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se réduisent à faire voir que vous n'êtes pas capable de connoître une différence aussi visible et aussi marquée que celle-là? Je ne sais si cela ne feroit point entrer les gens en soupçon sur les louanges que vous donnez aux provinciales: on croira que vous les louez sur la foi d'autrui, et que vous seriez peut-être aussi embarrassé à marquer les beautés, que vous avez été peu heureux à trouver les défauts des hérésies imaginaires. Quiconque aura bien senti les graces des premières aimera celles-ci, et verra bien que, s'il y a quelque chose qui se puisse soutenir auprès des provinciales, ce sont les hérésies imaginaires.

Il est certain que les petites lettres sont inimitables. Il y des graces, des finesses, des délicatesses qu'on ne sauroit assez admirer; mais il est vrai aussi qu'il n'y a pas eu de sujet plus heureux que celui de M. Pascal. On n'en trouve pas toujours qui soient capables de ces sortes d'agréments; et quoique ce soit une extravagance insigne que de prétendre qu'on soit obligé à la créance intérieure du fait de Jansenius, et qu'on puisse traiter comme hérétiques ceux qui n'en sont point persuadés, cela ne se fait pas sentir, et ne divertit pas comme les décisions des casuistes. C'est une grande faute de jugement de demander par-tout le même caractère et le même air; et c'est avec beaucoup de raison que l'auteur des hérésies imaginaires, bien loin de vouloir attraper ce genre d'écrire, comme vous lui reprochez à perte de vue, a pris une manière plus grave et plus sérieuse. Cependant, lorsqu'il lui tombe

quelque chose entre les mains qui mérite d'être joué, peut-on s'y prendre plus finement, et y donner un meilleur tour? Et quelque sujet qui se présente, peut-on démêler les choses embrouillées avec plus d'adresse et de netteté? Peut-on mieux mettre les vérités dans leur jour? Peut-on pénétrer les replis du coeur humain, et en faire mieux connoître les ruses?

Je ne prétends pas marquer tout ce qu'il y a de beau dans les lettres de l'hérésie imaginaire; cela seroit fort superflu pour les gens qui ont le goût bon, et fort peu utile pour les autres. Et pour vous, monsieur, je ne sais si vous en profiteriez. C'est une mauvaise marque de finesse de sentiment que d'avoir confondu les chamillardes avec les hérésies imaginaires, et les enluminures avec l'onguent à la brûlure; et si vous avez eu si peu de discernement en cela, il est difficile que vous en ayez beaucoup en d'autres choses.

D'ailleurs, je crois qu'on auroit de la peine à vous faire entendre raison sur le sujet de l'auteur des hérésies imaginaires; il vous a touché par où vous étiez le plus sensible. Le moyen de souffrir que l'on maltraite aussi impunément les faiseurs de romans et les poëtes de théâtre! Il est aisé à voir que vous plaidez votre propre cause, et que ce que vous dites sur ce sujet ne vous a guère coûté cette tirade d'éloquence, ou plutôt ce lieu commun de deux pages, représente parfaitement un poëte qui se fâche; mais encore est-il bon de savoir pourquoi. Dites-nous donc, monsieur, prétendez-vous que

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les faiseurs de romans et de comédies soient des gens de grande édification parmi les chrétiens? Croyez-vous que

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la lecture de leurs ouvrages soit fort propre à faire mourir en nous le vieil homme, à éteindre les passions et à les soumettre à la raison? Il me semble qu'eux-mêmes s'en expliquent assez, et qu'ils font consister tout leur art et toute leur industrie à toucher l'ame, à l'attendrir, à imprimer dans le cœur de leurs lecteurs toutes les passions qu'ils peignent dans les personnes qu'ils représentent, c'est-à-dire, à rendre semblables à leurs héros ceux qui doivent regarder Jésus-Christ comme leur modèle, et se rendre semblables à lui. Si ce n'est là tout le contraire de l'évangile, j'avoue que je ne m'y connois pas; et il faut entendre la religion comme Desmarêts entend l'apocalypse, pour trouver mauvais qu'un théologien, étant obligé de parler sur cette matière, appelle ces gens-là des empoisonneurs publics, et tâche de donner aux chrétiens de l'horreur pour leurs ouvrages.

