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ces conditions se rencontrent, c'est alors uniquement qu'il ́est honnête d'aimer qui nous aime.

L'amour ne peut point être permis pour quelque autre raison que ce soit. Alors il n'est point honteux d'être trompé. Par-tout ailleurs il y a de la honte, soit qu'on soit trompé, soit qu'on ne le soit point: car si, dans l'espérance du gain, on s'abandonne à un amant que l'on croyoit riche, et qu'on reconnoisse que cet amant est pauvre en effet et qu'il ne peut tenir parole, la honte est égale de part et d'autre. On a découvert ce que l'on étoit, et on a montré que pour le gain on pouvoit tout faire pour tout le monde. Et qu'y a-t-il de plus éloigné de la `vertu que ce sentiment? Au contraire, si, après s'être confié à un amant que l'on auroit cru honnête homme, dans l'espérance d'acquérir la vertu par le moyen de son amitié, on vient à reconnoître que cet amant n'est point 'un honnête homme, et qu'il est lui-même sans vertu, il n'y a point de déshonneur à être trompé de la sorte; car on a fait voir le fond de son cœur, on a montré que pour la vértu, et dans l'espérance de parvenir à une plus grande perfection, on étoit capable de tout entreprendre; et il n'y avoit rien de plus glorieux que d'avoir cette passion pour la vertu.

Il s'ensuit donc qu'il est beau d'aimer pour la vertu. C'est cet amour qui fait la Vénus céleste, et qui est céleste lui-même, utile aux particuliers et aux républiques, et digne de leur principale étude, qui oblige l'amant et l'aimé de veiller sur eux-mêmes, et d'avoir soin de se

rendre mutuellement vertueux. Tous les autres amours appartiennent à la Vénus populaire. Voilà, ô Phèdre, tout ce que j'avois à vous dire présentement sur l'amour.

Pausanias ayant fait ainsi une pause (car voilà de ces allusions que nos sophistes enseignent), c'étoit à Aristophane à parler; mais il en fut empêché par un hoquet qui lui étoit survenu, apparemment pour avoir trop mangé. Il s'adressa donc à Eryximaque, médecin, auprès de qui il étoit, et lui dit : Il faut, ou que vous me délivriez de ce hoquet, ou que vous parliez pour moi jusqu'à ce qu'il ait cessé. Je ferai l'un et l'autre, répondit Eryximaque, car je vais parler à votre place, et vous parlerez à la mienne quand votre incommodité sera finie; elle le sera bientôt si vous voulez retenir votre haleine, et vous gargariser la gorge avec de l'eau. Il y a encore un autre remède qui fait cesser infailliblement le hoquet, quelque violent qu'il puisse être; c'est de se procurer l'éternuement en se frottant le nez une ou deux fois. J'aurai exécuté vos ordonnances, dit Aristophane, avant que votre discours soit achevé. Commencez.

ICI FINIT LA TRADUCTION DU BANQUET DE PLATON PAR RACINE.

ÉPITRE DÉDICATOIRE.

A MADAME DE MONTESPAN.

MADAME,

Voici le plus jeune des auteurs qui vient vous demander votre protection pour ses ouvrages. Il auroit bien voulu attendre, pour les mettre au jour, qu'il eût huit ans accomplis; mais il a eu peur qu'on ne le soupçonnât d'ingratitude, s'il étoit plus de sept ans au monde sans vous donner des marques publiques de sa reconnois

sance.

En effet, madame, il vous doit une bonne partie de tout ce qu'il est. Quoiqu'il ait eu une naissance assez heureuse, et qu'il y ait peu d'auteurs que le ciel ait regardés aussi favorablement que lui, il avoue que votre conversation a beaucoup aidé à perfectionner en sa personne ce la nature avoit commencé. S'il pense avec quelque justesse, s'il s'exprime avec quelque grace, et s'il sait déjà faire un assez juste discernement des hommes, ce sont

que

autant de qualités qu'il a tâché de vous dérober. Pour moi, madame, qui connois ses plus secrètes pensées, je sais avec quelle admiration il vous écoute; et je puis vous assurer avec vérité qu'il vous étudie beaucoup plus volontiers que tous ses livres.

Vous trouverez dans l'ouvrage que je vous présente quelques traits assez beaux de l'histoire ancienne; mais il craint que, dans la foule d'évènements merveilleux qui sont arrivés de nos jours, vous ne soyez guère touchée de tout ce qu'il pourra vous apprendre des siècles passés. Il craint cela avec d'autant plus de raison, qu'il a éprouvé la même chose en lisant les livres. Il trouve quelquefois étrange que les hommes se soient fait une nécessité d'apprendre par cœur des auteurs qui nous disent des choses si fort au-dessous de ce que nous voyons. Comment pourroit-il être frappé des victoires des Grecs et des Romains, et de tout ce que Florus et Justin lui racontent? Ses nourrices, dès le berceau, ont accoutumé ses oreilles à de plus grandes choses. On lui parle comme d'un prodige d'une ville que les Grecs prirent en dix ans; il n'a que sept ans, et il a déjà vu chanter en France des Te Deum pour la prise de plus de cent villes.

Tout cela, madame, le dégoûte un peu de l'antiquité. Il est fier naturellement. Je vois bien qu'il se croit de bonne maison; et avec quelques éloges qu'on lui parle d'Alexandre et de César, je ne sais s'il voudroit faire aucune comparaison avec les enfants de ces grands hommes.

Je m'assure que vous ne désapprouverez pas en lui cette petite fierté, et que vous trouverez qu'il ne se connoît pas mal en héros. Mais vous m'avouerez aussi que je n'entends pas mal à faire des présents, et que, dans le dessein que j'avois de vous dédier un livre, je ne pouvois choisir un auteur qui vous fût plus agréable, ni à qui vous prissiez plus d'intérêt qu'à celui-ci.

Je suis,

MADAME,

Votre très humble et trèsobéissante servante ***

On a supprimé la pièce en vers latins intitulée Santolius pœnitens. C'est par erreur qu'elle est insérée dans plusieurs éditions des œuvres de Racine : elle n'est point de lui; mais de Rollin. On lui a seulement attribué dans le temps la traduction de cette pièce en vers françois, et dont le véritable auteur étoit Boivin le jeune. Dans une lettre de Racine à Boileau, du 4 avril 1696, on voit qu'il n'étoit point flatté qu'on lui eût attribué cette traduction.

On espère enfin que cette nouvelle édition, qui se recommande encore par d'autres avantages dont le détail seroit trop long, sera généralement estimée.

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