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s'attendrir sur ses malheurs; non, elle ne devait demander que la grâce de se défendre, que la grâce de faire entendre sa justification. Elle ne devait pas fléchir humblement le genou devant ses oppresseurs,ni couvrir son front du voile de la honte; elle devait préférer de paraître en public; elle devait préférer de prouver son innocence, et s'occuper de tout le bien qui lui restait à faire.

Telle est la destinée des hommes, la trame est incompréhensible, et nul ne peut en rompre les chaînons: elle est une énigme éternelle pour l'homme, que ne couvre point le bandeau de l'erreur. Pourquoi la victime était-elle froide et indécise dans le plus dangereux moment de sa vie? Pourquoi était-elle insensible à l'instant où elle pouvait encore choisir entre la France et la Belgique, entre l'esclavage et la liberté ? Que les penseurs en recherchent la cause! ils se perdront comme elle dans ce vaste labyrinthe. Pourquoi un soldat intrépide, qui a brave mille périls sur les champs de bataille, devient-il quelquefois aussi pusillanime que la femme la plus timide? Pourquoi la bravoure d'un homme naturellement courageux est-elle pourtant journalière? et quelle est la pente qui nous entraîne vers le but pour lequel nous sommes destinés? *

* Au moment où Marie-Stuart, accompagnée des Guises, ses oncles, du duc de Nemours, et d'un grand nombre de chevaliers français, s'embarqua dans le port de Calais, un navire, qui précédait ses deux galères, périt à ses yeux, et la reine s'écria : Ah! quel augure pour mon voyage!

qu'un esprit plus éclairé que le mien en pénètre la cause! Il n'en est pas moins vrai qu'il est des choses que l'on ne peut chercher à approfondir sans flotter dans le vague, et finir par tomber dans l'er

reur.

Un voile de tristesse semblait m'environner le 25 février 1821;j'étais pensive ; j'éprouvais le besoin du silence. Quelques illusions me berçaient doucement; mais bientôt elles s'éloignaient, et emportaient avec elles la félicité qu'elles semblaient me promettre.

d'un

Je quittai ainsi la capitale de la France, en proie aux plus sinistres pressentimens. La triste prévoyance de l'avenir ne m'arrête point; j'éprouve un frisson mortel en pénétrant sur la terre de l'hospitalité. Toutes les illusions commencaient à s'évanouir aussi rapidement que la vapeur songe. A l'aspect de la ville de Mons, je ne pus m'empêcher de tressaillir : cependant la crainte m'était étrangère; et loin d'être effrayée par l'apparence d'un péril quelconque, je me sentais capable de l'affronter s'il se présentait, et je me flattais même d'en sortir avec gloire 2.

Le sort, qui au retour du congrès d'Aix-la-Chapelle m'avait comblée de ses faveurs à Bruxelles, ne devait me laisser m'enivrer que peu d'instans des fumées d'une gloire fugitive, et se plaire ensuite à épuiser sur moi toutes ses rigueurs.

Jamais femme, peut-être, ne reçut de la munificence des princes des dons plus brillans et plus séducteurs. La fortune a voulu cependant me soumettre

à beaucoup d'épreuves fâcheuses, pour m'affermir davantage dans le mépris des grandeurs humaines, et dans l'amour des plus douces vertus. Quel est l'homme qui peut se garantir de tomber une fois dans l'erreur? il faut alors qu'il s'élève au-dessus de l'humanité, et qu'il ait reçu du ciel une essence plus parfaite.

Ainsi donc, je me précipitai vers une mer orageuse, en revenant à Bruxelles. Il est vrai, je pourrais me plaindre avec amertume de certaines personnes qui m'ont sollicitée.... Ma générosité doit leur paraître immense. Je devais être battue par le vent de l'adversité, la haine allait être satisfaite... mais les détours, tous les faux-fuyans, seraient-ils l'apanage des ilotes modernes ??? On a beau s'envelopper d'une obscure politique, le public a l'art de se faire jour à travers les ténèbres; et les palais des hommes d'état deviennent diaphanes aujourd'hui pour les peuples.

