Page images
PDF
EPUB

munitions et de vivres qu'il y falloit jeter, que pour donner aux troupes, fatiguées par des mouvements continuels, par le mauvais temps, et par une assez longue disette de toutes choses, les moyens de se rétablir.

Le roi employa les deux jours qui suivirent la reddition du château à donner tous les ordres nécessaires pour la sûreté d'une si importante conquête; il en visita tous les ouvrages, et en ordonna toutes les réparations. Il alla trouver à Floreff le maréchal de Luxembourg, qu'il laissoit avec une puissante armée dans les Pays-Bas, et lui expliqua ses intentions pour le reste de la campagne. Il détacha différents corps pour l'Allemagne, et pour assurer ses frontières de Flandre et de Luxembourg. Il avoit déjà quelque quarante escadrons dans le pays de Cologne, sous les ordres du marquis de Joyeuse; et il les y avoit fait rester pendant tout le siège de Namur, tant pour faire payer le reste des contributions qui étoient dues que pour obliger les souverains de ce pays-là à y laisser aussi un corps de troupes considérable; ce qui diminuoit d'autant l'armée du prince d'Orange.

sy

Enfin, tous les ordres étant donnés, il partit de son camp le troisième de juillet pour retourner, à petites journées, à Versailles : d'autant plus satisfait de sa conquête, que cette grande expédition étoit uniquement son ouvrage; qu'il l'avoit entreprise sur ses seules lumières, et exécutée, pour ainsi dire, par ses propres mains, à la vue de toutes les forces de ses ennemis; que par l'étendue de sa prévoyance il avoit rompu tous leurs desseins, et

fait subsister ses armées ; et qu'en un mot, malgré tous les obstacles qu'on lui avoit opposés, malgré la bizarrerie d'une saison qui lui avoit été entièrement contraire, il avoit emporté, en cinq semaines, une place que les plus grands capitaines de l'Europe avoient jugée imprenable; triomphant ainsi, non seulement de la force des remparts, de la difficulté des pays, et de la résistance des hommes, mais encore des injures de l'air et de l'opiniâtreté, pour ainsi dire, des éléments.

On a parlé fort diversement dans l'Europe sur la conduite du prince d'Orange pendant ce siège; et bien des gens ont voulu pénétrer les raisons qui l'ont empêché de donner bataille dans une occasion où il sembloit devoir hasarder tout pour prévenir la surprise d'une ville si importante, et dont la perte lui seroit à jamais reprochée. On en a même allégué des motifs qui ne lui font pas d'honneur. Mais à juger sans passion d'un prince en qui l'on reconnoît de la valeur, on peut dire qu'il y a eu beaucoup sagesse dans le parti qu'il a pris, l'expérience du passé ayant fait connoître combien il étoit inutile de s'opposer à un dessein que le roi conduisoit lui-même; et il a jugé Namur perdu, dès qu'il a su qu'il l'assiégeoit en personne. Et d'ailleurs, le voyant aux portes de Bruxelles avec deux formidables armées, il a cru qu'il ne devoit point hasarder un combat dont la perte auroit entraîné la ruine des Pays-Bas, et peut-être sa propre ruine, par la dissolution d'une ligue qui lui a tant coûté de peine à former.

de

lui

LE BANQUET DE PLATON.'

Je crois que je n'aurai pas de peine à vous faire le récit que vous me demandez; car hier, comme je revenois de ma maison de Phalère, un homme de ma connoissance qui venoit derrière moi m'aperçut, et m'appela de loin.

On ignore le temps où Racine fit la traduction du Banquet de Platon, imprimée pour la première fois en 1732. Ce fut, à ce qu'il paroît par la lettre suivante, Boileau qui remit cet ouvrage à madame de Rochechouart, abbesse de Fontevrault, qui avoit engagé Racine à l'entreprendre.

