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les imperfections de la loi relative aux tutelles, est-ce à dire que je ne veux point de loi de tutelle ?

Dire qu'on attaque le Gouvernement en censurant ses agents ou en relevant des abus publics, c'est dire qu'on ébranle les fondements de l'obéissance, et qu'on prépare la révolte ou l'anarchie.

Mais on connoît bien peu les principes sur lesquels repose la soumission des peuples, si l'on s'imagine qu'elle chancelle au moindre souffle de l'opinion publique, et qu'elle dépende de l'estime ou de la mésestime qu'on peut avoir pour tel ou tel Ministre, pour telle

ou telle loi.

Ce n'est pas par égard pour les personnes qui gouvernent qu'on est disposé à leur obeïr, c'est pour sa propre sûreté que chaque individu désire le maintien de l'autorité publique, c'est par le sentiment de la protection qu'il en reçoit contre les ennemis intérieurs et les ennemis étrangers.

S'il étoit même disposé à refuser son obéissance, par exemple, à ne pas payer les taxes, ou à ne pas se soumettre aux ordres des Tribunaux, il sent bien que ce ne seroit qu'un vœu impuissant et que sa résistance seroit une

folie, à moins que la même disposition ne se manifestat d'une manière assez générale pour détruire la force du Gouvernement. Mais quand un tel symptôme vient à éclater, ce n'est pas l'effet de la liberté de la censure, c'est celui d'un sentiment commun de malheur. Il n'y a point de liberté de la presse en Turquie : c'est cependant de tous les États connus celui où les révoltes sont les plus communes et les plus violentes.

La libre censure des agents et des actes du Gouvernement est, au contraire, un moyen de l'affermir, en ce qu'il place à côté du mal l'espoir de la guérison, en ce qu'il donne au mécontentement un moyen légitime de se faire entendre, et qu'il prévient, par-là, les complots secrets. La liberté de la presse, est encore utile en ce qu'elle fournit à ceux qui gouvernent un indice assuré des dispositions de l'esprit public; en ce qu'elle met entre leurs mains un instrument puissant, pour rectifier l'opinion quand elle s'égare, et pour repousser d'injustes attaques ou de dangereuses calomnies car la lice est également ouverte à tous; et, dans cette lutte, ceux qui possèdent le pouvoir ont de grands avantages sur leurs adversaires.

Quand ceux qui pourroient détruire les abus

ne le veulent pas, y a-t-il quelque autre moyen d'y remédier, violence à part, que d'éclairer le public, en exposant l'incapacité ou la corruption de ceux qui gouvernent, et, par conséquent, en les dépréciant dans l'estimation générale? Préférez-vous un état de choses qui, en identifiant les gouvernants avec le Gouvernement, produise enfin un despotisme absolu?

Non, dira-t-on. Si les censures étoient justes et modérées, elles seroient un bien. Ce sont les abus de cette liberté qui la rendent intolérable.

Le point de perfection seroit sans doute que la censure ne fût jamais injuste ni exagérée; mais cette perfection n'appartient pas à la nature humaine. Il faut nécessairement prendre un parti, admettre toutes les accusations ou n'en admettre aucune.

On n'a que le choix entre ces deux maux : les admettre toutes, et par-là en admettre d'injustes; les exclure toutes, et par là en ex

clure de justes.

Prenez le parti de l'exclusion, qu'en résultet-il? Dès qu'il n'y a plus de frein, les abus iront toujours en augmentant jusqu'à ce qu'on arrive à l'excès du mal. Les hommes en place doivent se corrompre de plus en plus, dès qu'on

ôte à leur intérêt personnel le contre - poids de la censure; et l'Administration doit se détériorer à proportion de leur incapacité et de leurs vices.

Prenez le parti d'admettre toutes les imputations justes et injustes, le mal qui en résulte est si léger, qu'à peine peut-il porter ce nom.

Avec les imputations injustes, n'admettezvous pas en même temps les défenses? et dans cé cas-ci, comme on l'a dit ci-dessus, tous les avantages ne sont-ils pas du côté de celui qui se défend? N'a-t-il pas pour lui l'autorité de sa place, la protection de ses collégues, la connoissance plus exacte des faits, la facilité d'obtenir toutes les preuves; et si le talent manque, n'a-t-il pas à sa disposition tontes les faveurs du Gouvernement pour engager dans sa cause les défenseurs les plus habiles?

lui

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Dira-t-on que des hommes d'honneur ne doivent pas être exposés à de telles persécutions, que s'il en est qui puissent s'y prêter, il en est d'autres pour qui elles seroient insupportables, au point qu'à une telle condition, ils ne pourroient se résoudre à servir l'État ?

Est-ce sérieusement qu'on tient un pareil langage? La censure est un tribut imposé aux emplois publics et qui en est inséparable. S'il

s'agissoit de places sans emolument, sans récompense, tout en peine et en travail, pour lesquelles il fallût enrôler par force, l'objection pourroit avoir quelque fondement; mais elle est nulle, absolument nulle pour des emplois qui confèrent tout ce que les hommes désirent avec le plus d'ardeur.

Un homme d'honneur, dit-on! je trouve ici contradiction dans les termes. Rien ne seroit plus justement suspect que l'honneur d'un homme qui n'accepteroit une charge publique qu'avec la condition de n'être pas soumis à la censure. Le véritable honneur appelle l'examen et défie les accusations.

Celui qui accepte un emploi civil sait qu'il s'expose à des imputations parmi lesquelles il peut y en avoir d'injustes, comme celui qui entre dans le militaire sait qu'il s'expose à des dangers personnels; et l'on peut penser de l'honneur du premier, s'il veut être affranchi de la censure, ce qu'on penseroit de l'honneur du second, s'il se refusoit aux périls de son état. D'ailleurs, la loi protège l'homme public contre la calomnie. La fausseté constitue un délit; l'accusateur coupable de témérité doit être puni, et s'il est coupable de mauvaise foi, la peine doit être bien plus sévère. Ainsi, une

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