Page images
PDF
EPUB

m

SUR NOTRE ÉTAT PRÉSENT.

(1823.)

La révolution a jeté les esprits dans l'avenir, et c'est là un de ses caractères : elle enveloppe sans distinction tout le passé dans son superbe mépris, rejetant l'expérience, les traditions des siècles pour y substituer de vagues systèmes, des théories abstraites qui ne reposent sur rien de subsistant. Elle détruit la société pour la recréer sur un nouveau modèle; et ce modèle idéal, ne pensez pas qu'il soit le même pour toutes les sectes révolutionnaires : chaque individu même a le sien; il n'existe d'accord. entre les protestants de l'ordre social que pour renverser ce qui est et ce qui fut toujours.

Cet état contre nature amèneroit, en se prolongeant, la dissolution totale de la société, qui consiste dans l'union des esprits par des croyances communes; et déjà il la place entre l'anarchie ou le règne des volontés individuelles, et le despotisme ou le règne d'un seul sur des individus sans force et sans liens. Ces deux

[ocr errors]

termes extrêmes du désordre se rapprochent d'ailleurs plus qu'on ne croit. L'anarchie n'est au fond que le despotisme du grand nombre, de même que le despotisme n'est qu'une anarchie concentrée. Le caprice du prince ou du. peuple crée la vérité, crée la justice, puisqu'il est l'unique loi; et ni le peuple ni le prince n'ont besoin de raison pour valider leurs actes : tout est légitimé par l'omnipotence; mot un peu ridicule, il est vrai, s'il exprime un fait, et très dangereusement absurde, si l'on y attache l'idée de droit; car, excepté Dieu, quel est l'être qui puisse tout ce qu'il veut, ou qui ait le droit de vouloir tout ce qu'il peut? Mais on n'est jamais arrêté par les conséquences de l'erreur; on se les cache à soi-même, ou on les brave; et, après tout, qui est-ce qui n'est pas bien aise d'être omnipotent?

Pour détruire ainsi la civilisation dans son principe, il a suffi d'exciter l'orgueil en appelant l'homme à la souveraineté. Il y a en lui je ne sais quel désir secret et violent qu'on est sûr de remuer avec ce mot. Les seizième et dix-huitième siècles en ont offert des exemples terribles. L'histoire ne présente rien qu'on puisse comparer à cette longue rébellion de l'homme souverain contre toute espèce d'ordre.

rée de loin s'éleva contre la religion et la royauté; elle prévalut, le trône s'écroula; il entraîna dans sa chute les institutions, les lois, la société entière.

La Vendée avoit opposé, avec plus de gloire

que de succès, son héroïsme aux fureurs de la Convention; il se forma dans la Convention même une opposition contre les dictateurs du meurtre. Peu s'en fallut plus tard qu'une opposition monarchique, dont la force principale résidoit dans les journaux, ne renversât le Directoire. Les chefs manquèrent de résolution, ils se laissèrent prévenir. Comme il arrive souvent, tout fut perdu faute d'une tête et d'un bras.

Un homme décidé fit ce que n'avoient pu faire des milliers d'hommes sans volonté, Buonaparte monta d'un pied ferme sur les débris amoncelés par la révolution. Il dit, La France est à moi, et on le crut, parcequ'on croit toujours la force qui ne doute pas d'elle-même.

Il voulut ôter aux partis l'espérance de le renverser, et il y parvint. Il y eut des conspirations contre sa personne, et jusqu'à l'époque de ses désastres, aucune contre son pouvoir. Sous le despotisme impérial, l'opposition se retira au fond des âmes : elle éclata enfin en

1814, lorsqu'après une suite d'évènements audessus de toute prévoyance, l'Europe eut brisé nos fers et les siens.

Le retour des Bourbons fut célébré par la joie des peuples; ce fut comme la fête de la civilisation. Ils nous ramenoient le bonheur, ils nous ramenoient l'ordre; et l'ordre, on le sentoit alors, est la véritable gloire des nations.

Trop de confiance et trop d'oubli détruisirent en peu de moments cette félicité qui s'étoit montrée dans l'avenir aux yeux des Français. Le pouvoir ne se relâche jamais sans danger; qu'est-ce donc quand il semble s'abandonner lui-même ? Une opposition nouvelle commença contre les Bourbons; ses progrès furent rapides; elle ne trouva nulle part d'obstacles réels, parcequ'elle ne rencontra nulle part la puissance. Tout sommeilloit autour du trône; personne n'agit. On sait le reste. Buonaparte revient, traverse la France, apparoît aux Tuileries comme l'ombre du passé, et va terminer à Waterloo ses destinées étonnantes.

Tout ce qu'il y avoit de caché dans les cœurs s'étoit manifesté pendant les cent - jours. La tâche du pouvoir devenoit alors facile; il connoissoit ses amis et ses ennemis; s'entourer

des uns pour contenir les autres, substituer les maximes et les institutions monarchiques. aux institutions et aux maximes de la révolution, c'étoit le seul parti qui parût, nous ne disons pas sage, mais possible. Le ministère embrassa un parti différent; au lieu de s'appuyer sur la France fidèle, il imagina, dans un pays où il n'exístoit que deux intérêts et deux. opinions, de ne s'attacher à aucune et de les combattre toutes deux. Il se plaça entre l'opposition des adversaires du trône et l'opposition de ses défenseurs, entre la révolution et la monarchie, se privant ainsi de toute force véritable, et ne se soutenant que par la ruse, le mensonge et la corruption.

L'histoire ne fournit aucun autre exemple d'un pareil excès d'aveuglement; on ne conduit pas un peuple en s'isolant de lui, et il n'est point de gouvernement qui pût subsister' dans cette position indécise. Le gouvernement n'est pas un modérateur entre l'anarchie et la société; il est établi pour procurer le triomphe décisif du bien, et non pour protéger la lutte entre le bien et le mal.

On n'a point oublié les efforts généreux des royalistes pour arrêter ce système funeste. Le Conservateur éclaira l'Europe sur ses consé

« PreviousContinue »