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Mes prédécesseurs au ministère des Cultes et notamment MM. Vivien, Martin du Nord et Baroche ont résisté à cette nouvelle jurisprudence. Le Conseil d'Etat l'a maintenue, tout en admettant d'assez nombreuses exceptions d'espèce et en paraissant même hésiter sur la question de principe. En 1867, un avis très fortement motivé de la section de l'Intérieur, de l'Instruction publique et des Cultes, qui concluait à la capacité civile des diocèses, n'a été rejeté en assemblée générale qu'à une voix de majorité et ce rejet n'a été accompagné d'aucun avis qui le motivât... Pendant quarante ans, aucun doute ne s'est élevé sur l'existence civile des diocèses. C'est en 1840 seulement que le Conseil d'Etat a commencé à contester la capacité civile de ces établissements.

D'après cette nouvelle jurisprudence, l'évêque est incapable d'accepter toute libéralité faite dans l'intérêt général de son diocèse et ne pouvant être actuellement affectée à un établissement qui soit reconnu ou en mesure de l'être. Il est donc incapable d'accepter : les dons et legs pour les prêtres infirmes dans les diocèses où l'on ne peut organiser une caisse de retraite; les dons et legs pour faciliter l'exercice du culte dans le diocèse; les dons et legs pour achats d'ornements ou de vases sacrés destinés aux églises du diocèse au choix du prélat; les dons et legs de chapelles, calvaires ou édifices religieux n'offrant aucun intérêt paroissial; les dons et legs pour bonnes œuvres indéterminées, etc. De semblables libéralités ne peuvent produire leur effet que lorsqu'il y a lieu de les affecter à des établissements diocésains légalement reconnus, au nom desquels l'autorisation d'accepter soit demandée et accordée. Les évêques seront donc invités à désigner les établissements qui pourront profiter de la libéralité; en cas de refus du prélat de faire cette désignation, ou des héritiers du testateur d'y consentir, l'autorisation devra être refusée (1).

Une pareille doctrine parait absolument inadmissible si l'on se place au point de vue théorique. Les intérêts généraux et collectifs ne sauraient être, en effet, moins dignes des préoccupations des législateurs que les intérêts secondaires ou locaux. Aussi dans l'ordre civil, les uns et les autres sont légalement représentés. Le département est sans doute une

(1) Avis du Conseil d'Etat, 2 juin 1856; avis de la section de l'Intérieur, 11 janvier et 14 avril 1860: lettre du président de la section de l'Intérieur, 29 juillet 1870.

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circonscription administrative; mais il n'en constitue pas moins, tout aussi bien que la commune, un être moral, une personne juridique pourvue d'un représentant qui est chargé de sauvegarder ses droits et ses intérêts. Dans l'ordre ecclésiastique et religieux, au contraire, suivant la doctrine qui prévaut aujourd'hui, les intérêts locaux ou secondaires auraient seuls des représentants légaux; le conseil de fabrique pour la paroisse ou l'église; le curé ou le desservant pour la cure ou la succursale, le doyen pour le chapitre, l'évêque pour la mense et le palais épiscopal, la cathédrale et les séminaires; les supérieurs pour les communautés religieuses, mais les intérêts généraux et collectifs n'auraient point de mandataire ou de représentant légal. L'évêque qui a la direction, le gouvernement du diocèse (1) ne pourrait le représenter civilement; il serait incapable d'accepter aucune libéralité, de concourir à aucun acte de la vie civile qui intéressât la généralité des fidèles. Ces considérations permettent d'apprécier la gravité de la question que je vais serrer de plus près, en discutant la doctrine inaugurée par les avis du Comité de législation de 1840 et 1841.

