait difficulté de contester des faits très importants décidés dans des conciles généraux. Les censeurs mêmes de la seconde lettre de M. Arnauld, quelque animés qu'ils fussent contre sa personne, n'avoient qualifié que de téméraire la proposition de ce docteur, où il disoit qu'il n'avoit point trouvé dans Jansénius les propositions condamnées. Les jansénistes donc ne pouvoient, même selon leurs ennemis, être traités tout au plus que de téméraires; et le père Annat vouloit qu'ils fussent déclarés hérétiques.

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Dans cet embarras, M. de Marca s'avisa d'un expédient dont il s'applaudit fort: il prétendit que le fait de Jansénius étoit un fait certain, d'une nature particulière, et qui étoit tellement lié avec le droit qu'ils ne pouvoient être séparés. Le pape, disoit ce prélat, déclare qu'il a condamné comme hérétique la doctrine de Jansenius : or les jansénistes soutiennent la doctrine de Jansénius: donc les jansénistes soutiennent une doctrine hérétique. C'étoit un des plus ridicules sophismes qui se pût faire, puisque le pape n'expliquant point ce qu'il entendoit par la doctrine

de Jansénius, la même question de fait subsistoit toujours entre ses adversaires et ses défenseurs, dont les uns croyoient voir dans cette doctrine tout le venin des cinq propositions, et les autres n'y croyoient voir que la doctrine de saint Augustin. Il n'est pas croyable néanmoins combien de gens se laissèrent éblouir à ce faux argument; le père Annat le répétoit à chaque bout de champ dans ses livres, et ce ne fut qu'après un nombre infini de réfutations qu'il fut obligé de l'abandonner.

Cependant lui et M. de Toulouse ayant préparé tous les matériaux pour faire accepter leur formulaire dans l'assemblée générale, deux prélats, envoyés par le roi, y vinrent exhorter les évêques, de la part de sa majesté, à chercher les moyens d'extirper l'hérésie du jansénisme,” En même temps tous les prélats qui se trouvoient alors à Paris (en 1656) eurent aussi ordre de se rendre dans la grand'salle des Augustins. Alors M. de Toulouse présenta à l'assemblée une ample relation qu'il avoit composée à sa mode de toute l'affaire de Jausénius. Cette relation étant lue, on fit aussi lecture de la constitution et du bref, des déclarations du roi et de toutes les lettres des assemblées précédentes. M. de Marca fit un grand discours sur l'autorité de la présente assemblée, qu'il égaloit à un concile national. Tout cela, comme on peut le penser, fut long, et tint presque entièrement les deux séances dans lesquelles cette grande affaire fut terminée, en telle sorte que ceux qui y étoient présents n'eurent autre chose à faire qu'à écouter et à signer. Il n'y eut, pour ainsi dire,

ni examen ni délibération; ceux qui n'étoient pas de l'avis du formulaire furent entraînés par le grand nombre. On confirma les délibérations des assemblées précédentes; le formulaire fut approuvé, et on résolut qu'il seroit envoyé à tous les évêques absents, avec ordre à eux d'exécuter les résolutions de l'assemblée, sous peine d'être exclus de toute assemblée du clergé, soit générale, soit particulière, et même des assemblées provinciales. Tout cela se fit le premier et le deuxième jour de septembre.

En même temps l'assemblée écrivit au nouveau pape pour lui rendre compte de tout ce qu'elle avoit fait contre les jansénistes. Ce pape, qui s'appeloit auparavant Fabio Chigi, avoit pris le nom d'Alexandre VII. Je ne puis m'empêcher de rapporter à son sujet une chose assez particulière que le cardinal de Retz raconte dans l'histoire qu'il a composée du conclave où ce même pape fut élu. Il dit que le cardinal François Barberin, dont le parti étoit fort puissant dans le conclave, fut long-temps sans se pouvoir résoudre de donner sa voix à Chigi, craignant que son étroite liaison avec les jésuites ne l'engageât, quand il seroit pape, à donner quelque atteinte à la doctrine de saint Augustin, pour laquelle Barberin avoit toujours eu an fort grand respect. Chigi, ajoute le cardinal de Retz, n'ignora pas ce scrupule. Quelques jours après, s'étant trouvé à une conversation où le cardinal Albizzi, passionné partisan des jésuites, parloit de saint Augustin avec beaucoup de mépris, il prit avec beaucoup de chaleur la défense de ce saint docteur, et parla de telle sorte que

non seulement le cardinal Barberin fut entièrement rassuré, mais qu'on se flatta même que Chigi seroit homme à donner la paix à l'église.

Il est évident que jamais les jésuites ne furent plus puissants à Rome que sous son pontificat. Il ne tarda guère à publier une constitution (le 16 octobre 1656) où, non content de confirmer la bulle d'Innocent X contre les cinq propositions, il traitoit d'enfants d'iniquité tous ceux qui osoient dire que ces propositions n'avoient point été extraites de Jansénius ni condamnées au sens de cet évêque, assurant qu'il avoit assisté lui-même au jugement de toute cette affaire, et que l'intention de son prédécesseur avoit été de condamner la doctrine de Jansénius. Il y a de l'apparence qu'il disoit vrai. Cependant l'assemblée du clergé rapporte dans son procès-verbal une chose assez surprenante, c'est M. l'évêque de Lodève, dans le dans le compte

que

qu'il rendit à messeigneurs d'un entretien qu'il avoit eu avec Innocent X, leur dit que ce pape l'avoit assuré de sa propre bouche que son intention n'avoit point été de toucher ni à la personne, ni à la mémoire de Jansénius, ni même précisément à la question de fait.

Mais l'assemblée ne se mit pas fort en peine d'accorder ces contrariétés; elle ne se plaignit pas même de certains termes de la nouvelle bulle, qui étoient très injurieux à l'épiscopat, et se contenta de les adoucir le mieux qu'elle put dans la version françoise qu'elle en fit faire. Du reste elle reçut avec de grands témoignages de respect la constitution, en fit faire mention dans le formulaire, où il ne

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