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LE LUXE ET LA CONSCIENCE

(Suite.) (1)

II

Le luxe dans les vêtements, dans l'ameublement, la recherche et la superfluité sous n'importe quelle forme, voilà l'antipode de la vie franciscaine. Saint François a donné à ses enfants du premier et du second Ordre les habits les plus pauvres et les plus méprisés qu'il a pu trouver; et aux membres de son Tiers-Ordre, il avait fait un devoir de prendre « un habit simple et de couleur grise, avec << une corde à plusieurs nouds pour ceinture, voulant ainsi obliger les tertiaires à porter des vêtements dont la simplicité fut une éloquente condamnation du luxe et de la a noblesse des enfants du siècle. »

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L'esprit du Tiers-Ordre n'a pas changé; aussi la règle du 30 mai 1883 porte-t-elle, en tête du chapitre relatif à la manière de vivre, une clause semblable. « Les membres du « Tiers-Ordre s'abstiendront dans leur habillement de tout « ce qui sent le luxe et l'élégance mondaine, et observeront, «< chacun suivant sa condition, les règles de la modestie. » Il ne pouvait en être autrement si l'on en croit l'explication que les statuts du Tiers-Ordre donnent comme commentaire du passage parallèle de l'ancienne règle : « L'exacte observance de ce point de la règle est de la plus haute importance pour elles, (les sœurs tertiaires) car l'expérience « a démontré qu'il leur est presque impossible de conserver l'esprit de leur vocation, si dans leur manière de se « vêtir elles s'éloignent de cette belle et touchante simpli« cité. »

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(1) Voir le fascicule de mars 1901.

Or qu'on ne s'y méprenne pas ce qui est si fermement défendu à un tertiaire ne saurait être permis à un chrétien sérieux, puisque le Tiers-Ordre n'est pas autre chose que << la vie chrétienne bien entendue ». Il faut donc convenir que le luxe et la vie chrétienne ne s'accordent pas, que ce sont choses incompatibles. Le monde a beau se récrier, c'est ainsi qu'ont de tout temps enseigné les saints.

Le tertiaire Thomas Morus, grand chancelier de Henri VIII d'Angleterre, trouva une personne superbement parée, qui avait employé à s'ajuster et à s'orner toutes les ressources et tous les secrets de l'art le plus raffiné. Elle s'attendait sans doute à recevoir de ce haut personnage des louanges qu'elle croyait méritées sur les avantages de sa personne et sur la perfection de sa mise. Le grand chrétien se contenta de lui dire. « Madame, si à votre mort vous n'allez pas en enfer, Dieu <«< commettra une injustice atroce envers vous, car vraiment vous l'achetez bien cher, cet enfer, avec la peine que vous <<< coûte votre luxe. »

Je ne sais si cette pauvre vaniteuse eut un mot à répondre ; mais je crains que plus d'un lecteur ne trouve quelque chose d'excessif dans la parole de ce célèbre tertiaire qui devint plus tard le martyr de la cause de l'Église. Des personnes mème bien pensantes reconnaitront sans difficulté que ces pénitentes du diable endurent pour le luxe, pour la vanité, pour le péché, beaucoup plus de souffrances de toute nature que le bon Dieu n'en a jamais exigé de ceux qui le servent ; bien peu consentiront à admettre que le luxe puisse, par luimême et en dehors des conséquences qu'il entraîne, constituer une faute aussi considérable.

Et pourtant saint Bernardin de Sienne jette à la face du monde ce cri d'alarme qui depuis quatre siècles n'a pas cessé d'être vrai: A cause des fausses idées qu'on se fait sur le <«<luxe, presque toute la chrétienté se jette dans le gouffre de <«< la damnation. » De son côté la Glose interprète comme il suit le célèbre passage évangélique du mauvais riche: « Si « le culte des vêtements précieux n'était pas une faute, la pa

<«<role de Dieu ne se mettrait pas tant en peine de nous faire «savoir que ce riche qui s'habillait de pourpre et de byssus est tourmenté dans l'enfer. >>

Ecoutons la grande voix de saint Grégoire commentant ce passage de Job: « On a caché sous terre le piège pour le prendre. » Le démon, dit ce grand docteur, « l'ennemi du genre humain, examine les habitudes de chacun de nous, les « défauts auxquels nous serions le plus enclins. A chacun. « il met devant les yeux du corps et de l'àme les objets vers lesquels le ramènent les tendances naturelles. A ceux qui << aiment la vie facile et la gaieté il propose la luxure ou la << vanité; aux caractères àpres, la colère, l'orgueil ou la «< cruauté. Ainsi à chacun le piège est tendu le long du che<«<min qu'il aime à suivre. »

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Fondé sur cette explication d'un tel docteur, notre Alexandre de Halès n'hésite pas à formuler cette déclaration. « On peut «l'affirmer sans crainte ces couleurs sophistiquées que les « femmes mettent avec tant soin sur le visage ou dans les <«< cheveux sont inspirées par le démon », instinctu diaboli fiunt. Remarquez en passant ce terrible mot d'instinct venant du diable ou entretenu par le diable dont il faut désespérer de rendre ni la force ni le sens.

