Page images
PDF
EPUB

» louer tout haut et dont il faut se moquer » tout bas. Nous autres nous sommes les sages!, » les habiles de ce monde. >>

[ocr errors]

2. Prenez un homme du vulgaire moral, c'est-à-dire, habituellement gouverné par des motifs personnels et anti-sociaux : mais avec un mélange de bienveillance et de verta comment se comportera-t-il dans cet examen de lui-même ? Il sera disposé à laisser dans l'ombre toute cette partie de ses motifs qui n'obtiendroit pas des éloges públics, et à fegarder avec complaisance celle qui en seroit l'objet il imputera, autant qu'il lui est pos sible, toutes ses actions à ces motifs aimables qui concilient l'affection et l'estime. Et cette première vue de lui-même, sera probablement la dernière. Pourquoi iroit-il plus loin? Pourquoi se désenchanter de cet agréable aspect? Pourquoi substituer l'entière vérité qui l'humilie, à une demi-vérité qui le flatte?

3. Dans le cas d'un individu sur qui les. motifs sociaux ont assez d'empire pour l'emporter fréquemment sur les motifs personnels, et presque toujours sur les anti-sociaux, l'analyse morale de ses actions lui causera moins de répugnance. C'est-à-dire que plus un individu est vertueux, plus il aura de goût pour l'étude,

son cœur

qui mérite si bien ce nom par excellence, l'étude de l'homme. S'il porte la sonde dans elle ne touche point une partie gâtée, elle ne le blesse point. La vertu paroît donc être une condition nécessaire pour se plaire à étudier les premiers ressorts de nos

actions.

Il s'ensuit que des intérêts séducteurs gouverneront, même à leur insçu, les idées de la plupart de hommes; que le sophisme qui les favorise aura pour eux tous les caractères de la raison; et qu'il n'y a guère que l'hornme de bien accoutumé à réfléchir, à décomposer les motifs de ses opinions, qui puisse s'élever audessus de ces préjugés d'intérêt.

[ocr errors]

CHAPITRE III.

Troisième cause des sophismes.

PRÉJUGĖS FONDES SUR L'AUTORITÉ.

N

On appelle préjugé une opinion vraie ou fausse adoptée sans un examen suffisant, adoptée avant la preuve, et par conséquent sans preuve.

Beaucoup de préjugés sont des opinions saines. Ce sont des résultats d'une expérience générale et antérieure à nous. Ils nous conduisent comme feroit la raison même. De-là naît un préjugé légitime en faveur des préjugés.

En effet, la disposition à recevoir sur la parole d'autrui, non-seulement des faits, mais des opinions, est un de ces penchants universels qu'il n'est pas besoin de prouver : penchant absolument nécessaire à la nature humaine et le résultat de notre foiblesse et de notre ignorance car la somme d'idées que chacun peut acquérir par lui-même, ou vérifier par son propre examen, est toujours trèspetite, en comparaison de celle qu'il a reçue des autres et qu'il prend sur leur autorité.

Nous vivons d'héritage et d'emprunts, fort peu de notre manufacture et de notre fonds. Veut on examiner ces idées d'adoption? c'est un travail au-dessus de la capacité du grand nombre; et c'est, même pour les plus capables, une opération laborieuse qui répugne à la paresse de l'esprit humain.

Voilà, dira-t-on, une excuse naturelle pour toutes les erreurs. C'est donner gain de cause aux préjugés contre la raison.

Ce peut-être une excuse pour le vulgaire : mais ce n'en est pas une pour les hommes publics ce n'est pas du moins une justification, dans le cas où ces préjugés sont des sources d'erreur.

C'est qu'en effet de tels préjugés sont ordidinairement fondés sur quelque intérêt séducteur c'est-là ce qui dispose à les recevoir sans preuve sur la seule force de l'autorité, et ce qui porte même à les soustraire à l'examen, et à les soutenir, autant qu'on le peut, de toute la puissance du gouvernement.

Si dans une Assemblée délibérante, vous trouvez une disposition générale à se laisser gouverner par des préjugés d'autorité, vous en découvrirez facilement la cause en étudiant la constitution de cette assemblée.

[ocr errors]

Vous verrez peut-être que les Membres se sentent véritablement indépendants du penple; que la plupart des élections sont réduites à de vaines formalités; que les places, amovibles en apparence, ne le sont point réellement; qu'elles appartiennent comme de droit à des hommes riches; qu'elles confèrent un pouvoir sans responsabilité, par conséquent sans obligation, et que ces mêmes Représentans qui ont si peu à craindre de la part des Electeurs, ont beaucoup à espérer de la part du Gouvernement

Dans cet état de choses, il y aura un grand nombre d'hommes opulents et timides qui auront l'habitude de se laisser gouverner par des chefs dont les intérêts sont semblables aux feurs. L'ignorance du peuple est passive ou téméraire l'ignorance des classes supérieures est disposée au maintien de tout ce qui existe. Plus on est ignorant, plus on a la tête remplie de tous les préjugés établis.

Le mot ignorance, appliqué à cette classe d'hommes, ne doit pas être entendu comme excluant l'éducation commune. D'ailleurs dans une société civilisée, il y a, pour ainsi dire, une portion flottante d'instruction mêlée de faux et de vrai, à laquelle chacun participe,

[ocr errors]
« PreviousContinue »