Quelle petitesse dans les vues! quelle aridité dans les 'moyens! S'il fallait absolument me sacrifier, il le fallait faire d'une manière plus digne; sans trop me vanter, il me semble que j'en valais la peine. Eh quoi! habitans de Bruxelles, lorsque j'ai quitté votre ville, en décembre 1818, pouvais-je m'imaginer que le motif honorable qui me ramenait dans vos murs en 1821 3 me soumettrait aux périls d'une accusation; lorsque réduite à fuir, pour me dégager des liens de la justice, il m'aurait fallu choisir entre le déshonneur et la gloire. J'aurais pu, il est vrai, étouffer ce fléau; mais le devais-je, sans me nuire à moi-même, et sans m'avouer vaincue ?

En définitive, ce que je n'ai pas voulu tenter, par devoir, a augmenté le ressentiment de mes ennemis. Celui qui ne voulait que m'effrayer la veille a osé m'immoler le lendemain, il a cru en avoir le droit, il a choisi le lieu, le temps, avec l'assurance de l'impunité pour lui, et la certitude de me perdre à jamais. Il m'a représentée, dans son rapport perfide, sous les couleurs les plus fausses; il a choisi, dans mon ouvrage de la Sibylle aux congrès d'Aix-la-Chapelle et de Carlsbad, les passages qui lui semblaient devoir s'appliquer à ses vues; il les a représentés à l'autorité sous le jour le plus défavorable, et avec des notes minutées de sa main. Je sais, en effet, combien l'ambition est audacieuse, combien la passion du pouvoir est accompagnée d'inquiétudes : aussi, se plut-il à faire répandre, dans tous les endroits publics, la fable la plus absurde et la plus épouvantable, parce qu'il savait qu'il n'est rien de plus bizarre, de plus capricieux, de plus variable que le jugement de la multitude, et ses dispositions à notre égard. On ne s'irrite pas seulement de ce qui est répréhensible dans un étranger, mais souvent aussi on se dégoûte de ce qui est le plus louable; on ajoute croyance à des bruits faux, et ils ne sont rejetés qu'après un sérieux

examen.

Doit-on m'accuser, moi Française, si j'ai inspiré des craintes à quelques politiques en Belgique ? Le comble de ma gloire est qu'ils m'ont rendu depuis la justice qu'ils ne devaient point en ressentir.

Les suppositions, les conjectures, les caquetages se

transformaient en vérités dans la bouche des calomniateurs. On me représentait comme une femme dangereuse et fourbe 4, comme une ambitieuse facile à corrompre et à séduire, comme une ingrate envers la cour du royaume des Pays-Bas, dont on prétendait que je voulais conquérir le territoire. Il suffisait, pour légitimer en apparence ces coupables assertions, d'établir que j'entretenais une correspondance active qui me mettait en perpétuelle relation avec les Belges; que j'avais un centre commun, une direction unique; que j'étais en possession des secrets des deux mondes; mon nom seul était, selon eux, un épouvantail universel; mon influence éclatante, ma réputation, devenue européenne, étaient, d'après ces Zoïles obscurs, un attentat à la vérité, et à la sûreté du Brabant.

L'on voulait saper les fondemens de ma réputation, de mon crédit; l'on craignait mes observations salutaires. Il fallait, disait-on, prémunir contre mes embûches ceux qui se disaient mes amis. Une prison devenait mon temple pour m'humilier, pour m'asservir! Que d'imputations n'avait-on pas accumulées contre moi, qui auraient atterré le moins coupable! avec quelle force on les avait accréditées! avec quel dédain ne devais-je pas y répondre! Cependant le coupable le plus audacieux, et l'innocent lui-même, à moins d'un grand courage, n'auraient pu s'empêcher d'y être sensibles. A la vérité, on devait finir par connaître la perfidie de toutes ces accusations; mais c'était à moi de les détruire en Belgique; je ne pouvais, pour leur com

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