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peuples et principalement ceux qui sont nouvellement convertis à la religion catholique, ayans besoing de telles commoditez, et ne peuvans estre secourus que par les mesmes heretiques, sont tous les jours tentez et incitez par iceux de quitter la foy catholique, et retourner à la fausseté de leur doctrine. Les autres circonvoisins, qui excédent le nombre de cent mille personnes, s'ils veulent apprendre quelque mestier, ou bien entrer au service de quelqu'un, ont accoustumé de s'en aller à ces villes-là; et les enfans du mesme voisinage, pour y apprendre les sciences et les arts liberaux. Mais ce qui est plus misérable et plus dangereux, pour perdre les âmes aussi bien que les corps, c'est que si quelqu'un oublieux de son salut et se retirant de la foy orthodoxe, se retire en cette misérable cité de Genève, il treuve incontinent des biens, une femme et autres commoditez temporelles, comme au contraire, si quelqu'un habitant de la mesme ville recognoit la vraye lumière de la foy, tous ses biens sont confisquéz à la Seigneurie. De là est qu'un grand peuple s'y est retiré pour avoir de quoy vivre et d'autres n'osent pas en sortir, qui ; toutesfois promettent d'embrasser la religion catholique, pourveu qu'on leur baille le moyen de se nourrir autre part. C'est pourquoy si l'on erigeoit et instituoit à Thonon une maison de tous arts et sciences, en laquelle, comme en une université publique, elles fussent enseignées, et principalement la Théologie Scholastique, les controverses, les cas de conscience, les Traditions des saincts Peres, et les sainctes Ecritures, et qu'on y receust et eslevast ceux qui sortant

des ténèbres de l'hérésie, entreroyent dans la lumière de la verité, et fussent imbus et instruits des preceptes de la foy catholique; et de la sorte apportassent quelque fruicts à la maison, duquel on puisse avoir des marchandises et autres choses venales; et que ceux qui alloyent à Genève y vinssent les prendre, pour la plus grande commodité; et qu'en cette Société on receust des personnes de tout sexe, condition et profession (toutefois qu'ils vescussent catholiquement) et qu'en icelle chacun exerçast le talent de son art et science, et pensast à divers moyens pour la conversion des hérétiques. Certes, ce seroit une très bonne chose pour la propagation de la foy, et pour le salut des âmes. » (1)

L'évèque et toute l'assemblée applaudirent à ce projet et décidèrent d'en demander l'approbation à Ch.-Emmanuel. Ce grand Prince fit le meilleur accueil à cette ouverture, et promit son concours efficace au succès de cette œuvre. Restait à obtenir l'autorisation de Rome. C'est ce que s'empressèrent de faire par des suppliques séparées et pressantes l'évèque, l'apôtre du Chablais et le P. Chérubin, capucin.

Dans notre note 2, de la Monographie de l'Université Chablaisienne, nous disions: Le P. Thalissieu et M. de Baudry disent que le P. Chérubin partit pour Rome pour presser cette affaire. Charles-Auguste dit que ce religieux écrivit à Rome dans ce but, sans mentionner son voyage (qui eut certainement lieu): Le P. Chérubin fut très dévoué et très utile à cette

(1) Vie du B. François de Sales, par Charles-Auguste, liv. IV, pages 232-233, édition de 1634.

œuvre, et suppléa de son mieux Saint François de Sales pendant son séjour de 9 mois à Paris (1). Nous admettions bien, on le voit, la collaboration importante du P. Chérubin lors de la fondation de la SainteMaison, mais de là à le considérer comme le véritable fondateur, ayant la part prépondérante dans l'adoption du plan définitif de l'Université Chablaisienne, il y a loin.

