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notre propre esprit a été pris et au milieu desquelles il doit retourner comme l'enseigne le spiritisme? Ou bien sont-elles tout simplement une manifestation des forces inconnues de la nature matérielle, d'un corps astral quelconque, comme l'enseigne l'athéisme moderne? Libre au lecteur d'adopter la conclusion qui lui paraîtra la meilleure, et, trop souvent aussi, libre au rédacteur d'occasion ou attitré d'enseigner ou tout au moins d'insinuer la solution qu'il a faite sienne; et ordinairement ce n'est pas la bonne. La métempsychose, le fatalisme, la vaine observance, la superstition sous les formes les plus diverses trouvent leurs partisans et leurs apologistes. On a pu le remarquer dans les quelques exemples cités plus haut.

Le rôle du directeur dans une revue est, nous ne l'ignorons pas, très délicat. Mais il faudrait qu'il eût le courage d'adopter pour maxime la parole ancienne : Amicus Plato sed magis amica veritas. La neutralité scolaire est une chimère, la neutralité dans les questions de philosophie surtout est un contre-sens. L'esprit libéral, dont M. Gaston Méry a donné des preuves tant de fois et tout dernièrement encore (1) n'est-il pas ici un danger. Dans le monde il faut que les bons et les méchants vivent à côté les uns des autres, et ce serait montrer un zèle indiscret que de vouloir faire disparaître tous les méchants du milieu de la société. Il n'en est plus de même dans les livres, les revues ; il n'est pas bon que la vérité et l'erreur y trouvent également droit de cité. Les livres sont nos armes dans la lutte contre le mal et le mensonge. Que dirait-on d'un citoyen qui prêterait ses armes avec une égale indifférence tantôt aux soldats qui défendent sa patrie tantôt aux troupes ennemies acharnées à sa perte ? Dans la mêlée intellectuelle, prélude souvent et préparation d'autres luttes plus violentes, un seul principe doit diriger et inspirer l'écrivain, c'est le principe si bien formulé par saint Augustin: diligamus homines, odiamus errores, aimer les hommes, mais haïr l'erreur.

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Fr. HILAIRE DE BARENTON.

(1) Nous faisons allusion au courageux article paru dans la Libre-Parole du 7 novembre dernier, sous ce titre : Les premiers pompiers de Paris. Il est écrit pour plaider devant le Conseil municipal de Paris la cause des religieux et surtout des Capucins qui firent aux siècles passés le service des pompes à incendie. Nous offrons ici à M. Gaston Mery toutes nos gratitudes et nos félicitations. Quelques jours plus tard, le 25 novembre, dans un chaleureux discours, il plaidait la même cause en face du Conseil municipal lui-même.

BIBLIOGRAPHIE

-

Nota. L'Euvre de Saint-François d'Assise se charge de procurer tous les
ouvrages édités à Paris et annoncés dans les comptes rendus des Etudes Fran-
ciscaines.

UN SIÈCLE. Mouvement du monde de 1800 à 1900, publié par
les soins d'un comité sous la présidence de Mr Péchenard.
- Paris, 10, rue de Mézières, librairie V. Oudin, éditeur,
4, rue de l'Eperon, Poitiers.

Le compte-rendu de cet ouvrage aurait dû paraître au commence-
ment de cette année. L'éloge était facile : Un Siècle est une œuvre digne
des éminents collaborateurs que le zèle intelligent de Mer Péchenard
a su groupper pour esquisser, en quelque sorte, la physionomie du
XIXe siècle considéré sous ses différents aspects.

Cependant une difficulté m'a arrêté : d'abord il semble qu'il y ait
une certaine prétention naïve, à dire magistralement d'un livre écrit,
en collaboration, par des hommes de haute valeur. C'est un livre ex-
cellent. Puis l'on ne pouvait tout admirer.