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<< Il faut en dire autant, continue le docteur irréfragable, de << toutes ces sophistications de parfums, recherches de mets auxquelles on apporte beaucoup trop de soin, non point à « raison de quelque nécessité réelle, mais uniquement en vue « de se procurer du plaisir. Mettez sur le même pied certains jeux d'hommes ou de femmes, des mélodies qui pro« voquent la luxure ou la mollesse, des façons d'habillements, « les bains que l'on multiplie à l'excès non pas à cause des exigences de la nécessité, mais pour y trouver son plaisir, « les chansons efféminées, plus que légères ou lascives, les « danses et tant d'autres choses. En tout cela le démon se sert « de tous les sens du corps pour entrainer les hommes à leur perte ».

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Si l'enseignement du docteur franciscain parait trop sévère,

je conviendrai sans détour qu'il est démodé de nos jours comme toutes les doctrines tranchées, claires, formelles ; on l'aimerait mieux un peu plus accommodant, c'est-à-dire se pliant davantage aux caprices de la mode. Mais toutes les maximes du monde et toutes nos concessions n'empêcheront pas que nous ne soyons jugés au tribunal de Dieu, non pas d'après la mode, mais selon l'Evangile. Qu'on prenne done garde de mériter pour cette heure redoutable le blâme qu'une reine de France reçut un jour de son évêque. Elle prétendait que ses parures n'étaient pas trop luxueuses pour une reine de France. Je n'en disconviens pas, répartit le prélat; mais vous êtes aussi chrétienne, et pour une chrétienne ce luxe est excessif.

Quadriga dæmonum, carrosse des démons! criait sain Bernardin de Sienne aux personnes adonnées au luxe. Voici de quelle manière il expliquait sa pensée : en temps de pluie, quand il y a de la boue, les personnages importants se font trainer dans des carrosses par des bœufs ou par des che vaux afin de ne point endommager leurs beaux habillements; ainsi les démons, qui sont maitres et seigneurs des dames luxueuses, se font porter sur leurs robes trainantes comme sur des chars, et l'on n'exagère aucunement en désignant ces personnes de nom de carrosses des démons.

Le saint citait à ce propos le fait raconté dans la vie de saint Zénon qui, avant d'être évêque de Vérone, avait servi de clerc à saint Ambroise. Ce jeune homme, simple et candide, mais depuis longtemps mùr et d'habitudes très sérieuses, accompagnait saint Ambroise dans la ville. Toutà-coup, contrairement à sa réserve habituelle, il partit d'un grand éclat de rire, ce dont l'évêque fut bien surpris. « Par donnez-moi, mon Père, dit le saint jeune homme, je viens de voir un démon endormi sur la queue de la robe de cette dame qui marche devant nous. Au passage du ruisseau, elle a dû relever la queue pour ne la point mouiller et le démon qui dormait a roulé dans l'eau. Voyez-le encore tout sale. » Hésiterons-nous à conclure avec saint Bernardin? « Ce n'est

pas seulement un démon que ces vaniteuses portent sur la queue de leur robe; elles en tirent après elles autant qu'il ya eu de pauvres dévorés, d'injustices commises dans les affaires, autant qu'il y a eu d'œuvres de piété négligées à cause du luxe. »

L'enseignement de saint Grégoire le Grand est peut-être plus effrayant encore: « Pourquoi, demande ce grand docteur, pourquoi Jésus-Christ dit-il : Voilà que ceux qui s'ha« billent mollement sont dans les palais des rois ? C'est as<< surément pour nous démontrer formellement qu'on est du parti non point du roi du ciel, mais du roi de ce monde, quand, ne s'adonnant qu'aux choses extérieures, on re<«< cherche la molesse et les jouissances de la vie présente. « Done personne ne doit s'imaginer que la superfluité et la « recherche des habillements puisse n'être pas un péché. S'il n'y avait pas là une faute, Notre-Seigneur n'aurait jamais «<loué saint Jean pour la rudesse de ses vêtements. »

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Oui, vraiment, les démons peuvent reposer et dormir tranquilles sur les toilettes des vaniteuses, car ils ont en elles, à leur service, de rudes, d'infatigables champions. Les esprits tentateurs n'ont plus à se préoccuper de chercher les moyens de précipiter les àmes dans l'enfer le luxe y suffira. Ecoutons saint Bernardin de Sienne qui commente la parole de Jésus-Christ à propos de sainte Marie-Madeleine Beaucoup de péchés lui ont été remis parce qu'elle a beaucoup aimé : « Quels ont été ces innombrables péchés, demande-t-il, « sinon les recherches de son orgueil, son « luxe et ses vanités ? Par là elle avait donné le mauvais exemple, perdu bien des âmes et commis elle-même une multitude de péchés. » Hélas! pourquoi devons-nous continuer avec le même saint?« Un grand nombre de « personnes, semblables à Madeleine avant sa conversion, ignorent les péchés innombrables qui sont la conséquence

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« du luxe : Aussi ne songe-t-on pas même à en demander

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Et pourtant, même à défaut de l'enseignement si clair, si

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