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Le jugement lui manque, comme à son maître pour enrichir la langue il l'a «encanaillée », mais Malherbe, il faut bien le dire, pour la « désencanailler », l'a appauvrie. Hardy aurait pensé volontiers, dans son indépendance outrée, comme Lope de Véga, son maître, plus encore que Ronsard, et qui composa deux mille pièces dans sa vie.

« Ce n'est pas que j'ignore les préceptes de l'art, a dit le poète Espagnol, Dieu merci! mais qui les suit meurt sans gloire et sans argent. J'ai quelquefois écrit suivant l'art, que très peu de gens connaissent, mais quand je vois les monstruosités auxquelles accourent le vulgaire et les femmes, je me fais barbare à leur usage. Aussi, avant d'écrire une comédie, j'enferme les règles sous les clefs et mets dehors Plaute et Térence. Je fais mes pièces pour le public; et puisqu'il paie il est juste, pour lui plaire, de parler le langage des sots ? >>

C'est pour plaire au public que V. Hugo, comme Hardy et Lope de Vega, et plus qu'eux, a exagéré ses brillants défauts jusqu'à l'infini de la sottise. Espérons qu'un jour on ne parlera pas plus du Roi s'amuse et de Lucrèce Borgia qu'on ne parle aujourd'hui de la Didon de Hardy (1), tentée après la Didon de Jodelle, bien avant la de Didon Lefranc, jusqu'à ce que nous arrivions enfin au Virgile dont le génie fera réussir Didon sur la scène. Pourtant les supplications de la Tyrienne à son amant volage ne sont pas sans douceur, (malgré des barbarismes), ni sans amour réel, malgré la recherche et l'affectation. Elle veut « l'adorer comme un Dieu. » Qui connait la Mort d'Alexandre, la Mort d'Achille ou la Marianne de Hardy, tragédie tout à fait régulière, par hasard, jusque dans l'observation de la loi des unités; ou encore Alphée,, Alcée, des pastorales assez bien inventées, ou Théagène et Chariclée, une tragie-comédie en huit journées (2)? Personne. Il faudrait avoir du temps à perdre, pour

(1) Il y a neuf tragédies de Didon avant Hardy, neuf autres après ; aucune n'est réussie.

Chariela

(2) Théagène et Chariclée est une tragi-comédie; La Mort d ́Achille, Pantkée

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être heureux de trouver, dans l'épais fouillis des œuvres du bohême, avec quelques traces d'un véritable instinct dramatique certains vers assez bons, comme ceux-ci, mis dans la bouche de Céphale. Il ne veut pas survivre à Procris, son épouse:

་་

«Elle meurt, elle meurt, hélas! elle est passée (1)
Un sanglot sa belle âme a dans l'air dispersée ;
Procris, chère Procris, je ne te dis adieu,

Je veux du même fer mourir au même lieu. »

N'est-ce pas encore Alexandre qui dit : « Un Empereur ne doit « expirer que debout! » Ce sont de rares étincelles. On réimprimera cependant Hardy un jour ou l'autre (2). s'il y a là quelque obscénité à ajouter à notre catalogue des obscénités littéraires.

Terminons :

Tous ces poètes inspirés à tort et à travers d'Athènes de Rome et de l'Italie ou de l'Espagne; comiques effrontés, tragiques informes, malgré quelques beaux vers; et grotesques plus souvent que sublimes, je nose dire romantiques, peintres cyniques d'un amour sensuel, quand il n'est pas bestial, bien loin d'embellir l'art dramatique, l'ont plutôt défiguré... Laissons-les.

De la plaine trop basse où ils chantent, (si c'est là chanter) les pieds enfoncés dans la fange, élevons-nous, pour parler comme le maître, jusqu'à l'Hélicon où Ronsard prétendit jouer le rôle du Dieu de la poésie. On ne peut le séparer de Dubellay. (3)

Mariane, comme La Mort d'Alexandre, La Mort de Daïre, etc. sont des tragédies; Procris, Ariadne sont des pièces mythologiques; Alcée, Alphée, l'Amour victorieux analysé, même loué à l'excès, par M. Saint-Marc Girardin sont des pastorales. Dans l'Amour victorieux des bergères sont punies de leur indifférence par un « enchantement » qui rend pour quelque temps les bergers indifférents.

(1) Procris, acte 5,

(2) Les cinq volumes de Hardy, renferment 1 pièces, tragédies, pièces mythologiques, tragi-comédies. (V. Hugo n'a rien inventé).

(3) Les ouvrages de Hardy n'ont pas été imprimés depuis deux siècles et

Pourquoi n'avons-nous pas nommé, parmi les dramatiques, un de leurs contemporains, le protestant Th. de Bèze. Réparons cet oubli. Il a composé, sans àme et sans succès, Le Sacrifice d'Abraham où il n'y a que la poésie, de sacrifiée. Il aurait mieux fait de se taire, et d'immoler sa passion, à saint François de Sales qui le persuada, sans pouvoir le convertir.

La Dame des Pensées de la Renaissance, dans le Drame comme ailleurs, ce n'est plus la chaste Marie, comme aux beaux temps du moyen-àge; c'est l'impudique déesse de Cythère.

