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COUP D'OEIL SUR LA RENAISSANCE

(Suite) (1)

LA SATIRE

Il est temps de parler des poètes de la Renaissance, dont Ronsard semble avoir été le héros pour ne pas dire le Dieu. Commençons par la satire.

La satire est toute française. Nous pourrions dire comme les Latins Tota nostra est. Elle nous sort par tous les pores. A l'origine de notre littérature, elle se retrouve dans tous les genres d'écrire, jusque dans l'épopée. Nous avons analysé naguère la Geste de Macaire; elle nous a touchés jusqu'aux larmes, elle nous a fait rire. Il y a une gaieté, la vraie, qui naît du cœur; un coeur généreux est un cœur joyeux. Voilà comment l'épopée à son origine, quoique fondée sur l'héroïsme, a pu être comique, en certains endroits, et même satirique. Charlemagne n'y est-il pas tour à tour grand et ridicule ?

La littérature de nos pères du moyen âge est même une satire perpétuelle. J. de Meung, Richard de Lison, et tous les auteurs du Roman de Renart, Jacquemart Giélée, sont des railleurs. Les écrivains les plus légers, Colin Muset, Rutebœuf, Villon, avec une franchise toute française, aiguisent l'épigramme contre les autres et contre eux-mêmes. P. d'Auvergne au midi, P. Cardinal, Bertrand de Born mêlent à l'amour l'amertume de la satire.

Qu'est-ce que nos fabliaux, farces, soties et moralités, sinon une continuelle satire où parfois, surtout aux environs de la Renaissance, rien n'est respecté, ni les mœurs, ni les prètres, ni le Pape lui-même, témoin P. Gringoire, auteur de l'Homme obstiné? Et le mystère néglige souvent sa

(1) Voir la facicule de juin 1901.

gravité pour plaisanter et railler. Cela n'en vaut pas mieux. La tragédie oublie qu'elle est chaussée du cothurne ; ou plutôt, elle n'en a pas, et son masque laisse apercevoir, de temps en temps, un malicieux sourire. Notre nature l'a voulu ainsi. C'est un mélange de finesse, d'observation et de gaieté; voilà ce que nous sommes.

C'est l'esprit gaulois. Gardons-le dans sa force, en l'épurant; et rions, même de nos ennemis, en attendant l'heure de les vaincre.

Gringoire n'est pas le seul poète qui ait attaqué le Pape, après l'auteur du Roman de la Rose: Hélinand, un ancien trouvère du douzième siècle, qui se fit prêtre et prédicateur, osa, dans une pièce de vers sur la mort écrire :

<«< Rome est le maillet qui tôt assomme,

Qui faict aux simoniaux voile

De cardinal et d'Apostoile.

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Il aurait pu mieux choisir l'objet de son invective. Et Robert Gobin, au quatorzième siècle, dans les Loups ravissants, qui est un dialogue entre les loups, c'est-à-dire prêtres, maîtres-ès-arts et autres, et les gens de bonne doctrine, veut réformer le clergé. Il dédia son Moral doctrinal à sa mère l'Université de Paris.

En un mot, le moyen-âge a beaucoup plaisanté et raillé, à ce point que Huon de Méry, dans le Tournoiement de l'Antechrist (1), se plaint que la matière lui manque; «< car tout est dit ».

Est-ce que la Renaissance, qui a tout bravé, manquerait de satiriques? Nous oublierions Rabelais et Montaigne, ces deux calomniateurs du surnaturel et de la nature humaine? Leur raillerie douce ou bouffonne a préparé des armes à Voltaire.

Il y a des satiriques moins connus. C'est Mellin de SaintGellais, ami constant de Marot, ennemi du faux lyrisme de Ronsard lui-même, une sorte de « précieux », un habile

(1) Treizième siècle.

courtisan. Il mourut en 1558, à soixante-et-onze ans, abbé de Reclus, aumônier du Dauphin, et bibliothécaire du roi (1). Ce poète léger et affecté, encore moins spirituel que cynique, a fait des sonnets, des madrigaux, même des épigrammes; il y excelle.

En voici une :

« Un charlatan disait, en plein marché,
Qu'il montrerait le diable à tout le monde.
Si n'y en eut, tant fust-il empêché,
Qui ne courut pour voir l'esprit immonde.
Lors une bourse assez large et profonde
Il leur déploie, et leur dit : « Gens de bien,
Ouvrez les yeux, voyez, y a-t-il rien r
Non, dit quelqu'un, de plus près regardant. -
Et c'est, dit-il, le diable; oyez-vous bien

Ouvrir sa bourse et ne rien voir dedans. »

Ronsard redoutait la tenaille de Mellin de Saint-Gelais. Marot le nomme

<< Créature gentille,

Dans le sçavoir d'esprit et dans le style. »

Et ce même Marot n'est-il pas le poète satirique de plus d'une fine épigramme?