Nous ne nous attarderons pas à discuter les textes, les hypothèses, les opinions qui constituent la base du système de M. Lavanchy, le revendicateur exagéré des droits du Père Cherubin en la fondation de la Sainte-Maison (2). Avec tous les historiens de l'Apôtre du Chablais, depuis Charles-Auguste de Sales jusqu'à Hamon, curé de Saint-Sulpice, jusqu'à Perennès, jusqu'au dernier chroniqueur de province, nous croyons François de Sales le véritable fondateur de l'Université Chablaisienne. Capable de tout connaitre et de tout mener de front, grâce à son intelligence et à son génie, ainsi que nous l'avons déjà dit, dans notre avant-propos, François rédige les constitutions et règles de la Sainte-Maison sur la fin de 1599, et dès lors il a constamment le regard fixé sur cette œuvre malgré ses occupations, ses courses et ses absences.

M. Lavanchy semble en effet oublier à dessein, qu'en janvier 1599, la santé et même l'intelligence du P. Chérubin étaient ébranlées par des travaux excessifs, (1) Histoire de Thonon et du Chablais, I, p. 342.

(2) Lavanchy, La Sainte-Maison de Thonon, p. 12, 13.

au point que le duc de Savoie, Charles-Emmanuel, jugea nécessaire de demander son éloignement (1).

On écrivit donc, vers le même temps, à François, qui était à Rome, de hâter son retour, en l'absence du P. Chérubin, lequel, nous dit le Saint, était tombé en une très lamentable infirmité (2). Nous n'insisterons pas sur cette affliction, triste fardeau de notre pauvre humanité. François garde donc bien son titre. de fondateur, ce rayon de son génie, et la capitale du Chablais une illustration incontestée.

L'état de faiblesse de Mgr de Granier, qui mourut le 17 septembre 1602, ne lui permettait guère les grandes vues et directions qu'on lui attribue bénévolement.

Mgr Vespasien Gribaldi, délégué par le SaintSiège pour faire une enquête sur les baillages convertis et les demandes formulées par l'évèque, Mgr de Granier, se trouvait à Thonon en août-septembre 1599 avec Saint-François de Sales. Son enquête terminée (octobre 1599), Mgr Gribaldi envoya à Rome un rapport fort élogieux. Après avoir cité le nombre des conversions, signalé les personnages de marque, il parle en ces termes des projets de Saint-François : Cette ville (Thonon), outre le prieuré de Saint-Hippolyte, possède une église et un ancien couvent d'Augustins, qui pourra servir de collège. L'Universite projetée, se trourant à une grande distance des collèges catholiques d'Annecy et de Fribourg, atti(1) Gonthier, Mission du Chablais; Migne, VI, 549 Revue Saroisienne, 1872, p. 13; Truchet: Vie du P. Chérubin, p. 29, 105, 186.

(2) Datta P. L., Nouvelles lettres inédites de Saint François de Sales.

rera en foule les étudiants des provinces voisines, notamment ceux du Valais, et nuira par là même aux Universités protestantes de Genève et de Lausanne. Les dépenses pour la construction de l'heberge ou maison des Arts ne dépasseront pas cing milles écus, etc. » (1).

Consacrant toute son attention à ce projet d'Université, le Prévôt de Sales rejoignait, le 20 novembre suivant, le Duc de Savoie à Chambéry; il lui demandait la cession, en faveur de l'Université Chablaisienne, du doyenné d'Anthy que M. de Charmoisy consentait à vendre, et la mainlevée des bénéfices d'Armoy, Le Lyaud, Reyvroz et Draillant, que les Genevois détenaient encore; Charles-Emmanuel accorda le tout (20 novembre 1599) (2).

M. Gonthier, malgré nos dissentiments, fut complètement de notre avis, il attribua à l'Apòtre du Chablais, la part principale dans la fondation de la Sainte-Maison : « La mort du pape Clément VIII, dit-il, le malheur des temps, la guerre, de funestes discordes empêchèrent la grande œuvre rêvée par SaintFrançois de Sales d'arriver à un complet développement... » (3).

La tradition elle-même, transmise parmi les prètres qui se succédèrent dans l'Université, nous montre toujours Saint-François considéré comme le fon(1) Gonthier, La mission de Saint François de Sales en Chablais, p. 312.

(2) Ibid., p. 312.

(3) Ibid. p. 326. C'est à peu près mot à mot la dernière phrase de notre Monographie de la Sainte-Maison. Voir Histoire dn Thonon, p. 401, 402.

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