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Je ne suivrai pas M. Bentham dans toutes les observations qu'il avoit faites sur cet écrit peu connu; mais je dois, d'après lui, parler de l'auteur qui a été son dévancier et son modèle. Le nom d'Aristote vient se placer comme de luimême à la tête d'un ouvrage sur les Sophismes. C'est son domaine et sa création. Il a empreint cette partie de sa logique du sceau de son génie.

Quel que soit aujourd'hui notre dédain pour des formes captieuses de raisonnement, il paroît qu'au temps d'Aristote, il y avoit des hommes qui en tiroient gloire. La Grèce, ou du moins Athènes, abondoit en beaux-esprits qui ouvroient des écoles pour la jeunesse, et qui cherchoient, à l'envi, à se distinguer par des subtilités syllogistiques. Un Sophiste qui inventoit une nouvelle forme d'argument en faisoit sa propriété, et lui donnoit un nom caractéristique, comme le chevelu, le tortu, le noueux, le lutteur, ou telle autre dénomination bizarre. Aristote, trop supérieur à ces Charlatans pour les imiter,

examina toutes ces énigmes et en donna la solution.

Il faut avouer toutefois que de ces dixneuf sophismes, si l'on en excepte deux, Petitio principii et non causa pro causâ, les autres ne paroissent pas des instruments d'erreur bien dangereux. Ils semblent plus faits pour embarrasser des enfants, que pour tromperdes hommes. Ils n'ont d'autre résultat que de produire un certain degré de confusion dans l'esprit. Ils ne roulent guère que sur l'emploi ambigu des termes. On vous présente une proposition qui, bien loin de vous paroître convaincante, vous paroît fausse au premier aspect; mais vous ne savez pas démêler d'abord en quoi gît la foiblesse de l'argument; vous sentez le piége avant de pouvoir en débrouiller le fil. Pungunt tanquam aculeis, interrogatiunculis angustis: quibus etiam qui assentiunt, nihil commutantur animo, et iidem abeant qui venerunt. Senec. que fit Aristote pour détruire les moyens de tromper est peu de chose en comparaison de ce qu'on a fait pour les

Ce

enseigner. De nombreux Traités de l'art oratoire, composés par des Écrivains du premier ordre, renferment les instructions. les plus méthodiques, les plus raffinées sur l'art de ménager les passions, de gagner les cœurs, de présenter une cause sous l'aspect le plus favorable, de produire enfin sur l'esprit des Juges une impression conforme au but de l'Orateur.

Il est vrai que ces grands maîtres d'éloquence ne sont point, comme M. Gerard Hamilton, des professeurs d'immoralité. Ils ne veulent qu'expliquer les meilleurs moyens de prouver et de réfuter, d'attaquer et de défendre, de plaire et de persuader. L'usage qu'on fait de leurs instructions ne dépend pas d'eux, et ils n'en sont point responsables. Ils ressemblent parfaitement, à cet égard, à ces auteurs de Tactique militaire qui ne prennent parti pour personne, et qui n'entrent pas dans la question de la légitimité d'une guerre.

Après tant de beaux esprits, qui ont enseigné indifféremment l'art d'instruire

:

et l'art de séduire, le temps est venu de soumettre tous ces moyens oratoires à l'examen de la saine morale, de signaler tous les artifices qui ne tendent qu'à égarer la raison, et d'assurer aux délibérations politiques la dignité et l'utilité qu'elles ne peuvent recevoir que de la vérité et de la

vertu.

Il ne s'agit donc plus ici de ces sophismes de mots qui ne sont des piéges que pour des novices, mais de ces sophismes de principes qui ne conservent que trop un empire de préjugé ou d'habitude sur des hommes faits. Les premiers ne peuvent servir qu'à la dispute dans les écoles, et n'entraînent point d'erreurs de pratique. Les autres sont des instruments de parti dans les Assemblées délibérantes, et ils influent sur le bonheur des Nations.

J'entends les railleries des prétendus Sages. Former une Assemblée d'Orateurs sans sophismes, de bons Logiciens; élever un Corps nombreux à un degré de raison et de perfection qu'on n'attend pas même d'un individu; supposer que l'amour de

la justice peut l'emporter sur tous les intérêts: n'est-ce pas là évidemment vouloir l'impossible et se laisser éblouir d'un beau idéal? Je pourrois répondre avec Horace:

Non possis oculo quantum contendere Lynceus
Non tamen idcircò contemnas lippus inungi.

Mais n'y a-t-il pas en morale comme en physique des erreurs que la philosophie a fait disparoître? Ceux qui nient tout. progrès de la raison contredisent les faits. les plus évidents. Ils ne s'accordent pas mieux avec eux-mêmes; car pourquoi se donneroient-ils la peine d'écrire et de raisonner, s'ils pensoient que les opinions fussent inaltérables? La bonne Logique est au sophisme ce que la Chimie est à l'or faux. Il est possible de décrier de faux arguments, au point qu'ils n'osent plus se montrer. Je n'en veux ici pour exemple que la doctrine si long-temps. fameuse, même en Angleterre, sur le droit divin des Rois, et sur l'obéissance passive des peuples: celui qui la soutiendroit de nos jours seroit plutôt un objet de pitié

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