Mer Péchenard a laissé à ses collaborateurs pleine et entière liberté
d'allure; chacun d'eux a traité le sujet qu'il avait choisi avec la com-
pétence qui lui était propre, mais aussi selon ses vues, et ses idées,
et il faut bien accorder que, pour être intelligent et bon catholique,
l'on n'est point assuré de n'avoir sur toutes choses que des idées
parfaitement justes. Cà et là, il y avait des réserves à faire et à for-
muler.

J'ai donc attendu le temps m'est venu en aide, et l'année qui
vient de s'écouler a dissipé plus d'une illusion; il est des choses
que peut-être l'on n'écrirait plus maintenant, et des critiques que
l'on aurait trouvées excessives, l'an dernier, seraient très acceptables
aujourd'hui.

M. le vicomte Melchior de Vogüé, de l'Académie Française, a écrit
le préambule qui sert de préface.

Ce préambule résume bien le siècle, siècle de transition où la
société agitée par la Révolution, ardente aux découvertes scientifiques,
et portée vers un but inconnu, par un mouvement dont elle ne voit
que les effets, mais peut-être l'éminent Académicien se console-t-il
trop d'avance de la situation faite à l'Eglise, comme si elle avait, sur
les esprits et sur les cœurs, plus d'action que dans les siècles passés
où on lui accordait plus de droits et plus d'obéissance extérieure?

L'ouvrage se divise en trois partie: 1° Mouvement politique et éco-
nomique; 2o Mouvement intellectuel; 3° Mouvement religieux.

La première partie, Mouvement politique et économique, commence
par un article de M. Marius Sepet sur l'Euvre et l'influence de
Napoléon. MM. Etienne Lamy, Henri Joly, Emile Thénon ont pris
pour sujet les Nationalités, les Gouvernements et la Législation.
Suivent deux articles de M. René Pinon' sur le Partage du monde et
de M. le vicomte de Meaux, sur les Peuples nouveaux.

M. le général comte de la Girennerie a traité de la guerre au XIX
siècle. M. le vicomte G. d'Avenel a contribué un article intitulé : L'In-
dustrie et le Commerce depuis un siècle, et M. Jean Brunhes un
autre qui a pour titre : L'homme et la terre cultivée.

M. le comte Albert de Mun, de l'Académie Française, a pris pour
thème: La question sociale au XIXe siècle et M. Georges Goyau : L'E-
glise romaine et les courants politiques du siècle.

Peut-être trouverait-on, dans quelques-uns de ces articles, certaines
idées quelque peu optimistes ou teintées de libéralisme; il ne pouvait
guère en être autrement, mais l'exposé des choses n'en est pas moins
précis, net et complet, et l'on peut, en lisant ces articles magistralement
écrits, avoir vue très exacte, du mouvement politique et économique
au XIXe siècle.

Les articles qui composent la deuxième partie - Mouvement intel-
lectuel, sont La Presse, par M. Eugène Tavernier; L'Education

:

La

par Me Péchenard; La Critique, par le R. P. Lapôtre, S. J. ;
Philosophie, par M. le chanoine Didiot; Les Sciences Mathématiques,
par M. Georges Humbert; Les Sciences Physiques et Chimiques, par
M. Bernard Brunhes; Les Sciences de la vie, (sciences biologiques),
par M. Maurice Arthus; La Science de la Terre, par M. de Lapparent,
de l'Institut; L'Archéologie, par M. Paul Allard; L'Histoire, par Mr
Duchesne, de l'Institut; La Littérature, par M. Brunetière, de l'Aca-
démie Française; Les Beaux-Arts, par M. André Peraté; La Musique,
par M. Camille Bellaigue.

Ces articles sont bien l'histoire du mouvement intellectuel au
'XIXe siècle, et de l'évolution durant ce siècle, des sciences auxquelles
ils se rapportent; ils résument en même temps les acquisitions de la
science et les progrès de l'esprit humain à cette époque.

Le tableau est brillant, mais il est probable que le XXe siècle y trou-
vera des ombres; et, d'ores et déjà, l'on peut faire des réserves au sujet
de certaines théories émises en matière de critique et d'histoire.