Ces avis de 1840 et de 1841, fidèlement reproduits dans les avis postérieurs, se réduisent à deux propositions : « 1o Les diocèses ne sont que des circonscriptions administratives; 2o aucune disposition législative ne les a reconnus comme personnes civiles et ne leur a conféré le caractère d'établissements publics. »

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1o Les diocèses ne sont que des circonscriptions administratives. Cette première proposition ne peut se concilier avec les textes des lois qui attribuent une circonscription aux diocèses et leur supposent une existence indépendante de cette circonscription. « Il sera fait une nouvelle circonscription des ⇓ diocèses français (2). L'établissement et la circonscription de tous ces diocèses seront concertés entre le roi et le SaintSiège. »

2o Aucune disposition législative n'a reconnu les diocèses comme personnes civiles et ne leur a conféré le caractère d'établissements publics. On ne saurait objecter l'absence de disposition expresse attribuant l'existence légale au diocèse. Aucun texte de loi ne confère explicitement et formellement cette existence civile à la commune, à la

(1) Loi 18 germinal, an X, art. 9, 36, 37.

(2) Concordat, art. 2, cf. art. 14, loi 18 germinal, an X, art. 59.

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cure ou à la succursale, aux chapitres, menses épiscopales, cathédrales et séminaires, et cependant aucun doute n'existe sur la capacité civile de ces établissements. Notre législation n'a jamais déterminé, d'une manière précise et complète, les établissements qui jouissent de la vie civile. La doctrine a suppléé à ces lacunes et il est aujourd'hui universellement admis que tout établissement public organisé par la loi constitue un être moral, une personne civile, par le seul fait de son existence. Or, l'établissement public se reconnaît aux conditions suivantes : 1° un caractère d'intérêt général et de perpétuité; 2° un siège déterminé ou une circonscription générale fixe, établie ou reconnue par l'autorité civile; 3o une autorisation sanctionnée par la loi; 4o un administrateur spécial nommé ou institué par le gouvernement ; 5o des ressources propres. Le diocèse réunit incontestablement ces cinq conditions. Il a un caractère d'intérêt général et de perpétuité que nul ne conteste. Il a une circonscription fixe et un siège déterminé par la loi, des divisions territoriales réglées avec l'intervention du gouvernement (1). Il a une organisation propre. Le législateur lui reconnaît ou lui attribue un chapitre, un séminaire (2), un personnel (art. 33 et 34), des traitements pour le personnel (3). Il est dirigé par un archevêque ou un évêque nommé par le chef de l'Etat (4). Il tient enfin de la loi des ressources propres où le droit de s'en créer. Le Concordat et la loi du 18 germinal an X assurent le traitement de tous les titulaires qui prennent une part plus ou moins grande à sa direction; le décret du 19 thermidor an XIII constitue un fonds de secours à répartir par les évêques entre les ecclésiastiques âgés ou infirmes de leur diocèse; le Concordat et la loi du 18 germinal an X, dans leur article 11 laissent à la charge des évêques les dépenses des chapitres et des séminaires et admettent ainsi l'existence de ressources diocésaines; enfin, l'article 73 de cette même loi de germinal an X reconnaît au diocèse la faculté de posséder et de se constituer une dotation en déclarant que « les fondations qui ont pour objet l'entretien des ministres et l'exercice du culte (et sont ainsi destinées à pourvoir aux

(1) Concordat, art. 2 et 9; L. 18 germinal an X, art. 58 et 59; L. 4 juillet 1821, art. 2.

(2) Concordat; L. 18 germinal an X, art. 36, 37 et 38.

(3) Concordat, art. 14.

(4) Concordat, art. 14; L. 18 germinal an X, art. 9.

intérêts généraux du diocèse) seront acceptées par l'évêque diocésain. >>>

Cette dernière disposition suffirait à elle seule pour établir que les diocèses ont une existence civile.

L'absence d'une disposition reconnaissant expressément l'existence civile du diocèse, ne pourrait donc être invoquée contre cette existence légale, puisque nous trouvons la même lacune dans notre législation pour d'autres établissements, dont la capacité civile n'est pas contestée. Mais je crois pouvoir aller plus loin et affirmer que le législateur reconnaît l'existence civile du diocèse. Cette reconnaissance légale se trouve dans les articles 36 et 37 de la loi de germinal an X, qui parlent du gouvernement des diocèses; dans l'article 38 de la même loi, qui interdit toute innovation dans les usages et coutumes des diocèses; dans l'article 73 que je viens également de citer; dans le rapport de M. Bigot de Préameneu, sur le projet de règlement, devenu le décret du 6 novembre 1813. <«< Les séminaires sont des établissements dont les archevêques et évêques ont l'entière direction, et c'est au diocèse, en général, qu'appartiennent les biens formant leur dotation (1). >>