Il est temps que Corneille vienne purifier la scène (1), comme le soleil, en écartant les nuages, purifie la terre. Avant lui, Hardy est le dernier sectaire de la Renaissance, l'adversaire fougueux de la Réforme littéraire.

(A suivre.)

A. CHARAUX,

Doyen de la Faculté Catholique
des Lettres de Lille.
T. 0.

demi. Il avait publié le cinquième et dernier volume de ses œuvres en 1628. Depuis, on n'a réédité que le deuxième volume, en 1632, Hardy se vantait (au lecteur) d'avoir composé six cents pièces de théâtre, depuis la tragédie jusque la farce.

Parmi les si nombreuses pièces de Hardy, il en est une, en particulier, qui rentre tout à fait dans le système dramatique innové par Corneille, lorsqu'il écrivit la préface de D. Sanche. Cette pièce de Hardy, intitulée Les Filles de Scédaste, ou l'Hospitalité violée, peint les infortunes tragiques d'une condition privée.

(1) Racine, dans un discours Académique, le jour de la réception de Thomas Corneille, a dit du théâtre avant l'auteur du Cid :

« Quel désordre! Quelle irrégularité! nul goût, nulle connaissance des véritables beautés du théâtre; la plupart des scènes extravagantes et dénuées de vraisemblance, dont les pointes et de considérables jeux de mots faisaient le principal ornement; en un mot, toutes les règles de l'art, cellesmême de l'honnêteté et de la bienséance partout violées. »

UNE QUESTION D'HISTOIRE

LES EGLISES DE FRANCE SONT-ELLES D'ORIGINE APostolique ?

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Nous voudrions montrer maintenant que l'école tradition. nelle, en plaçant au premier siècle la fondation des Eglises de France avec leur hiérarchie, ne fait que suivre les enseignements de l'histoire. D'après nos adversaires eux-mêmes, ainsi que nous l'avons déjà dit dans le premier article, tout le monde est d'accord sur ce point fondamental, que notre patrie participa à l'évangélisation universelle du monde par les Apôtres et leurs disciples immédiats. Tous les savants de nos jours, croyons-nous, admettent avec M. l'abbé Chevalier « que la Gaule Narbonnaise, grâce à ses relations incessantes avec Rome dut être éclairée la première des lumières de la foi, et que les autres provinces, constamment traversées par le mouvement romain, durent aussi entendre parler de l'évangile» (2). Mais quels ont été l'intensité et les fruits de cette prédication apostolique ? A-t-elle été nécessairement rapide et nomade, vu le petit nombre des missionnaires; ou bien a-t-elle eu pour résultat immédiat une organisation hiérar chique dans toute l'étendue des régions où la foi a été prêchée ?

La pensée dominante chez les représentants de l'école grégorienne, c'est que des Eglises et même des chrétientés n'ont

(1) Voir la livraison de septembre 1901.

(2) Les Origines de l'Eglise de Tours, d'après l'histoire, etc.

pas été organisées dans les Gaules dès le premier siècle. « Car, dit M. l'abbé Chevalier, si Dieu a attaché un caractère divin à l'établissement du christianisme, il n'en a pas moins soumis la prédication évangélique, dans une certaine mesure, à la marche ordinaire des choses de ce monde. >> Mais ces écrivains nous paraissent confondre deux choses bien différentes : la propagation du christianisme à son origine, dans l'acte de diffusion qui a constitué son universalité ou sa catholicité, et sa propagation progressive ou sa vitalite plus ou moins variable chez divers peuples, dans les siècles postérieurs. « Dans le premier cas, dit Dom Chamard, il y a eu diffusion miraculeuse, dont la raison d'être est la mission divine que devait remplir la foi chrétienne dans le monde païen. Dans le second cas, le catholicisme paraît et disparait à peu près, perd et reprend son influence, suivant les secrets de la Providence et le mérite des nations (1).

>>

S'il est une règle qu'il importe d'observer dans l'étude de l'histoire, c'est assurément celle de ne point juger les mœurs et les institutions du passé d'après les idées et les usages de notre temps. Cependant, il faut le dire, ce principe a été souvent négligé par les adversaires de l'apostolicité de nos Eglises. Parce que, depuis plusieurs siècles, l'Eglise emploie dans la propagation de la foi chez les nations barbares un système qu'on peut appeler mission rapide et nomade, et qui consiste à placer sous l'autorité d'un seul évêque une immense étendue de territoire, ils en concluent que, dans les commencements, la foi chrétienne a dù être propagée de la même manière. Mais, sur quelles preuves repose cette théorie? On apporte en sa faveur des assertions comme celles-ci : « La prédication apostolique a dù être nécessairement rapide et nomade; les Eglises de France ne durent être constituées que longtemps après ; il n'est permis à aucun critique sérieux de presser davantage les textes des auteurs ecclésiastiques (2). » Ce n'est pas ainsi que doit procéder la véri

(1) Etablissement du christianisme.

(2) Les Origines de l'Eglise de Tours, d'après l'histoire, etc.

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