« Puisque vous allez demain à la cour, disoit-il à Boileau, je vous prie d'y porter les papiers ci-joints: vous savez ce que c'est. J'avois eu dessein de faire, comme on me le demandoit, des remarques sur les endroits qui me paroîtroient en avoir besoin; mais comme il falloit les raisonner, ce qui auroit rendu l'ouvrage un peu long, je n'ai pas eu la résolution d'achever ce que j'avois commencé, et j'ai cru que j'aurois plus tôt fait d'entreprendre une traduction nouvelle. J'ai traduit jusqu'au discours du médecin exclusivement. Il dit à la vérité de très belles choses, mais il ne les explique point assez; et notre siècle, qui n'est pas si philosophe que celui de Platon, demanderoit que l'on mît ces mêmes choses dans un plus grand jour. Quoi qu'il en soit, mon essai suffira pour montrer à madame de.............. que j'avois à cœur de lui obéir. Il est vrai que le mois où nous sommes m'a fait souvenir de l'ancienne fête des saturnales, pendant laquelle les serviteurs prenoient avec leurs maîtres des kibertés qu'ils n'auroient pas prises dans un autre temps. Ma

Hé quoi! s'écria-t-il en badinant, Apollodore ne veut pas m'attendre! Je m'arrêtai, et je l'attendis.

Je vous ai cherché long-temps, me dit-il, pour vous demander ce qui s'étoit passé chez Agathon le jour que Socrate et Alcibiade y soupèrent. On dit que toute la conversation roula sur l'amour, et je mourois d'envie d'entendre ce qui s'étoit dit de part et d'autre sur cette

conduite ne ressemble pas trop mal à celle-là. Je me mets sans façon à côté de madame de.............; je prends des airs de maître; je m'accommode sans scrupule de ses termes et de ses phrases, je les rejette quand bon me semble. Mais, monsieur, la fête ne durera pas toujours, les saturnales passeront, et l'illustre dame reprendra sur son serviteur l'autorité qui lui est acquise. J'y aurai peu de mérite en tout sens : car il faut convenir que son style est admirable; il a une douceur que nous autres hommes nous n'attrapons point; et si j'avois continué à refondre son ouvrage, vraisemblablement je l'aurois gâté. Elle a traduit le discours d'Alcibiade, par où finit le Banquet de Platon; elle l'a rectifié, je l'avoue, par un choix d'expressions fines et délicates, qui sauvent en partie la grossièreté des idées : mais avec tout cela je crois que le mieux est de le supprimer; outre qu'il est scandaleux, il est inutile: car ce sont les louanges, non de l'amour dont il s'agit dans ce dialogue, mais de Socrate, qui n'y est introduit que comme un des interlocuteurs. Voilà, monsieur, le canevas de ce que je vous supplie de vouloir dire pour moi à madame de........... Assurez-la qu'enrhumé au point où je le suis depuis trois semaines, je suis au désespoir de ne point aller moi-même lui rendre ses papiers; et si par hasard elle demande que j'achève de traduire l'ouvrage, n'oubliez rien pour me délivrer de cette corvée. Adieu; bon voyage et donnez-moi de vos nouvelles dès que vous serez de retour. »

....

1

matière. J'en ai bien su quelque chose par le moyen d'un homme à qui Phénix avoit raconté une partie de leur discours. Mais cet homme ne me disoit rien de certain; il m'apprit seulement que vous saviez le détail de cet entretien : contez-le-moi donc, je vous prie; aussi-bien à qui peut-on mieux s'adresser qu'à vous pour entendre le dis-cours de votre ami? Mais dites-moi avant toutes choses si vous étiez présent à cette conversation. Il paroît bien, lui répondis-je, que votre homme ne vous a rien dit de certain, puisque vous parlez de cette conversation comme d'une chose arrivée depuis peu, et comme si j'avois pu y être présent. Je le croyois, me dit-il. Comment, lui dis-je, Glaucon, ne savez-vous pas qu'il y a plusieurs années qu'Agathon n'a mis le pied dans Athènes? Pour moi, il n'y a pas encore trois ans que je fréquente Socrate, et que je m'attache à étudier toutes ses paroles et toutes ses actions. Avant ce temps-là j'errois de côté et d'autre; et, croyant mener une vie raisonnable, j'étois le plus malheureux de tous les hommes. Je m'imaginois alors, comme vous faites maintenant, qu'un honnête homme devoit songer à toute autre chose qu'à ce qui s'appelle philosophie.

Ne m'insultez point, répliqua-t-il; dites-moi plutôt quand se tint la conversation dont il s'agit. Nous étions bien jeunes vous et moi, lui dis-je : ce fut dans le temps qu'Agathon remporta le prix de sa première tragédie; tout se passa chez lui le lendemain du sacrifice qu'il avoit fait avec ses acteurs pour rendre graces aux dieux du prix

« PreviousContinue »