Page images
PDF
EPUB

vreté évangélique, tous les jacobites de ce pays, au nombre de 40 familles, firent profession de la foi catholique entre les mains du P. Juste de Beauvais, supérieur de la mission. En 1636, à la mort de leur prêtre, converti lui aussi, ils ne voulurent avoir d'autre supérieur que le P. Juste. Une lettre du P. Joseph à la propagande, écrite vers 1638, après avoir rapporté ces faits consolants, ajoute que beaucoup de Nestoriens avaient imité leur exemple et que d'autres se disposaient à faire de même. Sur ces entrefaites et sans doute en présence de ces heureux résultats, Urbain VIII résolut d'établir à Bagdad un évêché latin avec juridiction sur l'Assyrie et la Perse et la Mésopotamie. Le P. Joseph et nos Pères qui connaissaient l'esprit soupçonneux des autorités musulmanes et qui n'ignoraient pas non plus les susceptibilités des chrétiens orientaux s'opposèrent de toutes leurs forces à cette mesure imprudente. « Il ne semble pas opportun, écrivait le P. Joseph, eu égard au petit nombre des chrétiens, d'envoyer à Babylone un évêque, comme veulent faire les Pères Carmes. Cette nouveauté causera de l'étonnement à ces peuples jaloux, enclins à suspecter les intentions, surtout au milieu des guerres qui désolent ce pays (1). »

Ces recommandations arrivèrent sans doute trop tard, ou ne furent pas écoutées. L'évêché avait été créé en 1632 et la Congrégation avait nommé à cette dignité le Père Perez, de l'ordre du Carmel. Le premier titulaire, il est vrai, ne se rendit pas à son poste; mais son successeur, Mr Duval, du même ordre des Carmes, appelé en religion Bernard de Sainte-Thérèse, voulut aller prendre possession de son siège. Toutefois à cause des dangers qu'offrait le séjour de Bagdad; il fixa sa résidence à Ispahan. Il y resta six années,

(1) Rapports sur les Missions, année 1637 ou 1638, Cf. Missions de Touraine, année 1639. Fagniez, Le P. Joseph et Richelieu, I, 362.

(2) Sur ces entrefaites une dotation avait été affectée à l'évêché de Babylone par Urbain VIII. Elle provenait d'un don de 125.000 francs fait par une dame de Meaux, Marie Ricouard. La condition apposée à cette dotation était que le titulaire serait toujours un Français, et résiderait dans son diocèse.

puis il rentra en France où il fonda le séminaire des Missions étrangères. Il mourut en 1669. Fixé d'abord à Ispahan, puis à Hamadan, le siège des évèques de Babylone, fut transféré à Badgad en 1742. Il a subsisté jusqu'à nos jours. Le titulaire est délégué apostolique pour les Orientaux de la Mésopotamie, du Kurdistan et de l'Asie Mineure. Il a peu contribué au retour des Oricntaux vers l'Eglise romaine, mais il représente l'autorité de Rome dans les régions extrèmes de l'empire musulman. Sa création, au moment où l'œuvre d'union des églises orientales, grâce aux travaux de nos Pères, allait entrer dans une phase nouvelle, était voulue de Dieu. Mais les craintes, les prédictions du P. Joseph devaient recevoir leur trop prompte justification, et c'étaient nos missionnaires qui allaient en porter les conséquences. Leur sang allait consacrer la fondation du patriarcat de Babylone.

Mer Duval prit possession de son siège vers 1637; et, en passant à Bagdad, il descendit chez nos Pères. Son arrivée à Ispahan causa l'étonnement prévu. Le roi qui n'avait pas été prévenu, en fut irrité. Il blàma son gouverneur de Bagdad pour ne l'avoir pas averti et l'accusa de favoriser les chrétiens. Celui-ci prit à tàche de se disculper et entreprit de ruiner la mission des capucins. Il fit d'abord une loi qui deshéritait les enfants des catholiques au profit de leurs parents mahometans, si l'on pouvait leur en découvrir, fussentils au 20 degré. Le P. Juste recourut au roi, et fit abroger ce décret inique. Alors le Pacha résolut de se débarrasser du P. Juste et de ses compagnons. Il invita le Père à son palais. Après lui avoir donné les marques hypocrites d'une amitié la plus généreuse, « il lui fit présenter du café, racontent les Annales de la Mission (1), qui est un certain breuvage noir, fait d'une graine qui vient du côté de La Mecque et qui se présente toujours en compagnie, l'obli

(1) Année 1638. - Le P. Apollinaire de Valence raconte le même fait un peu différemment. Voir Trois lettres du P. Pacifique de Provins, p. 84.

geant à le prendre lui et son compagnon, nonobstant toutes leurs excuses honnêtes qu'ils purent apporter. »

Les deux religieux furent donc obligés d'en boire, le café était empoisonné; et les Pères moururent dans de cruelles douleurs. Le P. Juste mourut le 1er septembre 1638 et son compagnon, le Père Toussaint, de Landerneau, le suivit six jours après. C'était un vrai martyre. Aussi le Père Juste fut-il honoré comme un saint et de nombreuses guérisons obtenues par son intercession attestèrent son crédit auprès de Dieu.

Il ne restait plus à Bagdad que le P. Etienne de Chatellerault. Le cruel pacha tenta aussi de l'empoisonner, et détruisit l'église des catholiques. La prise de Bagdad par les Turcs, qui arriva à la fin de cette même année, délivra les chrétiens. Néanmoins, leur situation demeura encore très précaire; et ils ne rentrèrent en possession de leur maison que deux ans plus tard en 1640. Heureusement Dieu leur avait ouvert tout près de là un champ plus fécond.

