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que

qui me paraît un trait de lumière : est-il bien certain l'arrêt du tribunal de Louvain soit pour moi celui d'une cour souveraine? dois-je appeler de cette sentence, que l'injustice même a imaginée? La leçon lui était donnée sur ce qu'il avait à faire pour être agreable à un homme vénal, calomniateur, injurieux, sans jamais pouvoir cesser d'être niais; qu'il me soit permis d'examiner la légalité de ma procédure*.....? Une chose grave, c'est d'avoir, sans que cette mesure fût nécessaire pour éclairer les débats, prononcé publiquement des noms que le respect devait rendre sacrés; c'est d'avoir ajouté, à la dureté de la proscription et à la douleur d'une sentence injuste, l'affirmation que j'avais trompé S. M. la reine des Pays-Bas, et les principaux personnages de l'État.

J'appellerai du jugement de Louvain **, tout doit faire renaître mon espoir, et cependant une sourde

* Puisque la science de l'avenir paraît un problème à MM. les juges de Louvain; problème dangereux, propre à exaspérer les passions des hommes, comment ont-ils pu prendre à la lettre d'innocentes fictions que je m'étais permises dans mes écrits. M. le procureur du roi se permit d'employer l'arme de l'ironie, ce qui était non seulement déplacé, mais répréhensible. La Sybille se fáche, dit le magistrat. Non, Monsieur, repris-je avec force, non, Monsieur elle n'est qu'indignée.

** Diligite justitiam, qui judicatis terram: sentite de domino in bonitate, et in simplicitate cordis quæritote illum.

«

Aimez la justice, juges de la terre : ayez des sentimens conformes à la bonté de Dieu, et cherchez-le dans la simplicité du cœur. »

agitation tourmente mes esprits. Qui peut donc suspendre mon allégresse? qui peut donc exciter mes craintes? si une vanité particulière est blessée; si l'orgueil d'un ministre est humilié, faut-il que j'en souffre

encore?

Les uns regardent ma condamnation comme une disgrâce complète auprès des honorables personnes qui avaient daigné sourire à mes travaux littéraires; les autres, et je suis de ce nombre, ont pensé que M. Vanderfossa avait tenté d'augmenter sa réputation et de s'assurer un ministère.

Ce fut dans ce dessein (de le servir) que je présentai ma requête d'appel à la cour supérieure de Bruxelles. Déjà la renommée d'un greffe avait annoncé que le jugement de Louvain serait confirmé; on attendait ce dénoûment, afin de m'épargner des incertitudes, et de me donner une lueur d'espérance; on semblait cependant regarder ma perte comme indubitable; je cherchais à m'inspirer quelque confiance à moi-même, pour reprendre ma tranquillité. J'éprouvais, sans pouvoir les définir, des pressentimens secrets; je croyais découvrir dans les moindres circonstances des pré sages avant-coureurs d'un destin plus heureux : devais-je être déçue dans mes espérances?

Je retombais souvent dans un désespoir inexprimable; qui pourrait dépeindre, en effet, l'horreur de se voir poursuivie, et retranchée momentanément du sein de la société, comme un membre indigne de sa confiance.

Oh! cette horrible situation est mille fois plus cruelle que la mort même! *

Mon esprit, accablé par tant de souffrances, éprouvait un trouble que je ne peux moi-même définir. Cette époque de ma vie, tel qu'un songe pénible, ne se retracera point à mon imagination sans la remplir d'effroi.

C'était uniquement par honneur que je souhaitais de voir infirmer cette sentence 25; elle a laissé des traces dans le cœur de tous les hommes qui estiment des magistrats intègres, et une femme recommandable par ses talens.

Une année d'emprisonnement, si j'eusse été coupable, aurait pu m'effrayer, et me faire recourir à la .clémence royale. Victime, je devais me résigner à souffrir j'expiais déjà, sans me plaindre, d'une manière trop cruelle, les périls de la célébrité; il m'était peutêtre réservé de fléchir la tête sous les nouvelles fourches Caudines.

Cependant je ne pouvais m'imaginer que ce redoutable voisin de Bruxelles avait pu adopter le réquisitoire du ministère public, et les conclusions de l'aréo

* Sans la religion, cette fidèle compagne de l'homme, son seul appui, je n'aurais peut-être pu montrer un tel courage; je me serais exhalée en reproches. Loin de conserver ce noble calme qui peint si bien l'innocence, j'aurais ajourné mes juges et fait trem

bler mes accusateurs.

page des trois. Ne savait-il pas, comme nous tous, que le redoutable glaive se tourne dans la main de l'oppresseur contre celui qui en condamne l'usage? ne savaitil pas que celui qui ose abuser de la justice royale court le risque de perdre à la fois l'existence et l'honneur? Comment se persuader que ce haut et puissant Janus ait pu conseiller à des magistrats de faire prononcer une condamnation aussi injuste que flétrissante pour eux? Je suis convaincue que mon ennemi travaille l'esprit et séduit le jugement de ceux qui naguère me témoignaient quelque bienveillance. Dieu de vérité! m'écriai-je dans le tendre mouvement de ma compassion pour lui (je ne pouvais m'empêcher de le plaindre)! comment peux-tu permettre que l'odieux mensonge abuse les amis de la vérité? pourquoi n'ont-ils pas écouté (pour moi) les conseils de la modération et de la vertu, que jusqu'alors ils avaient toujours encensées? Eh! quoi des hommes si généreux, si sensibles, peuvent-ils prêter une oreille attentive aux insidieux rapports de courtisans pervers!

Sans doute les magistrats de Louvain sont accoutumés depuis long-temps à voir respecter leurs arrêts; ils trouveront sans doute audacieux à une femme étrangère d'appeler de leur jugement.

Quelque auguste et respectable que soit ce tribunal, une réunion d'hommes ne doit pas toujours être infaillible, le Créateur peut seul être le souverain juge, dont les sentences soient sans erreur et sans appel.

Pour vous, illustre prince, me disais-je souvent, vous, dont j'ai recherché l'estime, parce que je révère votre bonté, parce que j'ai la plus haute opinion. de la grandeur de votre âme, avez-vous daigné parcourir la lettre que je vous ai adressée ? les lignes en étaient tracées par la main du malheur; c'est du sombre séjour d'une prison qu'elle a dû vous parvenir ? l'innocence y gémit encore, victime de sa reconnaissance........ sa détention doit-elle encore se prolonger? En vérité, elle l'ignore, et beaucoup d'autres l'ignorent aussi. Tant que durera son exil de la France, elle se dira: si celui qui m'accuse était de bonne foi, il ne redouterait point que j'employasse tous les moyens d'une légitime défense. Celui qui m'accuse n'aurait pas tant d'inquiétudes, de soupçons et de craintes, s'il n'était embarrassé de jouer son rôle, de prouver ce qu'il avance; que ne s'élève-t-il hautement contre moi, sans m'attaquer dans l'ombre ? Les lois sont-elles done sans vigueur en Belgique? le souverain n'en est-il pas le gardien et le protecteur? Si la justice est respectée, si tous les hommes sont égaux devant la loi, on pouvait me faire juger à Bruxelles. Que je sois innocente ou coupable, les magistrats de cette ville ne suffisent-ils point pour m'absoudre ou pour me condamner? Si ceux qui me poursuivent ont de l'honneur, pourquoi, ô prince! ne me signalent-ils pas aujourd'hui devant vous? C'est avec les preuves à la main que l'on peut convaincre !!! Monarque clément et juste, votre religion, comme celle

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