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jusqu'alors, avait permis à l'évèque de désigner l'établissement auquel devait profiter le don ou legs. Legs Hude. - En 1892, l'évêque de la Rochelle avait été autorisé à accepter au nom de la mense épiscopale un legs de M. l'abbé Hude. Celui-ci avait stipulé pour son légataire universel l'obligation d'offrir une partie de ses biens au diocèse, en la personne de Mgr l'Evêque. Un arrêt du 16 mai 1894, de la cour de Poitiers, prononçait la nullité de ce legs, par ce motif qu'il s'adressait non à la mense épiscopale, mais au diocèse, lequel est dépourvu d'existence civile.

Cet arrêt a été critiqué par M. Grousseau (1).

Nous n'hésitons pas à désapprouver cette décision, dit ce jurisconsulte. Il nous parait qu'une saine interprétation de la pensée de M. l'abbé Hude, devait conduire à dire que le legs au diocèse en la personne de Mgr l'Evêque, était un legs à l'évêché, parfaitement capable de recevoir avec l'autorisation du Gouvernement. En tout cas, la cour de Poitiers aurait dû se souvenir de la règle si sage tracée par l'article 1157 du Code civil: « Lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l'entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n'en pourrait produire

aucun. »

La cour d'Amiens fut mieux inspirée lorsqu'elle se prononça dans son arrèt du 16 février 1893, sur un legs, fait à l'administration épiscopale du diocèse de Soissons. Elle attribua le legs Gavet à la mense épiscopale.

(1) GROUSSEAU, Revue du culte catholique, t. 1, p. 254.

On aurait pu croire, qu'après avoir méconnu, en 1880, la capacité juridique du diocèse, le Conseil d'Etat continuerait au moins d'accorder une certaine latitude à la capacité de la mense épiscopale. Nous allons voir le contraire dans le chapitre suivant, où la jurisprudence se montre de plus en plus sévère, et applique, à cet établissement, le principe de la spécialité, avec une rigueur inouïe.

CHAPITRE QUATRIÈME

PRINCIPE DE LA SPÉCIALITÉ APPLIQUÉ AUX MENSES

ÉPISCOPALES

Les menses épiscopales sont aptes à recevoir, mais leur capacité est subordonnée au principe de la spécialité, qui la limite.

M. Léon Béquet (1) a

Règle de la spécialité. ainsi formulé cette règle. « La capacité des établissements publics a-t-il dit, est exclusivement bornée à l'exécution du service à raison duquel ils ont été institués. C'est pour accomplir une fonction administrative que la vie civile leur a été donnée; au delà de cette fonction, ils ne peuvent rien, ils n'ont droit à rien, ils ne sont rien. »

D'après M. Ducrocq, les établissements publics << ne sont investis de la personnalité civile qu'en vue de l'accomplissement de leur fonction déterminée par la loi. Leur capacité civile est soumise, comme leur fonction, à cette règle de la spécialité. Il en est ainsi, parce que la fonction étant la raison d'être de la capacité juridique, cette dernière manque de base légale, lorsqu'une libéralité est faite à l'établissement, dans un but autre que celui pour lequel il a été créé et doté de la personnalité civile. Cette règle,

(1) De la capacité des fabriques, pour recevoir des dons et legs faits en faveur des pauvres. (Revue générale d'administration, 1881, t. III, p. 27.)

dite de la spécialité, n'est qu'une application de cette vérité fondamentale que la capacité des personnes civiles n'est jamais aussi étendue que celle des personnes physiques; qu'elle est toujours limitée à certains actes de la vie civile; que cette limitation est variable suivant chaque nature d'établissements; et que, mème chez ceux qui la possèdent de la manière la plus étendue, comme les établissements publics, elle est restreinte par la loi aux conditions et aux besoins de leur fonctionnement. En un mot, la personnalité civile n'est pas une notion absolue, ni toujours égale; elle est au contraire une notion relative, variant d'étendue avec chaque groupe d'établissements et appropriée à la nature de chacun d'eux. »

La spécialité de la mense épiscopale met donc obstacle à ce qu'elle reçoive les dons et legs qui lui seraient faits sous des charges et conditions étrangères à sa condition légale.

Mais cette capacité de la mense épiscopale, limitée au point de vue du droit public et administratif, l'est-elle également dans le domaine du droit civil? C'est là l'objet d'une grave controverse que nous étudierons après avoir exposé la jurisprudence du Conseil d'Etat, qui a fait naître le principe de la spécialité.

La règle de la spécialité a été reconnue à toutes les époques par le Conseil d'Etat; son hésitation n'a jamais porté sur le principe même, mais sur la manière de l'interpréter et de l'appliquer.

Les principales difficultés qu'il a été appelé à résoudre et qui ont eu le plus de retentissement, se sont présentées en matière de libéralités scolaires

ou de libéralités charitables, faites aux établissements ecclésiastiques.

$1.

Les menses épiscopales et les écoles.

Les legs et dons faits aux menses épiscopales, soulèvent, dans l'ordre juridique, deux questions distinctes l'une se rapporte à la capacité civile de la mense, l'autre à l'autorisation administrative (1).

La question de capacité est tranchée par l'autorité judiciaire. Voici une libéralité faite à un évêché sous la condition de fonder ou d'entretenir une école chrétienne; cette condition est-elle licite ou illicite? Ce sont les tribunaux qui donneront la réponse. La Cour de cassation, par un important arrêt du 31 janvier 1893, a décidé que cette condition n'est contraire à aucune loi.

La question d'autorisation dépend du Gouvernement, guidé ordinairement par les avis du Conseil d'Etat. La libéralité offerte à une mense en vue de fonder ou d'entretenir une école, est-elle de nature à obtenir l'autorisation du Gouvernement? Tel gouvernement a encouragé, tel autre a réprouvé les fondations scolaires. Nous sommes dans une période de réprobation continue depuis l'avis du Conseil d'Etat du 13 avril 1881.

L'histoire de la

I. Jurisprudence administrative. jurisprudence du Conseil d'Etat, depuis la loi de 1833 sur l'enseignement primaire, comprend cinq périodes.

(1) Cf. GROUSSEAU, Revue du Culte catholique, t. I, pp. 85 et suiv.; TISSIER, Dons et legs, t. I, pp. 517 et suiv.

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