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M. Mallouet avoit déjà réclamé, par des raisons de prudence, contre cette déclaration anticipée et isolée. « Pourquoi, dit-il, trans>> porter les hommes sur le sommet d'une >> montagne et de là leur montrer tout le do>> maine de leurs droits, puisque nous sommes » obligés ensuite de les en faire redescendre, » d'assigner les limites, et de les rejeter dans >> le monde réel, où ils trouveront des bornes » à chaque pas? Lorsque nous aurons fait la >> Constitution, nous pourrons y approprier >> avec plus de justesse la déclaration des droits, >> et cette concordance rendra les lois plus >> chères au peuple (1). »

Voilà les rayons de vérité qui furent présentés à l'Assemblée, mais qui ne dissipèrent pas le nuage des idées confuses. L'impulsion, d'ailleurs, étoit donnée par l'amour - propre, et ce travail avoit un air de grandeur qui flattoit l'orgueil national. Les applaudissements partoient de toutes parts lorsque M. Du Port, l'un des sombres enthousiastes de cette époque, s'écrioit « Nous ne travaillons pas pour la >> France seulement, mais pour toutes les na» tions. Tous les peuples nous écoutent. Nous

(1) Courrier de Provence, n.o XXII.

>> sommes les vengeurs et les précepteurs du » genre humain. »

L'Assemblée Nationale n'alla pas loin dans sa carrière législative sans se repentir doublement de cette Déclaration, soit par les entraves qu'elle s'étoit données en établissant de faux principes, soit par l'esprit d'insubordination qui en étoit le fruit.

La révolution qui avoit jeté le Gouvernement dans les mains des auteurs de cette Déclaration, ayant été le résultat d'une insurrection, leur premier objet, en la rédigeant, fut de justifier les insurrections en général. Mais les justifier, c'est les encourager. Justifier une insurrection passée, c'est encourager une insurrection future. Justifier la destruction illégale d'un Gouvernement, c'est saper tout autre Gouvernement, sans en excepter celui même qu'on veut substituer au premier. Les Législateurs de la France imitoient, sans y songer, l'auteur de cette loi barbare qui conféroit au meurtrier d'un Prince le droit de lui succéder au trône. «Peuples! voilà vos droits : si l'un d'eux est violé, si vous jugez que l'un d'eux est violé, l'insurrection devient le plus saint des devoirs.» Tel est le langage de cette déclaration, et tel est son objet.

Les passions personnelles et les passions antisociales sont les grands ennemis de la paix publique ces passions, que la nature nous donne, sont absolument nécessaires pour l'existence et la sûreté des individus. Mais, à leur egard, le mal à craindre, ce n'est pas le défaut, c'est l'excès. Les hommes, en s'y livrant sans retenue feroient leur supplice réciproque. Le

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grand art du Législateur est de les contenir, et d'engager les individus à se faire mutuelle-' ment le sacrifice de ces passions. Mais l'objet constant de cette Déclaration n'étoit autre que de fortifier ces passions déjà trop fortes, de rompre les liens qui les arrêtent, de dire aux passions personnelles : « Tout est de votre domaine, le monde entier est votre proie. » de dire aux passions hostiles : « Regardez tout avec défiance, le monde entier est votre ennemi. >>>

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Cet esprit de jalousie et de défiance, cette haine contre tout ce qui portoit le caractère" d'autorité, de supériorité, cette intolérance politique qui appeloit la mort contre toute opposition, furent en grande partie les fruits' empoisonnés de la Déclaration des droits de l'homme. Il faut avoir été en France à cette époque, avoir entendu les groupes du Palais

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Royal, les orateurs des cafés, des clubs et des rues, pour savoir à quel point ces prétendus Droits, commentés par des bouches affamées, par des hommes en guenille et des hommes armés, ou par des raisonneurs subtils, avoient porté la déraison jusqu'au délire.

On pourra dire que les Anglo-Américains avoient donné l'exemple d'une déclaration des droits, que la leur étoit presque aussi mal conçue que celle des François, et que cependant elle n'avoit point produit les mêmes effets. J'en conviens mais cette différence dans les résultats tient à d'autres différences dans les caractères et dans les situations. Les Américains, moins ardents, moins impétueux que les François, presque tous propriétaires, presque tous égaux, recurent cette déclaration sans enthousiasme, et, accoutumés à se gouverner par des lois positives, ils donnèrent fort pen d'attention à des généralités métaphysiques qui n'étoient point nouvelles pour eux.

C'est, en effet, en Angleterre que ce jargon des droits de l'homme a pris naissance. Le mot droit, dans la langue angloise, se prend comme adjectif et comme substantif. Comme adjectif, il n'a qu'un sens moral; il signifie convenable, raisonnable, utile; comme si l'on disoit : « il

est droit

que les lois soient faites pour le bien commun; » il est droit que chacun a la jouissance des fruits de son travail.

Comme substantif, ce mot a deux sens, un légal, un autre anti-légal. La loi me donne le droit de disposer de més biens: voilà le sens légal et le sens unique qu'on devroit lui donner. Mais quand on dit la loi ne peut pas aller contre le droit naturel, on emploie le mot droit dans un sens supérieur à la loi; on reconnoît un droit qui attaque la loi, qui las renverse, qui l'annulle. Dans ce sens, ce mot est l'arme la plus dangereuse de l'anarchie.

Le droit réel est la créature de la loi les lois réelles donnent naissance aux droits réels; et cette espèce de droit est l'ami de la paix, le protecteur de tous, l'unique sauve - garde du genre humain.

Le droit, dans l'autre sens, est la créature chimérique d'une loi imaginaire, une prétendue loi de la nature, une métaphore usitée par les poètes, par les rhéteurs et par les charlatans. de législation.

Comme ils ont vu que le droit réel étoit respecté, ils ont imaginé de se servir de ce nom qui en impose pour consacrer toutes leurs fantaisies. Le mot droit est devenu entre leurs

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