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concevoir d'où venoit la répugnance de ces filles à signer le formulaire. La nécessité où on les réduisoit les avoit enfin obligées malgré elles de s'instruire de la contestation qui faisoit tant de bruit dans l'église, et qui les jetoit dans de si grands embarras. Elles avoient appris que deux paà la sollicitation des jésuites et de plusieurs évêques, pes, avoient condamné, comme extraites de Jansénius, évêque d'Ypres, cinq propositions très abominables ; que tout le monde avouoit que ces propositions étoient bien condamnées; mais qu'un grand nombre de docteurs distingués par leur piété et par leur mérite, du nombre desquels étoient les directeurs de leur maison, soutenoient qu'elles n'étoient point dans le livre de cet évêque, où ils offroient même d'en faire voir de toutes contraires; qu'il s'étoit fait sur cela de part et d'autre quantité de livres où ceux-ci paroissoient avoir eu tout l'avantage. Il y avoit donc lieu de douter, et elles doutoient effectivement, que ces propositions fussent dans le livre de cet évêque, mort en odeur de sainteté, et qui, dans son ouvrage même, paroissoit soumis jusqu'à l'excès au saintsiège. Ainsi, soit qu'elles se trompassent ou non, pouvoient-elles en sûreté de conscience signer le formulaire? N'étoit-ce pas attester qu'elles croyoient le contraire de ce qu'en effet elles pensoient? On répondoit qu'elles devoient se fier à la décision de deux papes; mais elles avoient appris de toute l'église que les papes, ni même des conciles, ne sont point infaillibles sur des faits non révélés. Et y a-t-il quelqu'un, si ce n'est les jésuites, qui

le puisse soutenir? Le contraire n'est-il pas aujourd'hui avoué de toute la terre? et n'étoit-il pas alors aussi vrai qu'il l'est maintenant ? Il est donc constant que ces filles ne refusoient de signer que parcequ'elles craignoient de faire un mensonge. Mais leur délicatesse sur cela étoit si grande, que, quelque tour que les grands-vicaires eussent donné à leur premier mandement, plusieurs religieuses néanmoins, sur la seule peur d'être obligées de le signer, tombèrent malades; et il prit à la sœur de M. Pascal, qui s'appeloit en religion sœur Euphémie, et qui étoit alors sous-prieure à Port-Royal-des-Champs, une fièvre dont elle mourut. Les autres ne consentirent à signer qu'après avoir mis à la tête de leurs souscriptions deux ou trois lignes qui portoient qu'elles embrassoient absolument et sans réserve la foi de l'église catholique, qu'elles condamnoient toutes les erreurs qu'elle condamne, et que leur signature étoit un témoignage de cette disposition.

On peut juger par-là de l'effet que fit sur elles le second mandement. «< Que veut-on de nous davantage, disoientelles aux grands-vicaires? N'avons-nous pas rendu un témoignage sincère de notre soumission pour le saint-siège? Veut-on que nous portions témoignage d'un livre que nous n'entendons point, et que nous ne pouvons entendre? » Là-dessus elles prenoient à témoin M. Descontes dela pureté de leur foi, et de l'ignorance où il les avoit trouvées sur toutes ces contestations. Les grands-vicaires étoient fort fâchés de les voir dans cette agitation, et de leur persévérance dans un refus qui alloit vraisemblablement

attirer la ruine de l'une des plus saintes communautés qu'il y eût dans l'église. Ils épuisèrent leur esprit à chercher des tempéraments qui pussent sauver ces filles; ils les conjurèrent de s'aider un peu elles-mêmes, et de faire quelque chose qui leur donnât occasion de les servir. A la fin elles s'offrirent de signer avec cette espèce de préambule : « Nous, abbesse, prieures et religieuses des deux monastères de Paris et des champs, etc., considérant que, dans l'ignorance où nous sommes de toutes les choses qui sont au-dessus de notre profession et de notre sexe, tout ce que nous pouvons faire est de rendre témoignage de notre foi; nous déclarons très volontiers, par notre signa ture, qu'étant soumises avec un très profond respect à notre saint-père le pape, et n'ayant rien de si précieux que la foi, nous embrassons sincèrement et de cœur tout ce que sa sainteté et le pape Innocent X en ont déjà décidé, et rejetons toutes les erreurs qu'ils ont jugé y être

contraires. >>

Les grands-vicaires portèrent à la cour cette déclaration, et employèrent tous leurs efforts pour l'y faire approuver. Ils y portèrent en même temps une déclaration

