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Pères Jésuites de Fribourg, les connaissances profondes qu'il avait acquises dans le domaine de la philosophie et de la théologie le rendaient de plus en plus recommandable aux yeux des Supérieurs provinciaux, qui le nommèrent Lecteur à Fribourg en 1774 (1). Pendant six ans il exerça ces fonctions importantes et, après avoir été revêtu de la dignité de vicaire à Sion et à Bulle, il était sur le point d'être placé à la tête de ses frères : mais, dans les modestes sentiments qu'il avait de lui-même, il sollicita de ses supérieurs la grâce de n'être jamais revêtu d'aucune dignité, croyant qu'ainsi il trouverait des occasions plus nombreuses de s'exercer dans la vertu (2). On céda à ses désirs; néanmoins il fut envoyé en 1783au couvent d'Altorf pour y exercer les fonctions difficiles de maître des novices (3).

Il quitta cette localité deux ans plus tard à destination de Stans (4).

Ici s'ouvre pour le P. Apollinaire une phase nouvelle. Il aimait la solitude d'Altorf et ce fut pour lui un grand sacrifice d'en sortir. Mais l'amour de l'obéissance triomphait de toutes ses inclinations naturelles. Arrivé dans son nouveau poste, il est chargé des cours d'éloquence sacrée et de l'œuvre des catéchismes. Il s'en acquitte avec un zèle remarquable.

Des témoins dignes de foi, nous dit le P. Maurice (5, ont rendu témoignage de sa vie religieuse à Stans. Il était le premier à se rendre au chœur et au confessionnal et n'en sortait que le dernier. Autant qu'il dépendait de lui, il disait la messe en dernier lieu surtout les jours de confession. On l'appelait presque tous les jours au confessionnal, parce que ses avis spirituels inspiraient à chacun une vive confiance. D'innombrables fidèles de l'un et de l'autre sexe désiraient lui

(1) Arch des Cap. de Frib. fase. VIII.

(2) M. Z. p. 4.

(3) Chronica Prov, Helv. Ord. S. P. N. Franc. Capue. Solod. 1884. p. 529. (4) Ibid; M. Z. 1. c., Prot. Maj. 1. c. Arch. Prov. Cap, Lucernae 6 B. 27. (5) M. Z. p. 5.

faire une confession générale de leur vie, et, dans ces circonstances, le Père faisait aux àmes un bien immense.

Ses démarches hors du monastère étaient irréprochables, son maintien religieux, sa conversation agréable et édifiante. Après l'office de minuit, il reprenait rarement son repos, mais se livrait à l'étude, à la prière et à la méditation (1).

Les catéchismes qu'il donnait à Büren (2) étaient si pleins d'attraits que les grandes personnes y accouraient en foule et en retiraient une grande utilité.

Jusqu'ici tout allait bien pour le P. Apollinaire. Estimé de ses supérieurs et de ses confrères, entouré de nombreux et vertueux amis, il brillait comme un astre au milieu des populations de l'Unterwald. Mais à l'horizon commençait à paraître un point noir. Un nuage portant dans ses flanes une tempête formidable se précipitait vers l'homme de Dieu. Tout un appareil orageux de murmure, de calomnie, d'accusations publiques vint fondre sur lui, menacant de l'emporter dans ses tourbillons; mais sa vertu était plus forte que les tempètes, son édifice spirituel, quelque élevé qu'il fût, reposait sur les bases solides d'une humilité profonde, et s'appuyait sur les puissants contreforts de l'espérance.

Les premiers symptomes apparurent à l'occasion de ses catéchismes. Le bruit se répandit tout à coup que son enseignement n'était pas orthodoxe, et causait dans ses auditeurs une profonde surprise. Le choc était terrible, mais Dieu se hata de venir au secours de son serviteur. Dès que les pieux paroissiens de Büren eurent connaissance de cette calomnie, ils en concurent une profonde indignation et se rendirent auprès du Landammann Wyrsch de Buochs pour le prier d`imposer silence aux calomniateurs. Celui-ci se rendit au couvent de Stans avec deux jurés, et attesta, devant la vénérable Famille réunie, que tous les enseignements de notre fervent catéchiste non seulement n'étaient pas blessants, mais

(1) M. Z. p. 5

(2) Village situé dans le voisinage de Stans.

corrects, utiles, et édifiants pour tous; et déposa cette justification par écrit entre les mains du P. Apollinaire, afin qu'il pût s'en servir en toute occurrence (1).

