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ils étaient avoués. Des ducs et des grands se déclarèrent souvent avoués des Eglises qu'ils voulaient protéger (1). En récompense de leurs services, ils exigeaient parfois des redevances exorbitantes, accroissant leur fortune aux dépens du trésor de l'Eglise. Afin de se défendre plus efficacement contre les violences et les exactions des seigneurs féodaux, les évêques à partir du douzième siècle, surtout pendant le règne de Louis le Gros, cherchent protection auprès de la royauté. D'un commun accord entre l'autorité royale et le haut clergé, les rois arrivèrent insensiblement à mettre sous leur garde la plus grande partie des biens d'église à titre de sauvement << salvamentum ».

La papauté elle-même et l'épiscopat français s'unirent ainsi à la royauté pour combattre les seigneurs féodaux qui prétendaient avoir le domaine éminent des biens ecclésiastiques « dominium sumтит >> situés sur leurs terres et voulaient, euxmêmes, conférer l'investiture de tous les bénéfices.

Au treizième siècle, la royauté, aidée par les légistes, cherche à établir la théorie que la garde universelle des Eglises lui est confiée; c'est ce que nous lisons dans Beaumanoir, chapitre XLVI : « Li roys, dit-il, généraument a la garde de toutes les églises dou royaume, mais espéciaument chascuns barons l'a en sa baronnie. » Plus loin, il explique que si le baron renonce à son droit, ou néglige de l'exercer, le roi l'exercera à sa place, « la garde espécial demeure au roi ».

(1) Cf. l'excellente thèse de M. SENN, l'Institution des Avoueries ecclésiastiques en France. Paris, 1903.

Eliminer la garde seigneuriale, telle sera l'une des prétentions principales de Philippe le Bel à l'égard de l'Eglise.

La royauté française tirera de nombreux avantages de cette théorie :

1° Elle exigera que les Eglises payent désormais au fisc les droits de mainmorte, que les seigneurs féodaux avaient exigé pour l'incorporation de tenures féodales et même roturières au patrimoine ecclésiastique ;

2o Sous les deux premières races de rois, l'immunité des biens ecclésiastiques avait été à peu près respectée ainsi que sous les premiers Capétiens; peu à peu on imposera des contributions aux biens d'Eglise pour subvenir aux besoins de l'Etat ;

3o Les biens ecclésiastiques étant regardés comme des biens français, soumis aux lois du pouvoir temporel, la monarchie absolue édictera des lois pour mettre une digue à l'accroissement des biens de mainmorte et déclarera, en 1749, que l'Eglise ne pourra acquérir aucun immeuble sans l'autorisation royale confirmée par lettres patentes ;

4o Le roi, en vertu de son droit de garde, puis comme souverain fieffeux de tout le royaume, cherchera à accaparer la collation des bénéfices ecclésiastiques. Tout d'abord, il use de ses droits anciens et traditionnels pour l'élection des évêques, qui se fait d'abord par le clergé et par le peuple; il utilise son droit d'autorisation et de confirmation des élections. Pour les bénéfices inférieurs il se servira du droit de régale. De plus, en qualité de fondateurs des Eglises, il dispose déjà d'un grand nombre de bénéfices.

Cette vue d'ensemble sur les biens des Eglises et

les revenus de l'évèque depuis l'origine du christianisme, nous permet d'envisager avec plus de netteté dans quel cadre sont placées les menses épiscopales. Nous allons, dans la première partie de cet ouvrage, étudier le régime de ces menses depuis leur formation jusqu'à leur abolition en 1789.

PREMIÈRE PARTIE

RÉGIME DES MENSES ÉPISCOPALES

AVANT 1789

CHAPITRE PREMIER

FORMATION DES MENSES ÉPISCOPALES

Après avoir vu comment les biens ecclésiastiques se sont partagés, nous constaterons que les obligations, dont autrefois l'évêque était seul tenu, se sont également divisées. L'évêque n'eut plus exclusivement à sa charge l'entretien des clercs et des églises depuis la fondation et la dotation des paroisses. Au neuvième siècle, par exemple, il possède intégralement les revenus de son église cathédrale, le cens de ses terres, les dimes de la cité épiscopale et le quart de celles provenant des paroisses directement rattachées à l'episcopatus; mais un grand nombre des dimes des paroisses privées lui échappent, parce qu'elles ont été inféodées et restent aux mains des patrons.

D'après le décret du pape Gélase, la quatrième part des biens d'Eglise devait être employée au soin des pauvres, des veuves, des orphelins et des étran

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gers. Dans les paroisses, les habitants pauvres, débiles ou trop âgés pour travailler, sont inscrits sur la matricula et secourus par le clergé. Dans les cités, la part des pauvres a servi à la construction des hôpitaux, maisons-Dieu, Domus religiosa.

A la fin du sixième siècle, Bertran, évêque du Mans, fonde plusieurs hôpitaux, en particulier celui de Pontlieu, au midi de cette ville, sur les bords de la rivière l'Huisne, par article de son testament : « Quia, dit-il, votus et deliberatio mea est. » Il est facile de prouver que beaucoup d'évêques ont fait des fondations analogues.

Au Concile d'Aix-la-Chapelle, en 816, c. 141 et 148, on décide la fondation de nouveaux hôpitaux : « Les évêques, se souvenant de ce que Jésus-Christ dit dans l'Evangile J'ai été étranger, et vous m'avez logé, établiront, à l'exemple de leurs prédécesseurs, un hôpital pour recevoir les pauvres, à l'entretien duquel ils assigneront des biens ecclésiastiques, outre les dimes de toutes les terres de l'Eglise. Les chanoines y donneront la dime de leurs fruits, même des oblations, et l'un d'entre eux sera choisi pour secourir les pauvres et les étrangers, et pour gérer le temporel de l'hôpital. Si les clercs ne peuvent en tout temps laver les pieds des pauvres, ils le feront du moins en Carême. C'est pourquoi l'hôpital doit être situé dans un lieu où ils puissent aller aisément. »

On le voit, au neuvième siècle, la masse des revenus de l'évêque est bien distincte des autres biens d'église. Ce qui est resté encore quelque temps indivis, c'est la mense épiscopale et la mense capitulaire, c'est-à-dire les revenus servant à subvenir aux besoins de l'évêque et des chanoines.

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