C'en est un que Joachim du Bellay. Les coq-à-l'âne de Marot lui faisaient hausser les épaules; il a écrit le Poète courtisan; c'est une vraie satire.

En voici un passage où le poète indique le moyen de réussir à la cour:

« Je te veux enseigner un autre point notable,
Pour ce que de la court l'eschole, c'est la table.
Si tu veux promptement en honneur parvenir,
C'est où plus sagement il te fault maintenir.

(1) Octavien de Saint-Gelais, l'oncle (dit-on) de Mellin de Saint-Gellais. homme de cour, évêque d'Angoulême par faveur, mort en 1502, poète léger, a traduit en vers l'Enéide, écrit la Chasse d'Amour ete Singulier temps.

Il fault avoir toujours le petit mot pour rire,

Il fault des lieux communs qu'à tout propos on tire,
Passer ce qu'on ne sait, et se montrer savant

En ce que l'on a lu deux ou trois jours devant.

- Mais qui des grands seigneurs veut acquérir la grâce,
Il ne fault que les vers seulement il embrasse,

Il fault d'autres propos son style déguiser,

Et ne leur fault toujours des lettres deviser.

Bref, pour estre en ces arts, des premiers de ton aage,
Si tu veux finement jouer ton personnage,

Entre les courtisans, du savant tu feras,

Et, entre les savans, courtisan tu seras

Du Bellay vécut jusqu'en 1560. Son poème ne porte pas le nom de satire. C'est un inconnu, Antoine Duverdier, qui publia, en 1572, les llomonymes, satire des mœurs corrompues de ce siècle. La satire ne vaut rien; le titre seul est une nouveauté (1).

Jean de la Taille, né vers l'an 1540, fier gentilhomme de la Beauce, qui daignait faire des vers, a écritle Courtisan retiré. Nous le retrouverons dans les premiers essais de notre tragédie francaise.

Il a rencontré un vieil homme de cour et désabusé! Que de choses il apprend de sa bouche !

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Quant au lieu d'où je viens, et ce qui plus m'offense,

Est

que l'homme à la femme y rende obéissance,

Le docte à l'ignorant, le vaillant au couart,
An prestre le gendarme, à l'enfant le vieillard,

A l'insensé le sage, où vertu fait service

A faveur, ignorance à fortune et au vice,

Où tout change, où tout va par fortune et faveur,
Où vertu n'a loyer, où le vrai point d'honneur

N'est encore entendu, où l'on rit de science,

Où tous sentent encore leur barbare ignorance,

Où tout va, comme il plaist, aux femmes et aux temps. »

(1) Encore J. du Bellay dans Sa Défense et Illustration avait-il déjà employé le nom, le vrai nom du genre, qu'il substituait à celui de coq-à-l'âne,

Le courtisan doit encore,

« Jeûner, s'il faut manger; s'il faut s'asseoir, aller;
S'il faut parler, se taire; et si dormir, veiller;
Se transformer du tout, et combattre l'envie :
Voici l'aise si grand de la cour, et ma vie.. »

Ces vers sont de 1573 l'année même où naissait Régnier. Un ami de Joachin du Bellay, le Normand Vauquelin de la Fresnaye, né en 1536, élève à Paris de Muret et de Turnèbe, a dédié une satire à Scévole de Sainte-Marthe, un savant, un financier, un médiocre poète, un neutre du temps de la Ligue. Cette satire renferme quelques beaux vers: Vauquelin se réfugiera plutôt « en Canada » que d'ouïr.

<< Raconter pour vertus, les cautes injustices
Des Tibères trompeurs, en martelant leurs vices
De l'habit de Numa, qui, pour couvrir le mal,
Font carême le jour, et la nuit carnaval. »

Mais il est plus connu par son Discours pour servir de préface au sujet de la satire, et par son Art poétique en trois livres où il adoucit l'audace de son maître Ronsard.

Dès 1548, l'obscur Th. Sébilet composait aussi sa Poétique. Il a dit du poète :

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Il y fait un genre du coq-à-l'âne, et sait à fond la prosodie du moyen-âge; c'est un admirateur de Marot. Ronsard légiférait à son tour, et Boileau lui-même un siècle après Vauquelin (1) Plus tard, enfin, André Chénier essayait de renouveler l'art. Ainsi de suite jusqu'à la fin des temps.

(1) Mort en 1607. Son Art poétique, commencé en 1574, ne parut qu'en 1605. Président au siège présidial de Caen, il ne donnait à la poésie que ses loisirs.

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