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défenseurs intéressés des abus. Ils affectent souvent une sécurité qu'ils n'ont pas. Ils veulent jouer le mépris, mais leur dédain s'exprime avec colère, et leur ironie est le prélude de l'emportement. Lorsque Milton nous montroit ses anges dégradés au milieu de leurs disputes théologiques, il auroit pu leur donner l'invention de ce sophisme et les peindre avec ce sourire amer et convulsif. Cette haine profonde du bien n'appartient qu'à un petit nombre d'ames fortes et dépravées on les tourmente en les éclairant. Le supplice qu'on a souhaité aux tyrans se réalise pour eux.

Virtutem videant, intabescantque relictâ.

Pour bien employer ce sophisme, il faut savoir en varier l'expression, selon l'espèce d'hommes avec lesquels on a affaire; l'accompagner ou d'un air de triomphe social ou d'un ton d'hypocrite lamentation.

Il y a des prophéties qui ont pour objet de contribuer à leur propre accomplissement : ce sophisme renferme une prophétie de ce genre. N'avez-vous point d'objection solide, celle-ci est une dernière ressource. Quel dommage qu'un si beau plan soit impraticable! vous gagnez ses partisans même, vous vous rangez

à eux pour les attirer à vous. C'est le langage d'un fourbè qui vous abandonne son meilleur ami, feignant qu'il n'y a aucun moyen de le défendre.

On n'osera pas dire dans un discours sérieux, au milieu d'une Assemblée politique, que c'est un mal d'aspirer au bien; mais on tâchera de jeter de la défaveur sur toutes les idées de perfection et d'excellence. On représentera ceux qui veulent élever les hommes à un plus haut degré de bonheur, comme des esprits dangereux qui ne tendent qu'à répandre l'inquietude dans les classes inférieures de la société, et à leur inspirer le dégoût de leur situation. On dira que c'est avec la doctrine de la perfectibilité qu'on a préparé le règne de l'anarchie, et qu'aspirer à l'excellence, c'est aspirer au bouleversement général.

Que répondre à ces ennemis du mieux? Si on traduit littéralement leur pensée, elle revient à ceci : « La misère humaine est un spectacle qui me plaît; je ne veux pas qu'on me prive de la moindre partie de la jouissance que j'en retire. Autant de retranché aux peines des autres, autant d'ôté à mes plaisirs. »

Pour être conséquent, l'ennemi du mieux doit se déclarer contre tout ce qui peut ajouter

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à la prospérité de son pays; il doit voter uniformément contre les nouvelles routes, les nouveaux canaux, les nouveaux brevets d'invention; il doit arrêter, autant qu'il lui est possible, tous les progrès des sciences, tous ceux de l'agriculture et des manufactures.

Mais non le mieux que ces hommes-là haïssent est celui qui s'applique aux lois, celui qui a pour objet de diminuer des abus dont ils profitent, celui qui tend à augmenter les lumières publiques, et à rendre le peuple plus respectable à ses Chefs.

Si vous disiez à cet homme qui se prétend Chrétien, que le fondateur de sa religion n'a pas seulement cru à la perfectibilité de la nature humaine, mais qu'il a fait un devoir positif d'aspirer à la perfection, et à la perfection la plus éminente, ,-vous pourrez peut-être, pour un moment, le réduire au silence; mais vous ne le changerez pas un mort ressuscité ne pourroit pas le convaincre.

gens

Les sophismes que j'ai combattus dans cet article ont un attrait particulier pour trois classes d'hommes: 1.° Les frivoles et paresseux d'esprit qui ont acquis une place dans une Assemblée politique comme une propriété personnelle, et qui la considèrent comme une

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décoration plutôt que comme un office laborieux. 2.o Les ignorants: je n'entends pas parlà des hommes d'une ignorance absolue, mais ceux qui n'ont pas une instruction appropriée aux affaires politiques et législatives. Incapables de juger d'une question d'après son mérite, ils se saisissent avidement de ces objections qui les dispensent de l'examen, et dont ils font la sauvegarde de leur réputation. 3. Les hommes stupides qui ont peut-être lu, étudié, rempli leur tête de fatras, mais qui, n'ayant jamais pu parvenir à se faire des idées claires, regardent leur entendement comme la mesure de l'entendement humain, et rejettent tout ce qui n'entre pas dans la sphère de leurs idées.

Voilà les ennemis naturels de la pensée. Il faut se venger de celui qui veut troubler leur honorable inertie et la douce sécurité de l'ignorance. En le renvoyant dans la région des chimères, ils ont la satisfaction de tourner en dérision sa supériorité même.

JE

CHAPITRE II,

L'OBSTACLE PRIS POUR LA CAUSE.

E vais expliquer ce sophisme en le présentant sous la forme d'une instruction pour s'en servir.

Je suppose que vous appartenez à un système politique où, à côté de parties très- déféctueuses, il y en a d'excellentes. Le malheur veut que vous trouviez votre intérêt à défendre une des institutions les plus abusives. Si on vient à la réformer, vous risquez de faire une grande perte en dignité ou en profit. Quel est le moyen le plus propre à parer le coup? Commencez par faire un tableau brillant du système politique dans sa totalité : étendez-vous sur les heureux effets qui en résultent et que personne ne conteste; et de-là, passant aux abus que vous cherchez à protéger, ne manquez pas de leur attribuer, en tout ou en partie, l'existence de ces heureux effets. Cum hoc, ergo propter hoc. Il en résultera une confusion d'idées dans la tête de tous ceux qui n'ont pas un prisme pour les séparer.

Dans tout système politique qui existe de

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