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gémit des destins qui semblent réservés à notre malheureuse patrie.

et

Observez que les canonicats sont des places de retraite, données pour la plupart, comme il est juste, à des hommes usés de travaux, qui ne peuvent plus se livrer au ministère actif. Les prêtres employés dans les grands et les petits séminaires, occupés tout entiers de cette œuvre fondamentale, ne sauroient non plus remplir d'autres fonctions. Autrefois les ordres monastiques aidoient le Clergé séculier. Les religieux prêchoient, confessoient les capucins surtout (et il y en avoit près de 20,000 en France) étoient d'un immense secours pour les curés de campagne. Maintenant ces curés sont, avec leurs vicaires et les desservants, chargés seuls des fonctions pastorales. Or, au lieu de 50,000 curés et desservants de cures et d'annexes qui existoient jadis, on compte maintenant 2,849 curés, 22,247 desservants, et 5,501 vicaires; en tout, 30,397 prêtres actifs, dont près de la moitié sont âgés de plus de soixante ans.

Les ordinations ayant été presque entièrement suspendues pendant quinze années, il y a aujourd'hui dans le Clergé proportionnellement plus de vieillards, et par conséquent de

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décès qu'autrefois. Il en est comme d'une famille où il ne resteroit presque que les aïeux.

A mesure que le Clergé diminue, les causes de destruction se multiplient. On se représente difficilement avec quelle rapidité le mal produit le mal. Un prêtre qui meurt abrège par sa mort la vie d'un autre prêtre, obligé de porter seul le poids du travail qu'ils partageoient. Nous connoissons des paroisses de six, sept, et jusqu'à huit lieues de circuit, desservies par un vieillard infirme. Il y a quelques années, une épidémie ravagea l'une de ces paroisses. Pendant qu'elle dura, le curé passa toutes les nuits habillé, sur la paille, afin d'être plus tôt prêt à suivre ceux qui le venoient chercher, souvent plusieurs fois chaque nuit, pour administrer et consoler les pauvres malades. Dans une autre paroisse du même diocèse, depuis long-temps abandonnée, on envoie un prêtre, afin de prévenir l'extinction totale de la religion; il meurt en quelques mois d'excès de fatigue; un second lui succède et meurt de même: un troisième recueille en ce moment ce sublime héritage de martyre.

Qu'un de ces pasteurs, si admirables aux yeux de tout homme qui conserve encore des sentiments d'homme; qu'un de ces pasteurs,

dis-je, vienne à périr sans être remplacé, on ferme l'église, on cesse de réparer un bâtiment désormais inutile; et, en peu de temps, il tombe en ruines, ainsi que la foi et les mœurs du peuple. Le désordre va croissant, les crimes se multiplient; plus de sécurité, plus de paix : alors on relève la maison de Dieu, et l'on en fait une prison ou une caserne de gendarmes.

Que l'expérience nous l'apprenne enfin : ce qui assure la durée des nations et leur bonheur, ce ne sont pas les opinions et les intérêts, mais les croyances et les devoirs. Un prêtre obscur, qui commande la vertu au nom de Dieu, est mille fois plus utile à l'État que tous les faiseurs de lois même fondamentales; car tout ce que l'homme a fait l'homme peut le détruire, et il le détruit en effet bientôt. Quoi que l'orgueil se persuade, il ne reste rien à découvrir en politique et en morale, depuis que le Décalogue et l'Évangile, qui en est le développement, ont été promulgués; et toute législation durable, comme tout pouvoir légitime, descend du ciel.

Mais les peuples ne tarderont pas à oublier l'Évangile, si l'Évangile cesse d'être annoncé : fides ex auditu. Nous touchons presque à ce

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moment fatal. Le temps approche où le clergé, qui ne doit jamais faire un corps dans l'état, comme le redisoit dernièrement un homme dont le vaste esprit embrasse tout en politique excepté le passé et l'avenir, disparoîtra totalement de l'état avec la religion. Veut-on la conserver? alors qu'on s'occupe de multiplier ses ministres. Le moyen le plus efficace pour atteindre ce but, le moyen sans lequel tous les autres seront vains, est de permettre aux évêques d'établir autant d'écoles ecclésiastiques qu'ils jugeront convenable. Qui peut s'opposer à une chose si juste, si nécessaire ? qui s'obstine à ravir aux premiers pasteurs un droit divin? la France le sait.

SUR UN OUVRAGE INTITULÉ

DU PAPE,

PAR M. LE COMTE DE MAISTRE.

(1820.)

Dans le siècle où nous vivons, beaucoup de gens n'apprendront pas sans surprise qu'un homme du monde, un homme d'état, en qui toute l'Europe reconnoît une haute supériorité d'esprit, ait écrit un livre de théologie; et on les étonnera davantage encore, en leur disant que ce livre, plein de réflexions piquantes, de traits d'éloquence et de vues profondes, est un des ouvrages les plus remarquables qui aient paru depuis long-temps. En arrêtant sur la terre lès pensées de ses disciples, la philosophie

tellement rétréci leur raison, qu'elle ne peut plus s'élever à rien de grand; car il n'y a de vraie grandeur que dans l'ordre moral, et Dieu en est le terme extrême. Elle a créé, au milieu de la civilisation, une race de sauvages, uniquement occupés des choses matérielles et d'intérêts du moment. Parlez-leur de ce qui s'y rapporte, ils écoutent, ils entendent ; mais au-delà de ce cercle étoit, tout est chimère à

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