Mais bien loin que cela les offense, n'y trouvent-ils pas même quelque chose qui les flatte? Et n'est-ce pas les louer selon leur goût, que de leur reprocher de faire ce qu'ils prétendent? Les injures n'offensent que lorsqu'elles nous exposent au mépris ou des autres, ou de nous-mêmes. Or personne ne croit qu'on ait droit de le mépriser, ni de se mépriser soi-même, pour prêcher contre les règles contraires à celle qu'il s'est proposé de suivre. Ainsi, nous * voyons que ceux qui cherchent à s'agrandir dans le monde "ne s'offensent point des injures que leur disent les philo

sophes contemplatifs qui prêchent la vie retirée; ils les regardent dans un ordre dont ils ne sont pas, et où l'on juge autrement des choses.

Voilà donc les bons poëtes hors d'intérêt. Les autres devroient prendre peu de part à cette injure; car ils n'empoisonnent guère, ils ne sont coupables que par l'intention. Cependant ils murmurent, par un secret dépit, de voir qu'ils n'ont part qu'à la malédiction du péché, et qu'ils n'en recueillent point le fruit: on les reconnoît parlà; et je crois qu'on peut presque établir pour règle que, dès qu'on en voit quelqu'un qui fait ces sortes de plaintes, on peut lire ses ouvrages en sûreté de conscience.

Que s'il y a quelque gloire à bien faire des comédies et des romans, comme il y en peut avoir, en mettant le christianisme à part, et à ne considérer que cette malheureuse gloire que les hommes reçoivent les uns des autres, et qui est si contraire à l'esprit de la foi, selon les paroles de Jésus-Christ, l'auteur des hérésies imaginaires ne veut point la ravir à ceux à qui elle est due, quoiqu'à dire vrai cette gloire consiste plutôt à se connoître à ces choses, et à être capable de les faire, qu'à les faire effectivement : elle ne mérite pas qu'on y emploie son temps et son travail; et s'il étoit permis d'agir pour la gloire, ce n'est pas celle-là qu'il faudroit se proposer. La véritable gloire, sil y en a parmi les hommes, est attachée à des occupations plus sérieuses et plus importantes: car ils ont eu cette justice de régler les récompenses selon l'utilité des emplois, et ils savent bien faire la différence de ceux qui leur.

procurent des biens réels et solides, et de ceux qui ne contribuent qu'à leur divertissement. C'est ce qu'a voulu dire l'auteur des hérésies imaginaires, quand il a dit que cette occupation étoit peu honorable, même devant les hommes.

Mais enfin il n'empêche pas qu'on ne connoisse ce qu'il y a de beau dans les ouvrages de Sophocle, d'Euripide, de Térence et de Corneille, et qu'on ne l'estime son prix; on peut même dire qu'il s'y connoît, qu'il sait les règles par où il en faut juger. Il n'ignore pas ce qu'il y a de plus fin dans l'éloquence; les graces les plus naturelles, les manières les plus tendres et les plus capables de toucher, se trouvent dans ces sortes d'ouvrages : mais c'est pour cela même qu'ils sont plus dangereux. Plus ceux qui les composent sont habiles, plus on a droit de les traiter d'empoisonneurs ; et plus vous vous efforcez de les louer, plus vous les rendez dignes de ce reproche.

Que voulez-vous donc dire, et que prétendez-vous par cette grande exagération qui fait la moitié de votre lettre? Que signifient tous ces beaux traits? «Que les romans et les comédies n'ont rien de commun avec le jansénisme; qu'on se doit contenter de donner les rangs en l'autre monde, sans régler les récompenses de celui-ci ; qu'on ne doit point envier à ceux qui s'amusent à ces bagatelles de misérables honneurs auxquels on a renoncé, etc.,» pour ne rien dire du reste, car il faudroit tout copier. En vérité, le zèle de la poésie vous emporte; il est dangereux de s'y laisser aller, on n'en revient pas

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