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« Je reçus bientôt un ordre d'Amarillas, Capitaine général intérimaire, m'ordonnant d'évacuer le couvent en toute hâte pour qu'il put y placer toute la troupe qu'il pourrait contenir. J'avais réussi jusqu'alors à empêcher qu'on ne le transformât, comme les autres couvents, en caserne, en hôpital, ou en magasin; mais cette fois, je dus m'exécuter. J'allai trouver l'évêque, le gouverneur, le général lui-même, pour demander qu'au moins on nous laissât un coin pour y déposer nos objets, et une ou deux cellules pour quelques religieux qui garderaient le local. Je ne trouvai d'appui nulle part. Je dispersai alors la famille, et je fis réunir à la bibliothèque tout ce que nous ne pouvions emporter.

« Bientôt nous parvint la nouvelle de la honteuse capitulation de Figueras, et la consternation en fut singulièrement accrue. De toute part, on venait se réfugier à Gérone, les soldats y arrivaient aussi de plus en plus nombreux ; la population s'augmentait et la misère devenait plus grande. J'avais résolu de donner à manger à tous ceux qui le demanderaient, ce qui fait que notre réfectoire se remplissait cinq fois à chaque repas. Iluit cents hommes de troupes avec leurs officiers étaient casernés au couvent ; ils n'avaient pas de logeurs, c'est nous qui faisions tout le travail. Tout le couvent leur était abandonné, à l'exception d'une cuisine, d'un réfectoire, d'un chauffoir, et de lieux communs réservés aux officiers seuls et à nous.

« Le péril croissait de jour en jour, aussi je résolus de faire un colis des objets de la sacristie et de ce que nous possédions de précieux, et je le fis porter à Blanes, pour être embarqué à destination de Barcelone. Pour que rien ne fût perdu, laissant le couvent aux soins de 6 prêtres et de 4 frères lais, j'allai moi-même jusqu'à Blanes. Nous ne fùmes pas seuls à prendre ces précautions. Les religieuses quittèrent leurs couvents, l'évêque s'enfuit de son siège, les chanoines abandonnèrent leur église; cinq d'entre eux seulement demeurèrent à Gérone on avait, en effet, les plus graves motifs de craindre un siège prochain. On venait nous

demander de nos vivres, et tandis que les autres refusaient d'en donner, nous partageâmes jusqu'à la fin les provisions du couvent, et nous offrimes nos religieux pour le service spirituel de la ville.

«Le 8 janvier 1795, par ordre du vicaire général, aux instances du général en chef, notre Père Président et quelques autres de nos religieux furent envoyés aux missions volantes pour recruter des Migueletes (1).

« Le vicaire général Castrense (2) décida que notre église rentrait sous sa juridiction, et il en fit le lieu de la sépulture de plusieurs officiers.

Un Père de la province de Valence, le P. François Caraza, qui mourut à Bagnoles, en soignant les malades, fut aussi porté à Gérone et enseveli au couvent.

« Il est impossible de dire tout ce que nous eûmes à souffrir de la part des troupes qui se renouvelaient sans cesse, devant toujours traiter avec des gens de caractère différent. Cependant, je n'abandonnai jamais mon poste, et c'est à ma présence que notre couvent doit d'avoir été moins maltraité que beaucoup d'autres de Gérone. Nous pûmes toujours au moins conserver notre église et notre sacristie, le roi ne nous l'ayant jamais demandée.

« Nous fùmes ainsi jusqu'au 15 mai 1795, où le Gouverneur donna l'ordre aux troupes d'évacuer notre couvent, ce qui fut aussitôt exécuté. »

La paix était proche, en effet. La République partout triomphante ne poussa pas plus loin ses succès. Le roi d'Espagne bientôt demandait à traiter. Cette guerre si meurtrière et si désastreuse pour la Catalogne du Nord était terminée.

Si la France avait montré une fois de plus la force de ses armes et la valeur de ses soldats, dans cette calamité, comme dans toutes les autres, on avait vu briller aussi le patriotisme et le généreux dévouement des fils de saint François Fr. ERNEST MARIE DE BEAULIEU. O. M. Cap.

(1) Sorte de garde-nationaux.

(2) L'armée a, en Espagne, un ordinaire spécial, qui n'est pas l'évêque du lieu. On l'appelle l'évèque Castrense (des camps) et son vicaire général porte le même titre.

ASPECTS VARIÉS

DE LA

LOI CONTRE LES CONGREGATIONS

Parmi les nombreux bienfaits dont la presse a enrichi l'humanité, il convient de mettre dans les premiers rangs le fait d'avoir élevé l'indiscrétion et même l'impertinence à la hauteur d'un devoir professionnel. Il a suffi pour cela de lui donner un nom anglais. Nos pères n'auraient pas su trouver cela; aussi étaient-ils fort arriérés, pleins d'idées chevaleresques et respectueux de la langue française. Une fois la chose trouvée, il faut s'en servir; c'est encore un devoir professionnel. Hélas! j'ai eu la faiblesse de le remplir, ce devoir, bien que je ne sois que de la presse mensuelle. J'ai eu l'indiscrétion d'interroger à droite et à gauche sans ombre de droit, bien entendu différents personnages au sujet de la loi contre les Congrégations religieuses, qui sera peut-être quelque jour une loi contre les congrégations laïques, et je vais coucher ici tout au long les résultats de mes indiscrétions. C'est un troisième devoir professionnel de ne pas nommer les personnages à qui j'ai su arracher l'expression de leurs sentiments quelquefois cachés, plus souvent publics.

