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DES ÉDITEURS.

C'EST au remerciment que fit, en 1640, le célèbre Patru à sa réception à l'académie françoise, qu'on fait remonter l'usage des discours que font ordinairement ceux qui sont admis dans cette illustre compagnie; et cet usage a tellement été consacré, qu'il n'y a jamais eu que M. Colbert et M. d'Argenson qui en aient été dispensés.

Le discours que prononça Racine, en 1673, à sa réception à l'académie françoise ne nous est point parvenu. Louis Racine prétend que son père le supprima. Ce qu'il y a de très sûr, c'est qu'il n'a point été inséré dans le recueil de l'académie, soit que réellement il ait été perdu, soit que Racine ne l'ait pas jugé digne d'y trouver place. « C'étoit, selon le même auteur, un remercîment fort simple et fort court; mais il le prononça d'une voix si basse, que M. Colbert, qui étoit venu pour l'entendre, n'en entendit rien.» Mémoires sur la vie de Jean Racine, pag. 100.

Ce sentiment de défiance, qui fera toujours honneur à la mémoire de ce célèbre tragique, n'empêcha pas, dans une autre circonstance, qu'on n'applaudit avec transport à la réponse que fit Racine, en qualité de directeur de l'académie françoise, au discours de M. l'abbé Colbert, qui fut reçu dans cette compagnie à la place de feu M. Esprit, le 30 octobre 1678.

Le triomphe cependant que remporta dans cette occa

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PRÉFACE DES ÉDITEURS.

sion cet illustre poëte sur les personnes qui n'avoient pas une grande idée de ses talents en prose, n'égala pas les applaudissements que lui mérita, six ans après, le discours qu'il fit à la réception de Thomas Corneille et de M. Bergeret, qui vinrent s'asseoir à l'académie françoise (le 2 janvier 1685) aux places de Pierre Corneille et de M. de Cordemoy, morts les 1 et 8 octobre 1684.

C'étoit assurément au rival du grand Corneille qu'ap-. partenoit l'honneur de faire son éloge funèbre. Racine se chargea d'autant plus volontiers de cette importante commission, que sa qualité de directeur lui donnoit le droit de la remplir sans contestation. On vit alors que la concurrence dans une carrière brillante n'exclut pas toujours l'admiration que l'on doit aux génies qui l'ont parcourue avec éclat, et que l'homme du monde qui devoit être le plus jaloux des lauriers immortels du grand Corneille étoit aussi celui qui savoit le mieux applaudir au suffrage de la nation qui l'avoit couronné.

Racine ne pouvoit guère séparer l'éloge de Louis XIV de celui du grand Corneille, qui avoit tant servi à illustrer son règne. L'idée qu'il donna de la puissance de ce grand roi, de la supériorité de ses vues, de la rapidité de ses conquêtes, et de la grandeur de son ame, fut si grande, si noble et si relevée, qu'elle fut généralement applaudie. On fit à Louis XIV un si bel éloge de ce discours, qu'il témoigna quelque envie de l'entendre. Racine le récita devant lui; et ce prince en fut si satisfait, qu'il ne put expliquer son contentement qu'en disant à l'auteur : « Je vous louerois davantage si vous ne m'aviez pas tant loué.» Fragments historiques, pag. 288.

PRONONCÉ

A L'ACADÉMIE FRANÇOISE,

A la réception de M. l'abbé COLBERT, le 30 octobre 1678.

MONSIEUR,

Il m'est sans doute très honorable de me voir à la tête de cette célèbre compagnie; et je dois beaucoup au hasard de m'avoir mis dans une place où le mérite ne m'auroit jamais élevé. Mais cet honneur, si grand par lui-même, me devient, je l'avoue, encore plus considérable quand je songe que la première fonction que j'ai à faire dans la place où je suis c'est de vous expliquer les sentiments que l'académie a pour vous.

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Vous croyez lui devoir des remercîments pour l'honneur que vous dites qu'elle vous a fait; mais elle a aussi des vous rendre : elle vous est obligée, non seulement de l'honneur que vous lui faites, mais encore de celui que vous avez déjà fait à toute la république des lettres.

Qui, monsieur, nous sayons combien elles vous sont redevables. Il y a long-temps que l'académie a les yeux sur vous; aucune de vos démarches ne lui a été inconnue: vous portez un nom que trop de raisons ont rendu sacré

pour les gens de lettres; tout ce qui regarde votre illustre maison ne leur sauroit plus être ni inconnu, ni indifférent.

Nous avons considéré avec attention les progrès que vous avez faits dans les sciences; mais si vous aviez excité d'abord notre curiosité, vous n'avez guère tardé à exciter notre admiration. Et quels applaudissements n'a-t-on point donnés à cette excellente philosophie que vous avez publiquement enseignée! Au lieu de quelques termes barbares, de quelques frivoles questions que l'on avoit accoutumé d'entendre dans les écoles, vous y avez fait entendre de solides vérités, les plus beaux secrets de la nature, les plus importants principes de la métaphysique. Non, monsieur, vous ne vous êtes point borné à suivre une route ordinaire; vous ne vous êtes point contenté de l'écorce de la philosophie, vous en avez approfondi tous les secrets : vous avez rassemblé ce que les anciens et les modernes avoient de solide et d'ingénieux; vous avez parcouru tous les siècles pour nous en rapporter les découvertes. L'oscrai-je dire? vous avez fait connoître, dans les écoles, Aristote même, dont on n'y voit souvent que le fantôme.

Cependant cette savante philosophie n'a été pour vous qu'un passage pour vous élever à une plus noble science, je veux dire à la science de la religion. Et quels progrès n'avez-vous point faits dans cette étude sacrée ! Avec quelles marques d'estime la plus fameuse faculté de l'univers vous a-t-elle adopté, vous a-t-elle associé dans son corps ! L'académie a pris part à tous vos honneurs. Elle applaudissoit à vos célèbres actions; mais, monsieur,

de

fuis qu'elle vous a vu monter en chaire, qu'elle vous a entendu prêcher les vérités de l'évangile, non seulement avec toute la force de l'éloquence, mais même avec toute la justesse et toute la politesse de notre langue, alors l'académie ne s'est plus contentée de vous admirer, elle a jugé que vous lui étiez nécessaire. Elle vous a choisi, elle vous a nommé pour remplir la première place qu'elle a pu donner. Oui, monsieur, elle vous a choisi; car (nous voulons bien qu'on le sache). ce n'est point la brigue, ce ne sont point les sollicitations qui ouvrent les portes de l'académie; elle va elle-même au-devant du mérite; elle lui épargne l'embarras de se venir offrir; elle cherche les sujets qui lui sont propres. Et qui pourroit lui être plus propre que vous? Qui pouvoit mieux nous seconder dans le dessein quc nous nous sommes tous proposé de travailler å immortaliser les grandes actions de notre auguste protecteur? Qui pouvoit mieux nous aider à célébrer ce prodigieux nombre d'exploits dont la grandeur nous accable, pour ainsi dire, et nous met dans l'impuissance de les exprimer? Il nous faut des années entières pour écrire dignement une seule de ses actions.

Cependant chaque année, chaque mois, chaque journée même, nous présente une foule de nouveaux miracles. Étonnés de tant de triomphes, nous pensions que la guerre eût porté sa gloire au plus haut point où elle pouvoit monter. En effet, après tant de provinces si rapidement conquises, tant de batailles gagnées, les places emportées d'assaut, les villes sauvées du pillage, et toutes ces grandes

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