Elle est expressément formulée dans l'ordonnance du 2 avril 1817, portant règlement d'administration publique, en exécution de la loi du 2 janvier 1817. Cette ordonnance range en effet, les archevêchés et évêchés au nombre des établissements publics ou d'utilité publique, qui peuvent être autorisés à accepter des dons et legs, et elle reconnaît aux évêques le droit d'accepter des libéralités au nom de leur évêché.

On s'est efforcé d'écarter cet argument en contestant, dans cette ordonnance, au mot évêché, le sens de diocèse. Le Conseil d'Etat, dans ces dernières années, a soutenu que le terme évêché signifiait mense épiscopale... Cette interprétation exclusive ne repose sur rien. Elle est contredite par des dispositions de lois ou de règlements d'administration publique. Elle est donc absolument inadmissible. L'examen attentif des textes amènera inévitablement à reconnaitre que ce mot évéché est un terme complexe; que dans nos lois comme dans le langage usuel, il a une double, peut-être même une triple acception; qu'il signifie le plus souvent diocèse; qu'il est plus rarement employé pour palais épiscopal; qu'il n'a ce sens que

(1) HÜFFER, Forschungen auf dem gebiete der Kirchenrechts, p. 380, et Archives nationales.

dans les ordonnances de détail, et que, si nous laissons de côté l'ordonnance du 2 avril 1817, qui est en discussion, il n'existe pas un seul texte où ce terme ait le sens de mense épiscopale, que lui attribue surtout le Conseil d'Etat.

Reprenons ces trois points, dont la démonstration décisive résoudra la question.

1o Le mot évêché est souvent employé dans notre législation comme dans le langage usuel, avec l'acception de diocèse. Pour s'en convaincre, il suffit de comparer la rubrique du titre II, section première de la loi du 18 germinal an X : «De la circonscription des archevêchés et évêchés. » Avec l'article 59 « La circonscription des métropoles et des diocèses, sera faite conformément au tableau ci-joint; » les articles 107 et 111 du décret du 30 décembre 1809 : « Le chef-lieu de l'évêché... s'il y a dans le même évêché plusieurs départements,» avec l'article 106 : « Les départements compris dans un diocèse. » Les décrets d'érection des diocèses emploient aussi indifféremment les mots évêchés et diocèses.

2o Le mot évêché est plus rarement et improprement employé dans le sens de palais épiscopal. Dans le règlement organique précité de 1809, qui est de l'aveu de tous, le règlement le plus remarquable et le mieux rédigé de notre législation, le palais épiscopal est appelé de son véritable nom (art. 107); il en est de même dans le décret du 6 novembre 1812 (art. 37 et 42). En laissant toujours de côté l'ordonnance de 1817 qu'il s'agit d'interpréter, nous ne trouvons pour la première fois le mot évêché avec le sens de palais épiscopal que dans les ordonnances des 7 avril 1819 et 4 janvier 1832, qui traitent de l'ameublement de ces palais, ordonnances qui ne sauraient prévaloir sur des règlements organiques.

3o Il n'existe aucun texte autre que l'ordonnance de 1817, qui est en discussion, où le nom évéché soit employé dans le sens de mense épiscopale. Le mot mense (de mensa, en anglais : mess, radical de commensal), signifie dans son acception propre, table, et dans son acception figurée, ce qui est nécessaire pour la table, pour la nourriture et l'entretien. La mense épiscopale, la mense canoniale, la mense conventuelle, ce sont les revenus affectés à la nourriture et à l'entretien de l'évêque, des chanoines, des religieux. Tout ce qui concerne la mense épiscopale, est réglé par le titre II du décret du 6 novembre 1813 (art. 29 à 48), et dans aucun de ces articles, le mot évêché n'est pris dans cette acception. Il en est au contraire bien nettement distingué. « Art. 30 les papiers, titres, documents

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