[ocr errors]

2o Etablissement de l'Eglise chaldéenne unie. Nous avons parlé plus haut de la conversion de toute la nation des Chaldéens obtenue par le P. Thomas de Navarre, en 1616. Nous avons dit que le successeur du patriarche converti était retombé dans les erreurs de Nestorius. Ce patriarche résidait près de Mossoul. En 1637, la Propagande ordonna au P. Juste de Beauvais d'établir une Mission en ce pays, et d'entreprendre de ramener à l'Eglise ce prélat infidèle avec son troupeau. Pour raconter cette fondation, nous emprunterons le récit des Annales de la Mission de Touraine. Nous y suivrons mieux la manière de faire de nos Pères.

Le P. Juste ne voulut pas d'abord aller lui-même. Les difficultés de sa Mission le retenaient. Il envoya donc les PP. Michel-Ange de Nantes et Charles-François d'Angers préparer le terrain. Ils arrivèrent à Mossoul après les fêtes de Noël 1637. « Et comme ils savaient, racontent les Annales de

[ocr errors]

la Mission, quelle entrée, quel fruit et quel progrès avait donné l'exemple de la sainte Pauvreté à nos autres missionnaires dans les missions pour leur établissement et splendeur, ils résolurent de procéder de la sorte. Le P. Michel-Ange en écrivit en ces termes au P. Joseph de Paris: « Nous partons et nous nous sommes proposé pour les gagner « de ne les pas moins édifier d'exemple que de paroles, et nous sommes résolus de n'y vivre que d'aumônes, s'il plaît à Dieu.... Nous sommes arrivés à Mossoul, nous y « sommes venus à pied et nous avons demandé l'aumône << dans la caravane. Trois marchands turcs que nous n'avions « jamais vus, ni eux ouï parler de nous, ont eu tant d'affec<«<tion pour nous, qu'ils prenaient plus de soin et étaient plus en peine pour nous que pour eux-mêmes et pour leurs <«<marchandises. Nous n'avons pas reçu tout le bien qu'on <«< nous voulait faire et quoique ce fût à qui nous nourrirait, <«< nous avons été à l'aumône, étant contraints de refuser ce « qu'on nous donnait de trop... Tous ceux qui se rendront << au désert sans s'embarrasser verront que la pauvreté fait << des miracles, et je vous assure « qu'elle nous a acquis <«<tant d'amis que notre réputation était ici avant nous. »

((

A leur arrivée, ils furent reçus comme des prophètes envoyés de Dieu. « Le patriarche ayant su leur arrivée les envoya assurer de son affection; c'était en ville à qui ferait prier Dieu sur sa tête quand ils allaient par les rues, sans qu'aucun Turc en prît admiration; ces infidèles mêmes, les tenant pour des saints, leur apportaient leurs enfants et leurs malades. Et quand ces Pères allaient en quelque maison, tous disaient que Dieu y était... Ils prêchaient les fêtes et dimanches dans les églises des chrétiens, en même temps, l'un en celle des Nestoriens, l'autre en celle des Jacobites, avec tant d'applaudissements que c'était à qui les aurait dans leurs églises et dans leurs maisons pour les catéchiser et les instruire.

(1) Voir P. Furcy, Annales de la Mission de Dieu, année 1627.

« Aux malades, nos Pères donnaient des noms de Jésus dont ils ont vu des merveilles, eux-mêmes l'écrivant en ces termes aussitôt que quelque chrétien tombe malade on vient nous demander des noms de Jésus et la plupart nous en ont remercié de la santé qu'ils ont recouverte le même jour qu'ils les ont reçus, en sorte qu'on en est venu demander pour des personnes de plus de 60 journées d'ici. La sainte Pauvreté nous a mis dans un si grand crédit que le grand Vizir nous envoya l'aumône ces jours passés, étant dans cette ville; et les chrétiens entraient en jalousie de ce que nous la voulions demander à autres qu'à eux. Ces pères s'accommodaient à leur manger, mangeant une partie de ce qu'on leur. avait donné le soir et l'autre le lendemain sans rien faire chauffer, vivaient à leur façon dans les carêmes, c'est-à-dire sans beurre, sans poisson, sans vin, ne mangeant qu'au soir. »

Une vie si apostolique ne tarda pas à porter ses fruits. Les conversions se firent nombreuses; le patriarche infidèle luimême fit sa paix avec l'Eglise romaine; mais, hélas! comme on devait s'y attendre, nos Pères éprouvèrent comme les autres les déceptions de ces conversions en bloc. Le successeur retourna au schisme et tout était à recommencer. C'est alors surtout que nos Pères comprirent qu'il fallait renoncer à ce système et s'appliquer aux conversions isolées et solidement éprouvées.

Pour faire réussir cette entreprise, la mission avait alors des hommes à la hauteur de la situation. Parmi eux se distingua le P. Jean-Baptiste de Saint-Aignan. Très versé dans les langues du pays, il parcourut comme un apôtre toutes les villes et les villages, prêchant, instruisant, convertissant. Afin de rendre son action plus présente et plus efficace, il fonda un nouvel hospice à Diarbekir, où il alla résider avec trois religieux.

Les conversions se firent nombreuses. Les Annales de la Mission nous donnent quelques chiffres. En 1650 à Bagdad, il y avait 120 catholiques du pays, sans compter les étran

« PreviousContinue »