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peu près semblable, que les religieuses du Val-de-Grace et celles de plusieurs autres couvents leur avoient aussi présentée, et sans laquelle elles refusoient de signer. On ne leur parla point de ces autres religieuses; mais ils eurent ordre de ne point admettre l'explication de celles de Port-Royal, et d'exiger d'elles une souscription pure et simple. Mais sur ces entrefaites le cardinal de Retz

ayant donné sa démission de l'archevêché de Paris, et le roi ayant nommé un autre archevêque, il ne fut plus question du mandement de ces grands-vicaires.

Cependant les jésuites, pour autoriser toutes ces violences, s'opiniâtroient à vouloir de plus en plus faire du fait de Jansenius un dogme de foi. Comme ils voyoient avec quelle facilité leurs adversaires avoient ruiné toutes les frivoles raisons sur lesquelles M. de Marca avoit voulu fonder ce nouveau dogme, ils crurent que tout le mal venoit de ce que ce prélat biaisoit trop, et ne parloit pas assez nettement. Pour y remédier, ils firent soutenir publiquement dans leur collège de Clermont une thèse où ils avancérent en propres termes cette proposition : <«< Que Jésus-Christ, en montant au ciel, avoit donné à saint Pierre et à ses successeurs la même infaillibilité et dans le fait et dans le droit qu'il avoit lui-même '. » D'où ils concluoient très naturellement que, le pape ayant décidé que les cinq propositions étoient dans Jansénius, on ne pou

1 Ce fut le 12 décembre 1661 que cette thèse parut sous le titre d'Assertion catholique de l'incarnation contre les principales hérésies de tout le siècle. Chaque position de cette thèse répondoit à chacun des seize siècles qui se sont écoulés depuis la naissance de Jésus-Christ. La dernière, dont il s'agit ici, étoit conçue en ces termes : « Ce fut en ce siècle que le schisme de Photius se fortifiant sépara les Grecs du chef de l'église. Pour nous, nous reconnoissons que Jésus-Christ en est tellement le chef, qu'il en a laissé le gouvernement, premièrement à saint Pierre, et puis à ses successeurs, et qu'il leur a accordé, toutes

voit nier sans hérésie qu'elles n'y fussent. C'est ainsi que ces pères, dans la passion de rendre hérétiques leurs adversaires, se rendoient eux-mêmes coupables d'une très dangereuse hérésie, et non seulement d'une hérésie, mais d'une impiété manifeste, en égalant à Dieu la créature, et voulant qu'on rendît à la simple parole d'un homme mortel le même culte que l'on doit rendre à la parole éternelle. Mais ils n'étoient pas moins criminels envers le roi et envers l'état par les avantages que la cour de Rome pouvoit tirer de cette thèse, plus préjudiciable à la souveraineté des rois que les opinions des Mariana et des Santarel, tant condamnées par le clergé de France, par le parlement et par la Sorbonne. Aussi excita-t-elle un fort grand scandale. Voici ce que le celèbre M. Godeau, évêque de Vence, en écrivit à un de ses amis : « Où est l'ancienne Sorbonne qui a foudroyé par avance cette proposition? Où sont les Servin, les Marion, les Harlay? Où sont les évêques de l'assemblée de Melun? Où est enfin

les fois qu'ils parleroient, la même infaillibilité qu'il avoit luimême.

« Il y a donc en l'église romaine un juge infaillible des controverses de la foi, même hors le concile général, tant dans les questions de droit que de fait : c'est pourquoi, depuis les constitutions d'Innocent X et d'Alexandre VII, on peut croire de foi divine que le livre qui a pour titre l'Augustin de Jansénius est hérétique, et que les cinq propositions tirées de ce livre sont de Jansenius, et condamnées en ce sens. » Nouvelle hérésie, etc., pag. 2.

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