Le premier article de la troisième partie -Mouvement religieux
est un article du R. P. de la Brosse, S. J. qui a pour titre : La Re-
ligion et les religions; c'est, sous un aspect un peu particulier, l'his-
toire d'un siècle où l'on a essayé d'être religieux, en se passant de la
religion. M. le baron Carra de Vaux a donné un remarquable article
sur les Religions non chrétiennes, mais l'expression ne dépassait-il pas
sa pensée, lorsqu'il écrivait, (page 724): Il est clair que l'Islam a droit,
de la part des Européens, à certains égards, d'abord parce que
sa loi reflète la grandeur, la noblesse et la simplicité de la loi
sinaïtique, ensuite,- motif plus pratique parce que l'islamisme pos-
sède encore une force immense qu'il doit à ses puissantes facultés
de foi, d'espérance et d'illusion?

De son côté, M. le chanoine Pisani a contribué une étude très subs-
tantielle sur les Eglises chrétiennes séparées; M. Georges Fonsegrive a
raconté les luttes de l'Eglise au XIXe siècle; et le R. P. Sertillanges, des
Frères Prêcheurs, a esquissé l'histoire de l'expansion de l'Eglise ca-
tholique durant ce même XIXe siècle.

Dans un article intitulé Le Dogme et la Pensée catholique, le R. P.
Bainvel, S. J., a montré la part que le dogme et la pensée catholique
ont eue au mouvement du siècle. M. le comte d'Haussonville, de l'Aca-
démie Française, a traité des Euvres et de la Charité de l'Eglise, et
Mr Touchet, évêque d'Orléans, termine par un article sur la Vie in-

time de l'Eglise, qui est de sauver les âmes, et il montre cette vie se
manifestant et s'exerçant au XIX® siècle.

Son Eminence le cardinal Richard, archevêque de Paris, donne la
Conclusion, avec ce titre Vers l'Unité; il la résume en ces trois
phrases Le monde tend à s'unifier; sans l'Eglise, il n'arrivera qu'à
une unité extérieure ; dans l'Eglise catholique, il peut trouver le prin-
cipe d'une intime et durable unité. En des lignes où percent de conso-
lantes espérances, le vénérable Cardinal laisse entrevoir, comme pré-
paré par le XIX siècle. un triomphe de l'Eglise, et un agran-
dissement du règne de Jésus-Christ, plus éclatants que ceux du
moyen-âge.

Et maintenant quel jugement devrons-nous porter? Evidemment il
ne faut pas chercher dans Un Siècle, le genre d'unité que l'on doit
trouver dans un ouvrage conçu et écrit par un seul auteur.

Les écrivains, qui ont réuni leurs efforts pour élever ce mouvement,
se sont placés à des points de vue différents, chacun selon le genre de
ses études et la trempe de son esprit. Ils n'ont point prétendu esquisser
la physionomie même du siècle, mais quelques traits particuliers de
cette physionomie. Les études qu'ils ont données sont des instantanés
pris sur le vif, des vues photographiées de manière à reproduire par
fragments un ensemble trop vaste, pour entrer dans le cadre d'un
objectif unique.

Ecrivant en pleine mêlée intellectuelle, à une époque où les idées se
heurtent ou fermentent dans les esprits, ils peuvent ne pas avoir tou-
jours saisi les contours exacts du vrai et du faux, mais ils ont cet avan-
tage de peindre leur siècle et le temps où ils écrivent, par la manière
même dont ils entendent et expriment les choses. Plus tard, sans doute,
des historiens sagaces, reprendront le travail commencé par les auteurs
de Un Siècle; ils préciseront mieux la physionomie du siècle dont
ceux-ci auront essayé de fixer les traits fugitifs, mais leur œuvre ne
sera pas une œuvre vécue, et les chercheurs qui dans quelques siècles,
retrouveront cet ouvrage, dans les bibliothèques poudreuses, préfére-
ront relire ces pages où des hommes, qui combattent aujourd'hui le
bon combat, auront su peindre, au milieu même de la lutte, ce
XIX siècle, aurore blanchissante de siècles plus heureux et plus beaux.

A. REMI DE Boulzicourt

M. C.

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