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L'ORAISON

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LA VIE SPIRITUELLE ("

Voici un ouvrage que je suis étonné d'avoir à recommander aux lecteurs des Études Franciscaines et, peut-être, aux lecteurs de toutes les Revues catholiques de France. Il devrait être connu de tous les fidèles qui aspirent à la perfection, et surtout des prêtres, dont l'un des devoirs est de s'instruire de ce qui regarde la vie spirituelle et l'oraison.

Pourquoi la conspiration du silence s'est-elle organisée autour de ce très remarquable ouvrage ? Je l'ignore, et je ne désire pas le savoir. Avouez cependant qu'il est étrange que tant de publications catholiques célèbrent, à grand renfort de cuivres, des livres absolument dignes d'oubli et des sonnets bons à mettre au panier, ouvrages et sonnets d'autant plus loués qu'ils viennent de l'étranger et qu'ils font plus de mal à l'âme française, et que ce livre, si français, si catholique, si rempli de la vraie science des saints puisée à ses sources les plus pures, demeure à peu près inconnu. Aurait-il le grand défaut de redresser des erreurs ou des exagérations, chères à la dévotion contemporaine à la mode? Il se pourrait; et je comprendrais ainsi un peu l'ostracisme dont il est frappé. Les modes dévotes d'aujourd'hui,en se condamnant au silence à l'égard de cet ouvrage, avouent peut-être leur faiblesse. Mais peut-être je me trompe, et tout

(1) LA VIE SPIRITUELLE et l'ORAISON d'après LA SAINTE ÉCRITURE et LA TRADITION MONASTIQUE, Solesmes, Imprimerie Saint-Pierre (Sarthe).

simplement il ne s'agit que de continuer à suivre la vieille maxime, selon laquelle il est réglé que

Nul n'a de l'esprit que nous et nos amis.

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Quoi qu'il en soit, et ce qui en est réellement m'importe peu, je commence par reprocher à l'auteur de n'avoir pas signé son livre. J'aime, pour mon compte, que quiconque s'adresse au public lui dise avant tout son nom. Et ce soin me paraît un devoir à peu près absolu lorsque l'on parle au public chrétien et religieux et qu'on veut l'instruire sur le point capital de la perfection et des voies qui nous y doivent élever. Quelques catholiques s'imaginent pratiquer l'humilité en taisant leur nom. Précaution inutile! Votre nom, on le saura tôt ou tard; mais surtout, sachez, puisque vous êtes catholiques, que votre travail ne vous rapportera ni honneurs ni profit, mais seulement des ennuis et des responsabilités.

Le nom n'y est pas, et je le regrette. Mais un autre nom s'y retrouve souvent, celui de Dom Guéranger; et le lecteur sent que l'esprit, sinon le style, de ce grand homme anime tout l'ouvrage. Certes, c'est là une garantie sans prix pour l'orthodoxie des enseignements contenus dans l'ouvrage qui nous occupe. Il en est d'autres, plus sûres encore : le livre a été examiné par la Congrégation romaine la plus élevée et la plus sévère, et il est sorti indemne de cet

examen.

Mais quelle pensée le domine, quel but a voulu atteindre l'auteur?

Il s'est proposé de remonter aux sources de la vie spirituelle, de nous faire goûter l'exposition que nous en fait l'Écriture, et de nous montrer en même temps que l'intelligence qu'il y puise lui-même est celle que les Pères, et surtout les premiers moines, y ont trouvée. La hardiesse et l'utilité de ce dessein ne sauraient être contestées.

