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truit peu à peu l'espérance, au contraire, mes idées devenaient plus tranquilles; enfin j'osai croire au retour et à la durée du bonheur; je jetais un voile sur la source de mes peines, et je travaillais avec un nouveau courage au plan sur lequel je voulais fixer l'attention générale.

Quoique mon livre sur les congrès d'Aix-la-Chapelle et de Carlsbad m'ait attiré d'amères persécutions en Belgique, l'étude procure du moins une grande jouissance et beaucoup de considération à une femme vraiment instruite. Les critiques dont les ouvrages sont l'objet peuvent être très-aisément supportées quand on a quelque élévation d'âme, et quand on aime les grandes pensées pour elles-mêmes encore plus que pour le succès qu'elles peuvent vous procurer; d'ailleurs le public, tôt ou tard, devient toujours équitable. Il faut que l'amour-propre s'accoutume à faire crédit à la louange; car, avec le temps, on obtient ce qu'on mérite, quand même on aurait

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sceptre magique. Je n'imiterai point l'enchanteresse Canidie, je me garderai de dire comme elle: «< Que vous sert de me prier? » mes oreilles sont fermées pour vous, les rochers battus par la tempête ne sont pas plus sourds aux cris des matelots qui périssent; si vous vivez plus que je ne voudrais, ce sera pour vivre malheureux, vos jours ne seront prolongés que pour fournir sans cesse à de nouveaux tourmens ». Non, mes per sécuteurs, rassurez-vous, c'est sous d'heureux auspices que je saurai mêler à la sagesse un peu de folie rien n'est si doux que de laisser dormir à propos sa raison en attendant une action mémorable !!!

long-temps à souffrir de l'injustice. Je ne conçois pas de meilleur asile contre elle que la méditation de la philosophie et l'émotion de l'éloquence. Ces facultés mettent à nos ordres tout un monde de vérité et de sentiment, dans lequel on respire toujours à l'aise.

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De même vais-je recommencer d'écrire; et l'histoire de mes malheurs en Brabant sera la première œuvre de ma liberté. Aussi les lettres, que je cultive avec une noble indépendance, seront toujours consacrées au triomphe des bons principes. >>

Enfin l'heureuse nouvelle de ma délivrance est publiée, et les ailes de la Renommée ne seront pas assez rapides pour la porter au fond des provinces belgiques; ses cent voix ne seront pas assez fortes pour la faire retentir des bords de la Meuse jusqu'aux rives de la Seine. On me vit reparaître dans le monde avec étonnement; déjà le bruit, qui s'était répandu dans Bruxelles, que les ordres étaient donnés pour me préparer une retraite à Vilvorde, avait alarmé mes amis *. Je reçus mille complimens qui portaient le

* Il existe à Bruxelles un cœur généreux, une âme noble; mon adversité la fit briller sous un nouveau jour. C'est à elle que je dois des consolations quand tout m'abandonnait, elle me rechercha dans ma solitude, elle travailla, elle agit pour moi, tandis qu'il en était qui m'avaient de grandes obligations qui n'osaient se montrer au jour, ni me protéger contre les loups qui venaient m'attaquer..... Elles rougissent aujourd'hui d'avoir pu me méconnaître ! Je leur pardonne volontiers cette acte de pusillanimité; mais elles me dispenseront de leur offrir la palme du courage, elle appartient aux Anglais, eux seuls ne m'ont point délaissée........... Amis rares ils ont été fidèles à l'in

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caractère de la sincérité *; mon premier sentiment fut de rendre grâces au ciel de m'élancer d'une mer agitée dans le port **. Je m'étais confiée à mes seuls

fortune d'une femme, qu'il était alors de bon ton de critiquer, pour faire sa cour à je ne sais quels protecteurs de l'intolérance politique et religieuse; sans doute il en est qui seraient forcés de baisser les yeux devant moi: je pourrai faire rougir ceux qui me flattaient dans la prospérité et qui m'ont abandonnée dans la disgrâce; je pourrai voir assis à ma place ceux que j'ai vus si souvent assis à mes côtés...... Mais est-ce là une considétion capable de suspendre le cours de la justice, et sommesnous pour toujours dans un temps où il faille repousser le malheureux, pour tranquilliser les ingrats ? Non! encore une fois, non !

* Au moment où l'arrêt de la cour supérieure fut prononcé, l'intérêt que me portaient les habitans de Bruxelles devint une ivresse générale ; le peuple se précipitait en foule autour de moi pour me témoigner la satisfaction qu'il éprouvait de me voir remporter sur mes ennemis une si éclatante victoire; les portes du tribunal furent mises en pièces et les barrières forcées, on m'environna de toutes parts: vive Le Normand !s'écriait-on, vive la femme courageuse. Les Flamands répétaient à haute voix : Prophetia, etc. Plus de vingt milles personnes étaient sur pied, j'eus la plus grande peine à m'avancer jusqu'à ma voiture; le peuple, entraîné par l'enthousiasme, montait sur le cercle des roues pour me féliciter; je répondais à ces marques honorables de l'attachement des Belges, en leur offrant aussi des vœux sincères pour leur prospérité : ils m'accompagnèrent jusqu'à la maison d'arrêt où je me rendis pour reprendre mes papiers. Le troisième jour de ma délivrance, j'assistais à la dernière réprésentation que donnait Mademoiselle Mars à Bruxelles, je fus unanimement applaudie; mes persécuteurs étaient présens, quelles durent être alors leurs réflexions? peut-être éprouvèrent-ils, par raison ou calcul, le repentir de leur coupable conduite envers moi?

** Le tourbillon du Seigneur, sa fureur impétueuse, sa tempête toute prête va fondre sur les pervers, et le Seigneur ne détournera point sa colère et son indignation jusqu'à ce qu'il ait accompli les desseins de son cœur. Jér. xxx. 23.

moyens, mais l'injustice ou l'imprévoyance pouvait me faire rentrer sous la puissace de mon ennemi, et l'on devait dès lors penser que son caractère absolu se développerait à mon égard d'une manière très-prononcée; il me voyait décidée à rester quelques instans à Bruxelles, où l'état de ma santé, la vie mélancolique d'une prison (qui en est la suite), me forcèrent à m'adresser au docteur Plancke, pour me donner quelques soins. Le lendemain de mon triomphe, je reçus un avis secret et officieux de n'y séjourner que quarante-huit heures 38. Que craignait-on des conseils d'une Française? d'exalter l’imagination des Belges : eh! pouvait-elle influer sur leur destinée politique? On me faisait entrevoir que je courais le péril d'être arrêtée pour le fameux mémoire. On allait jusqu'à dire que c'était sur le réquisitoire de Messieurs les juges de Louvain. On n'oserait, m'écriai-je! ce serait vouloir mettre le comble à ma réputation............ Au moins, cette fois, je paraîtrais sur les bancs sous le poids d'une accusation honorable; si l'on me poursuivait pour mes écrits, ce serait, en vérité, leur faire trop d'honneur, et le public me venge déjà, de la manière la plus signalée, aux yeux du Brabant, sur le ridicule procès qui m'a été fait par une fausse et coupable combinaison. Je me contenterai de prévenir les effets précipités d'une vengeance irréfléchie; je me bornerai à dire Le monarque le plus éclairé peut concevoir des soupçons que lui soufflent des hommes méchans, parce qu'il lui est impos

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sible de promener ses regards sur tout son empire; il est fâcheux qu'il se repose sur quelques courtisans, qui, loin de mériter sa confiance, la trahissent toutes les fois qu'il lui est nécessaire de leur en administrer des preuves.

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