Page images
PDF
EPUB

AVERTISSEMENT

DES ÉDITEURS.

NOUS croyons devoir rappeler ici en peu de mots ce qui engagea Racine à écrire contre l'auteur des Imaginaires.

La réponse qu'avoit faite Desmarêts à l'apologie des religieuses de Port-Royal ayant indisposé contre lui les personnes qui s'étoient intéressées à leur justification, M. Nicole se chargea de les venger de la manière peu mesurée dont Desmarêts avoit parlé d'elles, et il publia ses Visionnaires. Racine ne se seroit point engagé dans cette querelle, si, dans la première de ces lettres, M. Nicole n'avoit pas traité les faiseurs de romans et les poëtes d'einpoisonneurs publics : mais il crut que l'anteur des Visionnaires 2 l'avoit eu en vue; et, pour justifier son art, et

1 C'étoit Pierre Nicole, un des meilleurs écrivains du dixseptième siècle, auteur des Essais de morale qui portent son des Préjugés légitimes, des Prétendus réformés convaincus de schisme, d'un Traité sur l'unité de l'église, et d'un très grand nombre d'ouvrages en tout genre..

nom,

2 On appelle Visionnaires les huit lettres dans lesquelles M. Nicole se proposa d'examiner la conduite, les écrits, les opinions, les visions, etc. de Desmarêts. On a dit « qu'il suffisoit de montrer en deux ou trois pages que c'étoit un fanatique, et qu'il

montrer aussi que c'étoit sans fondement qu'on déshonoroit ainsi ceux qui s'adonnoient à la poésie, il écrivit la lettre suivante. Nous n'examinerons point ici si ce jeune poëte n'a point un peu trop légèrement oublié les obligations qu'il avoit à la maison de Port-Royal, dans laquelle il avoit été élevé, et s'il n'auroit point dû s'abstenir d'écrire contre ses bienfaiteurs, en supposant même qu'ils l'eussent attaqué directement 1. Tout ce que nous ajouterons ici,

n'y avoit après qu'à le laisser là. » Et on a eu raison. Ces huit lettres, dont la première parut à la fin de 1665, et les sept autres en 1666, font une espèce de suite aux dix lettres que M. Nicole publia en 1664 et 1665, sur l'hérésie imaginaire, titre sous lequel il renferma toutes les questions auxquelles le formulaire donna' lieu.

Afin que tout le monde puisse juger en quoi Racine pouvoit être offensé, nous allons rapporter ici l'endroit qui donna lieu à cette lettre : « Afin de reconnoître, dit l'auteur des Visionnaires, par des marques plus certaines, si c'est l'esprit de Dieu, ou l'esprit d'erreur qui agit en lui ( Desmarêts ), il suffit presque de considérer en gros ce que tout le monde sait de sa vie, et ce que l'on peut connoître de son esprit, en jetant les yeux en passant sur les livres qu'il a donnés au public.

Chacun sait que sa première profession a été de faire des romans et des pièces de théâtre, et que c'est par où il a commencé à se faire connoître dans le monde. Ces qualités, qui ne sont pas fort honorables, au jugement des honnêtes gens, sont horribles, étant considérées selon les principes de la religion chrétienne et les règles de l'évangile, UN FAISEUR de romans et UN POËTE de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des ames des fidèles, qui se doit regarder comme coupable d'une infinité d'homicides spirituels, on qu'il a causés en effet, ou

c'est que Racine ne s'étoit fait connoître encore au théâtre que par des essais, et que dans cette lettre il ne parut point au-dessous du modèle qu'il s'étoit proposé d'imiter.

M. Nicole ne voulut point répondre à Racine, et, tandis qu'il gardoit le silence, il parut deux réponses, l'une de M. Dubois, et l'autre de M. Barbier d'Aucour. Racine en fut choqué, ainsi que du soin que MM. de Port-Royal avoient pris de les publier. Il se détermina donc à leur écrire une lettre commune dans laquelle on trouve le même agrément dans le style que dans celle adressée à M. Nicole. Cela n'empêcha pas ce dernier d'insérer l'année suivante ( 1667), dans son recueil des Imaginaires et des Visionnaires, les deux réponses auxquelles Racine avoit répliqué le 10 mai 1666.

qu'il a pu causer par ses écrits pernicieux. Plus il a soin de couvrir d'un voile d'honnêteté les passions criminelles qu'il y décrit, plus il les a rendues dangereuses, et capables de surprendre et de corrompre les ames spirituelles et innocentes. Ces sortes de péchés sont d'autant plus effroyables, qu'ils sont toujours subsistants, parceque ces livres ne périssent pas, et qu'ils répandent toujours le même venin dans ceux qui les lisent. »> Onzième Imaginaire, ou première Visionnaire, tom. II, pag. 50 et 51, édition de 1667.

RACINE. 4.

« PreviousContinue »