Remonter aux sources! l'entreprise n'est pas toujours

aisée, et cependant lorsque ces sources sont sacrées, divines, elle est fréquemment nécessaire. Il y a ici un point délicat à traiter. Sans doute, l'esprit de Dieu gouverne l'Église, et c'est sous son action que les enseignements de la Tradition se présentent et se développent; sans doute lapiété trouvera toujours l'aliment qui lui convient dans les enseignements actuels de l'Église, et ces enseignements, quoique toujours les mêmes, se présentent, à chaque époque, sous l'aspect spécial qui répond le mieux aux habitudes et aux besoins du plus grand nombre. D'autre part, il n'est pas moins vrai que l'homme va naturellement aux excès; pour un peu, ce qui est seulement principal lui paraît essentiel, ce qui est mieux à présent lui paraît exclusivement bon. De plus, au sein de l'Église, des écoles théologiques et mystiques se forment. Toutes montrent qu'elles sont composées d'hommes et vont vers l'excès et l'exclusivisme. A certaines époques de l'histoire, les excès de l'une corrigent ceux de l'autre ; à d'autres moments, une école paraîtra dominer presque seule et s'imposera à l'universalité des fidèles. Qu'on veuille bien nous pardonner de dire que ce sujet a été assez longuement traité dans nos Mélanges ascétiques. On peut y recourir, si l'on désire toute notre pensée à ce sujet (1).

Il ne sera pas nécessaire de réfléchir longtemps pour se rendre compte qu'il soit utile assez fréquemment de remonter aux sources sacrées et aux premiers écrivains ascétiques pour écarter ces broussailles, quelquefois très épaisses et même assez souvent pleines d'épines, que les faiblesses de l'esprit humain font pousser dans le champ du Père de famille. Celui qui l'entreprend risque peut-être de déplaire et même parfois de froisser; mais, s'il le fait bien, il rend service à toute l'Église et plus qu'à tous les autres, à ceux

(1) Je ne crois pas que le Directeur des Études Franciscaines consentît à réimprimer les cinquante premières pages de ce volume; et il serait très difficile de les résumer ici, puisqu'elles sont déjà trop abrégées dans les Mélanges ascétiques.

mêmes qui se blessent mal à propos. Platon voulait que, lorsqu'il s'agit des choses religieuses, on écoutât les anciens, parce qu'ils sont plus près que nous de la divinité et que c'est la divinité même qui les leur a fait connaître. Avec la restriction indiquée plus haut, puisqu'il s'agit d'une il est permis d'ap

Église vivante et toujours assistée,

prouver cette pensée du philosophe grec.

Tous les chrétiens sont appelés à l'union avec Dieu, c'est leur vie éternelle et bienheureuse dans la gloire parce que c'est le but de leur vie surnaturelle dans la foi. Cette union, notre auteur croit, avec les anciens, qu'il est aisé d'y atteindre principalement par les sacrements et la prière, surtout la prière liturgique; Dieu descend à nous par les sacrements, et nos âmes s'élèvent à lui par la prière, surtout par la prière que l'Esprit-Saint inspire à l'Église pour le culte divin. Rien n'est plus simple et, par suite, rien n'est plus vrai. La règle de la prière se trouve nécessairement où est la règle de la foi, et personne ne sait aussi bien la manière de prier Dieu que l'Esprit de Dieu. Il y a donc, dans la prière liturgique une conséquence pratique d'infaillibilité ; et, comme le fond de cette prière est pris dans l'Écriture, Dieu reçoit, par elle, le culte et l'honneur que lui-même se décerne. Méditer à loisir, sans autre méthode que le mouvement actuel du Saint-Esprit dans l'âme, l'Écriture qu'on a chantée ou récitée pendant l'Office divin, et, de la sorte, en nourrir son àme, voilà ce qui ne peut manquer de conserver et de fortifier le vol de l'âme vers Dieu.

Parallèlement à ce double mouvement vers l'union, il faut que Dieu et l'homme travaillent comme de concert à détruire les obstacles qui sont les différentes formes de l'égoïsme ou de l'impiété, conséquences du péché originel. Dieu imposera done, par son action providentielle, différentes purifications; de son côté, l'homme doit s'appliquer à détruire en lui ce qui est mal ou même purement naturel. L'action de Dieu sur l'âme est merveilleuse de sagesse et d'efficacité, elle est nécessairement libre et guidée exclusive

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