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rement envoyés: Au fond, en ce qui regarde la mission, il falloit en croire les réformateurs sur leur parole.

Or, cette difficulté tout-à-fait insoluble avec les idées qu'on avoit alors, ne l'est pas moins aujourd'hui pour les adversaires de la vénérable compagnie. Ils se disent les ministres de Christ, et ils soutiennent que Christ est Dicu. Si ces deux points sont véritables, nul doute qu'ils ne soient revêtus d'une autorité divine, et qu'on ne doive leur obéir comme à Christ, comme à Dieu lui-même. Mais avant d'en venir là, je leur demande la preuve de leur mission; car, puisqu'ils ne l'ont pas reçue de ceux qui remontent par une succession non interrompue jusqu'à Christ, il est nécessaire qu'ils établissent cette mission extraordinaire par des signes extraordinaires, cette mission divine par un pouvoir évidemment divin.

Nos pasteurs, en n'admettant pas la divinité de Christ, en le regardant comme une pure créature, ne réclament d'autre autorité que celle qui peut naturellement appartenir à tous les hommes, sans aucune mission ni extraordinaire, ni divine; et en cela ils sont conséquents. On peut les croire, on peut ne les pas croire; c'est le droit de chacun, le droit con

sacré par la réforme, qui demeure ainsi iné branlable sur sa base.

Les catholiques sont également conséquents dans leur système; car ils prouvent fort bien que, parmi eux, le ministère s'est perpétué sans lacune depuis les apôtres, à qui Christ a dit: Je vous envoie. Donc si Christ est Dieu, les apôtres et leurs successeurs envoyés par eux sont manifestement les seuls ministres légitimes, les ministres de Dieu; on doit les écouter comme Dieu même, et les croire sans examen; car qui auroit la prétention d'examiner après Dieu ?

Il n'est donc point de folie égale à celle des adversaires de la vénérable compagnie, des momiers, puisqu'il faut les appeler par leur nom; ils veulent être reconnus pour ministres de Dieu sans prouver leur mission divine: ils veulent, en cette qualité, qu'on croie ce qu'ils croient, et ils ne veulent pas être infaillibles; ils veulent que tous les esprits adoptent leurs opinions, se soumettent à leurs enseignements et conservent le droit d'examen, ce qui suppose, d'une part, qu'ils peuvent se tromper, et, de l'autre, qu'il est impossible qu'ils se trompent; ils veulent, en un mot, être protestants et renverser le protestantisme en niant, soit le

principe qui en est la base, soit les conséquences rigoureuses qui en découlent immédiatement.

Et quoi de plus extravagant que de venir rappeler, au dix-neuvième siècle, l'autorité de Calvin, qui n'a combattu que pour détruire, en matière de religion, toute autorité humaine? Que disoit Calvin? que disoient tous nos réformateurs ?«< Ne nous croyez pas sur notre pa» role, car nous pouvons nous tromper comme » tous les hommes, comme l'Église elle-même. » Lisez, examinez, jugez par vous-mêmes de » ce qui est faux et de ce qui est vrai. » Et c'est en vertu de ce langage qu'on nous obligera de croire aveuglément à ce qu'a cru Calvin, devenu, après sa mort, le pape de la réformation! Quelle pitié ou quelle dérision!

Avec de pareilles idées, ceux qui attaquent si imprudemment la vénérable compagnie n'ont plus qu'un pas à faire pour s'unir aux catholiques. Leurs maximes les y forcent; car dès qu'on fait intervenir pour quelque chose l'autorité dans la religion, on cesse d'un côté d'être protestant, et de l'autre on tombe dans l'absurdité, à moins qu'on ne défère à l'autorité la plus grande. Or, de l'aveu universel, cette plus grande autorité est incontestable

ment celle de l'Église romaine; et, pour mon compte, je n'hésite point à dire avec Rousseau : • Qu'on me prouve aujourd'hui qu'en matière » de foi je suis obligé de me soumettre aux dé»cisions de quelqu'un, dès demain je me fais catholique, et tout homme conséquent et vrai » fera comme moi '. »

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Au reste, que les momiers sachent bien qu'en nous quittant ils ne nous laisseront aucun regret; car déjà ils ne sont plus des nôtres. Tout protestant, instruit de sa religion, ne sauroit les considérer que comme des papistes inconséquents. En les signalant comme des ennemis très dangereux de la grande cause que nous soutenons contre le fanatisme, la vénérable compagnie remplit donc un devoir; elle sert les intérêts de la raison, et s'acquiert des droits immortels à la reconnoissance de tous les vrais amis de la réforme.

Lettres écrites de la Montagne, pag. 55.

DE LA SCIENCE POLITIQUE,

PAR M. DE HALLER.

La société, conçue de la manière la plus gé-, nérale, n'étant que l'union des êtres semblables, il faut, pour découvrir les lois nécessaires de chaque société, considérer la nature des êtres dont elle se compose, afin de reconnoître les rapports par lesquels ils peuvent être unis. Ainsi l'homme, être physique, moral et intelligent, a, dans ces divers ordres, des rapports naturels avec les autres hommes. Mais des rapports purement physiques ne pouvant constituer une société véritable, puisqu'il seroit absurde de dire que des corps, même organisés, mais incapables de penser et de sentir, existent en société, il s'ensuit qu'on doit chercher dans l'ordre moral et intellectuel, et là seulement, le fondement et les lois de la société humaine. Et comme ces deux ordres n'ont de relation qu'à nos idées et à nos sentiments, il est manifeste que l'union d'où résulte la société, ou

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