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DE LA JUSTICE

AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE,

PAR M. LAURENTIE.

(1823.)

Une courte analyse de cet écrit en fera sentir l'importance. L'auteur examine premièrement l'état actuel de la société, et il trouve qu'elle présente un caractère particulier que » chacun peut également saisir, c'est la diver» sité infinie des croyances et la liberté extrême des opinions. » Le droit de juger souverainement de ce qui est vrai et faux en matière de religion, refusé par la réforme à l'autorité gé

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nérale de la société chrétienne et accordé à chaque membre de cette même société, telle fut la première cause de ce grand désordre, de cette anarchie spirituelle que le scizième siècle vit éclore, et qui devait inévitablement produire l'anarchie politique. «Luther parut dans le monde comme un de ces conquérants qui portent partout le désordre, en renversant par

>> tout les autorités légitimes. Ces doctrines » ne prévalurent que parcequ'elles établis» soient l'indépendance absolue des conscien»ces, et qu'elles mettoient à la place de la foi > des peuples, ce droit d'examen si flatteur pour l'orgueil de la raison, mais si funcste » pour la vérité.,

Le principe du jugement privé ou de la souveraineté de la raison individuelle passa d'abord de la religion dans la philosophie, où il excita moins d'alarmes, parcequ'il y eut peu d'esprits assez clairvoyants pour en prévoir les conséquences, et qu'il y a toujours dans le cœur humain une secrète révolte contre l'autorité. M. Laurentie prouve très clairement que le système de Descartes n'est que la théorie philosophique du protestantisme. Les jésuites s'en aperçurent, et combattirent ce système nouveau. Fénelon y opposoit la doctrine de saint Augustin; le docte Huet le réfuta plus fortement encore; et Bossuet, qui l'avoit vu naître, en déploroit déjà les funestes effets. « Je vois, disoit-il, un » grand combat se préparer contre l'Église, sous » le nom de philosophie cartésienne... Un incon» vénient terrible gagne sensiblement les esprits; » car, sous prétexte qu'il ne faut admettre que -ce qu'on entend clairement, ce qui, réduit

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à de certaines bornes, est très véritable, cha» cun se donne la liberté de dire : J'entends ceci, » et je n'entends pas cela; et sur ce seul fonde» ment, on approuve et on rejette tout ce qu'on » veut sans songer qu'outre nos idées claires >> ct distinctes, il y en a de confuses et de géné» rales qui ne laissent pas d'enfermer des vérités » si essentielles, qu'on renverseroit tout en les » niant. Il s'introduit, sous ce prétexte, une » liberté de juger qui fait que, sans égard à la » tradition, on avance témérairement tout ce » qu'on pense.»

La philosophie du dix-huitième siècle n'est qu'une vaste et rigoureuse application du principe fondamental de Descartes. On a tout nié, on a doute de tout, parceque rien n'a paru assez > clair ni assez distinct à la raison philosophique, dernier juge de toutes les questions qu'il lui plaît de mettre en controverse. Toutes les basesde la religion et de l'État ont été ébranlées l'une après l'autre, et, de progrès en progrès, on en est venu à ce point, qu'il n'y a plus ni vérités, ni erreurs pour les hommes. «Tout aujourd'hui se réduit à des opinions; chaque homme a » la sienne sur la religion, sur la morale, sur la politique, sur les questions les plus com» munes, comme sur les questions les plus éle

»vées. Et ces opinions ne sont ni les résultats » d'une longue étude, ni d'aucune prémédita» tion philosophique; elles ne se rattachent

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point à quelque système universel pénible»ment élevé ; chacun adopte au hasard une croyance sur toutes choses; c'est à peine un » choix, c'est plutôt, le dirai-je ? une sorte de >> loterie morale; une opinion est sortie, on la >prend comme on auroit pris une opinion con» traire; on n'a point étudié, on n'étudiera ja» mais ce qu'elle a de faux, ce qu'elle a de vrai, » ce qu'elle a de probable. Mais on la garde par > habitude; on la changeróit volontiers par cal>> cul, si on ne vouloit paroître constant dans >ses opinions; c'est l'indifférence qui les a fai» tes, c'est la vanité qui les maintient quelques » jours. Mais le sentiment, mais la raison, mais » le devoir, tout cela est étranger à ce qui s'ap» pelle opinion; et entre les hommes qui ont

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été assez heureux pour adopter celles qui sont >> raisonnables, combien peu, faut-il le dire, » s'en rencontreroit-il qui y restent attachés par quelqu'un de ces motifs puissants et surhu» mains qui, dans des temps de foi, lient les » consciences privées à la conscience universelle , de la société ! »

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On ne contestera pas plus, nous le croyons,

qui se manifeste à tous les degrés et sous toutes les formes, et parmi les adversaires de la monarchie légitime, et parmi ses défenseurs. Ceux qui ne lisent que les discours prononcés dans les Chambres seroient bien surpris quelquefois, s'ils entendoient les mêmes orateurs, dégagés de mille petites gênes, de mille petites convenances locales, disserter plus librement dans les salons.

Il semble que le pouvoir ait ignoré jusqu'ici qu'à lui seul il appartient de fixer les esprits, en se réglant lui-même sur des principes fixes, et en maintenant avec fermeté les doctrines in-. variables de la religion et de la monarchie.

Au lieu de cela, qu'a fait le ministère? Par quelles maximes est-il dirigé? Quels sont ses plans, ses vues, ses idées? Quelqu'un pourroitil dire ce qu'il pense et ce qu'il veut? Loin d'offrir un appui à l'opinion vacillante, il en augmente la mobilité par ses contradictions perpétuelles, par sa marche timide et détournée. Il ne domine pas, il ne conduit pas, il est entraîné, et malheureusement presque toujours dans le sens de la révolution. Il obéit à un système qui existoit avant lui, et il seroit difficile d'imaginer quels changements eût offert l'ensemble de ses actes, s'il avoit eu le dessein de

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