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MES ADIEUX AUX BELGES.

O liberté! trésor inappréciable ! je vais jouir de toi, après en avoir été si long-temps privée...

CHAPITRE VI,

LE 15 août je quittai Bruxelles, non en fugitive, mais triomphante *. Je n'abusai point de la victoire ; je surmontai mon ressentiment. La fortune elle-même, cette reine des événemens, ne se présenta point pour la partager; la variété des objets que j'apercevais sur ma route, dans la plus riche saison, produisait un effet salutaire sur mon âme. Le calme qui régnait autour de moi me rendait un bien-être que je n'avais pas éprouvé depuis long-temps. Je ne soupirais que pour la solitude et la retraite. De tous les côtés, le bruit de ma défense avait exalté les esprits; une population immense arrivait en foule au-devant de l'ex-prisonnière ; je m'éloignais encore une fois de mes amis, de mes

* Je fus, comme Horace, condamnée par les décemvirs de Louvain, et portée en triomphe par le peuple bruxellois.

plus chères habitudes : mais du moins alors la tyrannie ne me poursuivait pas hors des frontières de la Belgique *. En Prusse, j'allais retrouver la faculté de penser et la force d'écrire; partout les chefs-d'œuvre de la nature m'ouvraient des sources de jouissances

* En arrivant à Liége, le 16 août, à neuf heures du matin, je remarquai avec surprise que les habitans me fixaient et semblaient me connaître; que voulait dire ce présage? Ma surprise fut extrême, en appercevant deux gendarmes qui suivaient pas à pas ma voiture, ils m'observaient sans cesse et semblaient me désigner; arrivée à la poste on fit une pose pour se rafraîchir, ces gendarmes me suivirent au café ; les Liégeois me croyaient déjà captive, jugée et condamné pour mes écrits; je ne tardai point à me convaincre que cette terreur était mal fondée, la curiosité seule avait entraîné ces messieurs, elle avait fini par s'emparer d'un grand nombre de personnes. On savait alors qui j'étais, mon procès m'avait créé dans ce pays une réputation de courage; un peintre qui avait fait mon portrait à Bruxelles en avait exposé une copie à Liége`: on me remarquait dans le même costume de voyage, avec mon bonnet à la russe ; il n'était pas surprenant que l'on m'eût facilement distinguée, aussi je continuai paisiblement ma route et me promis bien dorénavant d'écarter toutes les probabilités d'une agression nouvelle. On disait hautement à Aix-la-Chapelle que je devais craindre de reparaître en Belgique, que pour cette fois je ne l'échapperais pas. Un habitant de Bruges, que je rencontrais souvent à Borcette, assurait que M. Duvignau , procureur du roi de sa ville, était animé pour moi des meilleures intentions; il en était ainsi d'un premier magistrat de Namur ; il me montra un article inséré par ordre du grand visir et du cadi général dans le Constitutionnel d'Anvers, qui semblait désapprouver la cour supérieure de Bruxelles de s'être honorée dans ma cause. En vérité il y avait de quoi bouleverser une tête craintive, aussi je formai le dessein de révoquer en doute tous les bruits les mieux fondés, et je finis par y devenir indifférente.

qui jusque là m'étaient inconnues. Qu'on se représente, entre la ville de Liége et Aix-la-Chapelle, une étendue immense de pays embellis par les cultures les plus variées, coupée par la rivière de la Meuse, animée par une multitude de hameaux. Ce délicieux paysage représente le tableau de l'aisance, de la paix, du bonheur, et d'une utile activité *....

Un souvenir pénible vint troubler les élans de mon admiration; sans ce pénible souvenir, je serais restée en extase devant ce magnifique tableau. Un char brillant venait de passer à mes côtés, et j'avais reconnu une personne qui, dans des temps plus heureux, m'a- · vait voué un intérêt tout particulier. Que de fois elle m'en donna l'assurance dans ses lettres! Aujourd'hui, elle est en quelque sorte humiliée du rôle qu'elle joue à mon égard; elle détourne les yeux..... Mes amis ! réveillez-vous, réveillez-vous, non pour me servir, car j'ai gagné ma cause, mais pour partager mon bonheur. Demain, celui qui était mon ennemi cessera de l'être; peut-être aussi ceux qui ont troublé mon repos ne goûtent pas, comme moi, les charmes d'un paisible sommeil: la tranquillité de l'âme contribue toujours à faire souffrir plus patiemment les peines du corps. A ce dernier mot, l'un des voyageurs, M. Lagrenée, peintre fran

* Il existe une ordonnance fort sage dans la Belgique, c'est celle qui veut que les maisons soient au moins reblanchies tous les cinq ans ; de là un aspect de propreté et d'élégance qui frappe d'abord les yeux, et qui, jusqu'à un certain point, contribue à la salubrité comme à la prospérité publique.

çais, me fit remarquer un spectacle d'un genre bien différent, et qui produisit sur moi une impression plus vive. La plus grande partie de la contrée que je venais de parcourir était éclairée des derniers rayons du soleil, qui lui donnait l'éclat le plus éblouissant. La Meuse étincelait comme un diamant; non loin de là, des effets d'ombre d'un bois répandaient sur la plaine une teinte noirâtre qui se dissipait ensuite par degrés.

Des génisses étaient suivies d'un troupeau de moutons; plus loin, on apercevait ces porcs immondes, qui se font pardonner, par leur journalière utilité, une ignoble et difforme figure; mais ici, confondus avec une foule d'autres animaux, ils semblaient offrir à mes regards un ensemble de mouvemens; quelques chèvres, avec leur forme agile, leur longue barbe et leur air intelligent, se présentaient ensuite cette multitude d'animaux variés de formes et de couleurs, jouissait du bonheur de paître en liberté sur cette plaine verdoyante, et formait un coup d'œil délicieux dont l'habitant des villes ne peut se faire une idée.

La lune se leva, et, sur cette hauteur, jetait une douce clarté sur ce beau, cet immense paysage et les objets plus rapprochés.

L'air était calme, et sa vague tranquille
Aplanissait sa surface mobile:

Sur l'horizon la lune, en renaissant,

Bordait son orbe au feu de son croissant.

Tout ce qui se présentait à ma vue me frappa telle

ment, que je m'empressai d'en saisir une légère esquisse pour la placer dans mes tablettes. Je pris mon crayon, mon portefeuille, je m'assis sur un tronc d'arbre pendant qu'on relayait, et je dessinai, en pensant que du moins j'emporterais le souvenir de l'un des momens les plus intéressans de ma vie.

Le hasard me conduit vers le fond d'un bocage,
J'avance, j'aperçois un toit humble et sauvage,
Un champêtre réduit, au milieu des forêts,
Où régnaient la vertu, l'innocence et la paix.

J'aimais à contempler ce ravissant spectacle, j'aimais à ralentir mes pas pour savourer ce riant tableau qui se présentait à mes regards.

Déjà j'entrevoyais cette antique cité qui me reportait aux premiers momens de la gloire française et me retraçait d'autres monumens plus modernes, mais non moins mémorables: je me rappelais avec émotion cet accueil flatteur que j'avais reçu à Aix-la-Chapelle. J'arrivai le soir dans un riant vallon que bordaient des collines élevées et couronnées de bosquets de verdure. Au milieu d'une forêt était située une ville d'un aspect antique; sa cathédrale, bâtie par le fils de Pépin, avec ses tours, ses portiques, ses cloîtres, ses vitraux, resplendissaient aux derniers rayons du soleil: tout à Aix-la-Chapelle m'inspirait la paix de l'âme et un doux recueillement.

Mon premier soin, au lever de l'aurore, fut de

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