J'ai commencé par un ardent patriote, qui n'est pas encore exilé.

<«< La loi scélérate, m'a-t-il dit, mais c'est le rajeunissement de l'affaire (Affaire avec un grand A). Malgré la grandeur de l'A, l'Angleterre ne faisait plus ses fráis avec l'affaire Dreyfus;

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il a fallu en mettre une autre sur le tapis pour occuper la France chez elle, et l'empêcher de voir ce qui se passe dans le sud de l'Afrique et surtout ce qui se passera bientôt dans le nord. Gibraltar ne compte plus, grâce à l'artillerie nouvelle. On peut d'Algésiras couler les vaisseaux les plus blindés qui iraient se réfugier à l'abri du canon de Gibraltar. Il faut quelque chose de plus à l'Angleterre, et elle ne semble pas vouloir se contenter de cet Algésiras qui la gêne. Tanger lui conviendrait à merveille et les Baléares qui lui permettraient de s'occuper de l'Algérie comme il y a quelque vingt ans de l'Égypte. Vous savez que depuis longtemps elle y entretient des ministres protestants qui, là comme par‡out, s'appliquent à lui préparer les voies et le lit. Vous ne pourrez jamais vous expliquer ce qui se passe en France, non plus que l'agitation religieuse qui tout à coup et sans ombre de raison bouleverse l'Espagne, que lorsque vous aurez compris cela.

Je ne prophétise pas en vous annonçant que sous peu vous verrez les faux patriotes espagnols essayer de la république chez eux, et tandis qu'ils recevront les congratulations des républicains français, l'Angleterre fera le coup que je vous ai promis. Qu'importe aux pauvres niais qui vivent des deux côtés des Pyrénées ? L'établissement de la république et de l'impiété leur paraîtra acheté à très bon marché au prix du Maroc et des Baléares perdus pour jamais. Quant à nous, nous serons trop heureux de voir enfin l'Algérie pacifiée et Max Régis assagi.

Vous croyez peut-être qu'il a fallu une formidable charge de la cavalerie de Saint-Georges pour obtenir de tels résultats et préparer cet avenir point du tout! La maçonnerie européenne tout entière, appuyée par les juifs et les protestants, obéit à l'Angleterre, comme celle du Nouveau-Monde aux États-Unis. Les maçons français et espagnols obéissent à l'Angleterre et la servent gratis. Je n'affirmerai pas que ces valets ne touchent quelque gage, mais les francs-maçons continentaux sont sages et contents de peu. Que dis-je ? C'est avec l'argent même des bons gogos

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de France et d'Espagne qu'ils troublent et trahissent l'Espagne et la France.

Vous êtes traités en parias, vous êtes hors la loi et, sous le bon plaisir des francs-maçons, vous êtes humiliés et malheureux; mais votre malheur et votre humiliation sont peu de chose en comparaison de ce qui attend les patriotes. Vous pleurez vos couvents et votre liberté; nous pleurerons bientôt la ruine et la honte de la patrie francaise.

Nous resterons malgré tout pour porter avec vous sur notre cœur le poids de la patrie croulante, et lui conserver, avec sa foi en Jésus-Christ, l'espérance des prochaines revanches. >>

Un peu plus tard j'appris que mon patriote m'avait à peu près récité un article de Georges Thiébaud. Je ne crus point qu'il se fût payé ma tète : cette pensée m'aurait été désagréable. Je pensai tout uniment que ses paroles avaient plus d'autorité que je ne l'avais supposé d'abord. De mon còté je lui avais cité, sans l'en avertir, le P. Lacordaire. Il me sembla que nous étions quittes.

Après le patriote, l'antisémite. Celui qui voulut bien causer avec moi était un peu plus qu'un simple lecteur de la Libre Parole.

« Vous êtes victime de ce qui se passe; mais je vous fais l'honneur de croire que vous vous y attendiez. On vous parle de la maçonnerie, mais naïf qui ignore qu'elle est au service des juifs. Voilà les vrais ennemis des religieux. Vous n'avez du reste que ce que vous méritez; vous les avez tant de fois sauvés des fureurs trop légitimes du peuple chrétien. Vos crimes aux yeux des juifs sont innombrables; je vais essayer de vous en signaler quelques-uns.

Premièrement, vous êtes catholiques et ardents catholiques; vous êtes membres souffrants et vivants de JésusChrist; vous vivez de lui dans votre intelligence, dans votre cœur ; tout votre être lui appartient, vous le lui avez consa

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