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remercier le Créateur qui m'avait garantie de nouveaux malheurs, que je pouvais craindre jusqu'aux frontières. Dans la cité de Charlemagne 39, je ne courais plus le péril de tomber dans les piéges de mes persécuteurs ; mais pouvais-je me dire à moi-même: Mes voiles sont reployées, les tempêtes ne me poursuivront plus sur l'océan du monde, et je cherche aujourd'hui le port dans lequel enfin mon navire doit trouver le repos.

Le 18 août, à la douzième heure du jour, je saluai l'Éternel dans son temple, et je lui adressai une fervente prière; je participai aux célestes mystères; l'expression de la véritable piété animait le ministre prosterné devant l'autel ; j'étais saisie d'un saint enthousiasme et de la plus profonde vénération, je tombai à genoux et remerciai l'Etre suprême de m'avoir préservé des piéges de mes ennemis. Le premier aspect du lévite vénérable m'avait inspiré de la confiance', il leva les yeux du livre des prières, les fixa sur moi avec bonté; alors, il semblait dire : « Vous » êtes cependant la même personne qui vint à l'époque du congrès tenu dans nos murs en 1818. Sont-ce »> nos actions qui fixent le prix de l'homme? est-ce » la vertu qui décide de l'infortune et de la récompense du juste? non certainement, surtout dans les pays où le pouvoir personnel est dans toute sa

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force, où les flatteurs de cour cherchent à envi» ronner leur souverain de conseils perfides; ils lui » font entendre qu'il est au-dessus des lois, que les

» états qu'il gouverne lui appartiennent par le droit » de sa naissance, que le sujet ne doit espérer la jus

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tice que par une grâce spéciale, et qu'il doit ramper pour l'obtenir ».

Quand le souvenir du passé revient à mon esprit, quand je pense à cette révoltante injustice que j'ai si long-temps éprouvée, je devrais en femme prudente, pour ma situation présente et future, effacer ces lignes ; mais j'ai une tête si singulièrement organisée que je ne puis m'y résoudre, parce que j'écris la vérité aussi ma position actuelle est-elle toujours critique, et le sera certainement jusqu'à la mort.

Ecoutez, la vérité l'emportera toujours, voilà ce qui doit me rassurer sans doute; il peut m'arriver de nouveaux malheurs occasionnés par le ressentiment de ceux qui croiront se reconnaître dans cet ouvrage; mais ils ne seront que passagers, mais la vengeance contre les auteurs de mes calamités sera terrible.

J'ai découvert une partie du masque qui couvre ces profonds hypocrites, il faudra bien le soulever en entier; c'est un devoir, c'est pour moi presque la seule réponse que je dois faire sur le bord de l'abîme dans lequel on cherche à m'engloutir; je détruirai l'art du calomniateur, en éclairant le peuple belge : la vertu, le talent survivent toujours à la calomnie. On se souvient de Phocion, il a obtenu les honneurs de l'apothéose, et, sans une citation de Plutarque, saurait-on que Glaucippus, un tartufe politique de

ce temps-là, composa contre lui une satire virulente. Cependant j'ai trouvé à Louvain des hommes vertueux qui m'ont secourue dans l'infortune, j'en ai rencontré beaucoup moins dans les lieux où je méritais une récompense. J'ai comparu à Bruxelles devant un tribunal qui peut-être un jour jugera mes persécuteurs ; les courtisans ont peu de valeur aux yeux de celui qui a appris à les connaître comme moi; je n'ai point murmuré contre la Providence: elle m'a conduit au port par des tempêtes, à la connaissance de moi-même par des afflictions, enfin elle a élevé mon âme par l'oppression, et lui a fait prendre un essor plus sublime. Celui-là seul peut s'avancer avec indifférence vers l'immortalité qui peut jeter un coup d'oeil satisfait sur le cours de sa vie, qui n'a rampé jamais aux pieds des oppresseurs de sa patrie, qui s'élève dans les régions brillantes de l'imagination. La crainte n'a point arrêté ses regards audacieux, elle a voulu pénétrer dans les replis tortueux des consciences; alors elle a dit: Contemplez-les ces courtisans inamovibles aux premières dignités de l'État, examinez comment ils ont acquis leurs richesses et leur grandeur !

Monarques qui ne pouvez tout examiner dans vos immenses, états et qui êtes obligés de voir quelquefois par les yeux des autres, songez qu'il est dangereux d'écouter, sur la foi d'hommes sans pudeur, actucieux et perfides, des rapports mensongers!

Un ministre en place et son digne collègue ont

fait un abus cruel de leur autorité, la vertu la plus pure a gémi dans les fers, tandis que le vice heureux habite les palais. Celui qui s'élève dans sa prison à des idées grandes et sublimes, et ne se laisse point abattre par le malheur, est dès lors un être courageux, quelque injustice qu'il ait essuyée: la récompense appartient au mérite, mais elle ne lui est pas toujours décernée.

Vous aimez peu votre roi, ô vous qui, pour obtenir les faveurs, le flattez; mais pour le mieux trahir! O prince! écoutez une fois celle qui vous respecte pour vous-même, celle qui, par une incroyable fatalité, s'est vue poursuivie dans vos états: je n'attends aucun bienfait de votre auguste personne, je ne peux même en espérer comme étrangère; mon désintéressement est sans borne, j'oserai vous éclairer, je pourrai vous déplaire, qu'importe? je vous représenterai la vérité!

Vous, de qui toute justice émane et à qui il appartient, en vertu de vos honorables pérogatives, de créer les cours de justice et de leur tracer les règles qu'elles doivent suivre dans l'exécution des lois qui prescrivent les formes de l'instruction et du jugement; vous, dont la majesté réside dans leur enceinte et qui êtes toujours assis sur votre trône au milieu des magistrats lorsqu'ils prononcent des arrêts en votre nom, souffrirez-vous que l'injustice se fasse remarquer dans les procédures..... et flétrissent ainsi les archives du barreau? Non, prince, vous avez l'in

tention de protéger l'innocent*, la saine partie de vos états vous demande un exemple de justice et de générosité. Chassez les juges prévaricateurs du temple de Thémis? surtout n'oubliez point que les mêmes abus signalent aussi le tribunal de Louvain?

« Non, sire, disait l'éloquent Massillon à Louis XIV, ce n'est pas le rang, les titres, les puissances, qui rendent les souverains aimables; ce n'est pas même les talens glorieux que le monde admire; la valeur, la supériorité du génie, l'art de manier les esprits et de gouverner les peuples; ces grands talens ne les rendent aimables à leurs sujets qu'autant qu'ils les rendent humains et bienfaisans. Vous ne serez grand qu'autant que vous leur serez cher. L'amour des peuples a toujours été la gloire la plus réelle et la moins équivoque des souverains, et les peuples n'aiment guère, dans les souverains, que les vertus qui rendent les peuples heureux. »

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En effet, est-il pour les princes une gloire plus » pure et plus touchante que celle de régner sur les >> cœurs? La gloire des conquêtes est toujours souillée courage et la mort qui nous y con» duisent, et il faut faire des malheureux pour se l'as» surer. L'appareil qui l'environne est funeste et lu

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de

C'est le sang.

* Louis XIV connaissait bien l'art de gouverner! Un de ses ministres mit à l'écart, sans le lire, le placet d'un banni, des sollicitations duquel il était importuné, Quoi ! lui dit le monarque, vous refusez à ce malheureux de lire son excuse; vous n'êtes pas digne de me représenter, sortez de ma présence et allez lui faire droit?

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