Cette mesure humilia ses ennemis mais ne leur ferma point la bouche. Poursuivant l'œuvre odieuse qu'ils avaient entreprise, ils préparèrent un assaut formidable contre cet homme, dont la vertu était une condamnation permanente de leur conduite.

Le saint Religieux se disposait à toute éventualité. Il avait pour lui le témoignage d'une conscience pure et l'approbation des âmes droites.

On s'attaqua à ce qu'il avait de plus cher au monde ; à sa bonne réputation. Et, pour arriver plus sûrement à leur fin, ses adversaires soulevèrent des créatures aux mœurs perdues qui imputèrent à l'humble fils de saint François un crime dont la noirceur fait frémir. On répandit dans la contrée certains soupçons qui devaient causer, dans l'âme de celui qui en était la victime, une impression d'autant plus douloureuse, que depuis son enfance il avait eu horreur des moindres taches et que, dans toute sa vie religieuse comme au collège, il avait fait par la pureté exquise de ses mœurs l'admiration de ceux qui l'ont connu.

Moments terribles dans la vie d'un homme, épreuves dures, mais, disons-le, épreuves nécessaires, où la vertu est affermie, couronnée par ce cachet d'authenticité, qui ne permet plus de mettre en doute sa mystérieuse énergie. Le P. Apollinaire en était persuadé plus que personne. Il se réjouira plus tard d'avoir passé par le petit creuset de Stans, avant d'être plongé dans la fournaise ardente de Paris; il se félicitera d'avoir eu l'occasion d'essayer ses armes avant de livrer le combat suprême, il s'estimera heureux d'avoir souffert toutes sortes d'injures avant d'être saisi par les bras de la mort. Ces pensées sublimes soutenaient son courage, mais n'empêchaient point son cœur de saigner. Acca

(1) M. Z. p. 6.

blé par les traits de la calomnie, il se sentait méprisé, honni, considéré comme un homme au cœur pourri par le vice, et dans la tourmente de ces voix immondes, il ne voulut point prendre sa défense, mais laisser parler ses actes, ses démarches, toute sa conduite. Cependant ses supérieurs l'obligèrent à se justifier, afin d'écarter de l'Ordre les préjudices qui résulteraient de son silence.

Il le fit dans cet esprit de soumission, qui ne voit rien de parfait au monde que la volonté des représentants de Dieu. A cette fin, il rédigea un Mémoire dans lequel il prouva jusqu'à l'évidence, l'injustice des accusations dirigées contre lui; puis prenant chaque point, chaque circonstance, il poursuivit, jusque dans leurs derniers retranchements, toutes les insinuations iniques de ses ennemis, leur prouvant d'une manière éclatante qu'ils ne s'étaient laissé diriger que par les intrigues de la jalousie (1).

Il aurait pu procéder plus loin encore et exiger de ses persécuteurs une satisfaction complète : c'était son droit; mais, croyant les hommes moins perfides, il estimait que la vérité était suffisamment rétablie et qu'il pourrait reprendre son œuvre d'apostolat.

Erreur ! la tempête n'était point calmée. Les clameurs devenaient plus puissantes, les accusations plus affreuses, les cris plus éhontés.

Que fera le Religieux pour apaiser ces flots grandissants? Un héroïque projet traverse son esprit. Il se souvient de Jonas et demandera, comme lui, qu'on le jette à la mer, il demandera à son supérieur provincial de le placer dans un autre couvent, préférant ainsi boire jusqu'à la lie le calice amer. C'est dans ces sentiments qu'il termine son Apologie: «O Père, s'écrie-t-il, si ce calice ne peut passer loin de moi, sans que je le boive, que votre volonté se fasse ! Je combats moins fidèlement, quand je souffre moins la persécution. Le serviteur n'est pas supérieur à son maître. Si Dieu me châtie

(1) M. Z. p. 6.

par la persécution, je puis espérer qu'il m'a placé au nombre de ses élus. Laissez-moi le soin de la vengeance, dit le Seigneur, c'est moi qui veux leur rendre,

sur mes traces (1). »

pour toi, marche

L'homme de Dieu reçut une réponse favorable à ses désirs, et malgré les instances du gouvernement, auprès des Supérieurs de l'Ordre (2), il quitta le sol de l'Untervald, pour se rendre au couvent de Lucerne. Il arrive dans cette nouvelle solitude le 16 avril 1788. le cœur content d'avoir été jugé digne de souffrir la persécution pour la justice (3).

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