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La terra molle lieta e dilettosa,

Simili a se l'abitator producere. *

(TASSE.)

Elle avait vanté la sagesse, la force et la douceur de son gouvernement. Que de fruits après tant de tourmentes s'était-elle plue à rassembler d'elle-même dans son opuscule du Congrès d'Aixla-Chapelle! ils sont dus aux veilles du nouveau Charles v

S. M. Guillaume rer., de sa noble épouse et de ses enfans; tous concourent à la fois au bien général des peuples et à la splendeur du royame des Pays-Bas !!!

Jusqu'à Thémis, à qui je m'étais plue à rendre mon hommage..., mais je suis sous l'empire de la balance, arrêtons-nous fort à propos...? Point de louange, elle me ferait soupçonner de crainte... C'est la justice seule que je réclame; j'ose l'invoquer; il me faut une absoute générale, et le triomphe m'attend!!!

Je jouis noblement de ma réputation; c'est le fruit de mes veilles et de mes longs travaux ! elle doit m'être trop chère pour la laisser flétrir. Comme tant d'autres auteurs, j'ai aspiré à la gloire littéraire; où je devais rencontrer des couronnes, j'ai trouvé un écueil ; mon vaisseau s'est brisé en rade, le pilote a abandonné son gouvernail; mais il me reste des juges!!!

Considération publique, où êtes-vous dans ce moment? faveur si légère, pourquoi avez-vous si rapidement disparu pour moi? hier encore, déesse coquette, vous sembliez me favoriser; aujourd'hui, je marche seule sur un terrain glissant... sans lumière et sans guide. Livrée à l'étendue de mes réflexions, je dois observer graduellement la marche d'une procédure qui n'offre pas d'exemples.

Heureusement, on n'invoquera pas au dix-neuvième siècle, comme au seizième, les témoignages des génies Astaroth et As

* Cette terre riante et gracieuse produit des habitans qui lui ressemblent. ** Charles V roi de France

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sans sortir de son cabinet, faisait réussir

ses desseins.

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modée. Un nouveau Laubardemont ne paraîtra pas à Bruxelles, pour venir tout exprès stimuler ou effrayer mes juges...

Minerve préside dans leur sanctuaire, et leur religion est trop éclairée pour ne pas me permettre de donner ici toute la latitude la plus plénière à ma noble et si singulière défense !!!

Le prisonnier chargé de fers oublie quelquefois son cachot pendant son sommeil, et ne s'éveille que pour accuser son dénonciateur devant les mondes assemblés; une noble pudeur m'empêche ici de décliner quel fut le mien!

Dans la chambre de réflexion (ou je suis depuis le 18 avril), l'épreuve de la grande patience a dû le faire connaître ! ! ! ** il doit me savoir quelque gré de ma généreuse modération; je laisse à qui de droit le soin de lui adresser les complimens les plus flatteurs... plus tard je pourrai, s'il m'en prend fantaisie, arracher le masque de l'intrigue; il me suffit pour aujourd'hui de me désopiler la rate, en disant :

Nullo thure litabis,

Hæreat in stultis brevis ut semuncia recti:

Hæc miscere nefas ***.

* Laubardemont, avec douze autres juges, vint pour instruire le procès d'Urbain Grandier, curé de Saint Pierre de Loudun, accusé d'avoir ensorcelé les religieuses ursulines, dont il était le directeur; après avoir entendu Astaroth, de l'ordre des Séraphins; Asmodée, de l'ordre des Thrones; Néphatum, Cham, Uriel, de l'ordre des Principautés, on le condamna à être brûlé vif, comme coupable de magie et de possession. (Arrêts notables.)

** Riez, riez, vous dont la nacelle vogue toujours sur une eau douce et tranquille! Riez d'un malheureux qui, jeté en pleine mer et battu par les flots, cherche à s'accrocher aux herbes qu'il apperçoit sur les bords; si vous partagez un jour son sort cruel, vous connaîtrez l'influence des chagrins sur les esprits mêmes les plus forts, et vous apprendrez que les premières consolations d'un infortuné naissent de cette faiblesse de cœur qui le mène à l'espérance.

(Année la plus mémorable de Kotzbue.)

*** Avec tous les sacrifices du monde, vous n'obtiendrez pas qu'un sot puisse avoir une once de bon sens : la sagesse ne s'allie pas avec la sottise.

Du reste, ensevelie pour ainsi dire dans mes pensées, incertaine je me laisse aller à une vague rêverie, qui bientôt fait naître en moi les idées les plus sombres et les plus mélancoliques. Le temps, dans son cours insensible, d'un pied lourd détruit tout dans l'univers; mais il a peine à adoucir les tourmens d'une âme qui sent si fortement la dignité de son être !

Je me demande à toutes les heures si c'est bien moi, moi, qui naguère rendis mes oracles dans le palais des rois..., et reçus au Congrès d'Aix-la-Chapelle la marque la plus insigne d'une auguste bienveillance, qui me retrouve aujourd'hui à Bruxelles, dans la maison d'arrêt, écrouée en vertu de l'article 405 du Code des délits et peines..., dont la malignité ou la stupidité pourrait me croire passible!!!

Le pensez-vous, Messieurs? oh! non assurément, et j'aime à rendre une justice trop éclatante à vos lumières intuitives; certes, vous êtes loin, dans votre sagesse, de m'appliquer ces propres paroles de l'Écriture :

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Au contraire, Messieurs, la Vérité, cette fille de la raison, doit s'écrier, non du fond de son puits, mais bien par la notoriété publique : Vous pouvez appliquer hardiment cette autre citation, en faveur de l'opprimée :

Divinæ nuncia pacis. **

Veuillez, Messieurs, me prêter toute votre attention; je la réclame comme femme ; j'en ai le droit comme étrangère : je suis

* Celui qui sème l'iniquité moissonnera le malheur, et il sera brisé par la verge de sa colère.

** Je porte le symbole de la paix.

ici sur la foi des traités; mon gouvernement ne peut souffrir une injustice, il est de sa dignité d'avoir les yeux sur moi, de me protéger!!! il est de mon devoir de m'en rendre digne, et de détruire entièrement tout cet échafaudage de mensonges obscurs, fruits si récens de la plus rare et de la plus inconcevable ineptie !!!

Je n'ai point passé à l'école de la vanité, Messieurs; j'ai su me garantir dans tous les temps du fléau de l'ambition: je n'ai donc point, dans les tristes heux que j'habite, de leçons étrangères ni

amères à recevoir.

Je dois à la réputation que se sont plus à me faire les plus grands de la terre, à mes nombreux amis, à ma qualité d'auteur, de vous faire bien connaître, et surtout de vous justifier, Messieurs, quelles étaient mes vues, mes rapports, et pourquoi j'ai dirigé mes pas vers une ville amie. Bruxellois! vous m'aviez si bien accueillie lors de mon séjour dans vos murs, à la fin de novembre 1818, que je n'ai pu résister au plaisir de vous revoir encore. Hélas! les hommes comme les états sont soumis à une destinée !

Pour se convaincre de ma moralité, il ne faut que feuilleter mes écrits; c'est l'histoire entière de ma vie. Lisez-la, Messieurs, et veuillez me répondre!

Mon existence ne repose point sur de vaines et chimériques espépérances. Je suis brevetée depuis 1810, et j'appartiens au corps respectable de Messieurs les libraires de Paris; mes ouvrages sont ma propriété; j'ai des immeubles. Je n'ai point recherché la fortune à Bruxelles, elle me suit partout; elle me sourit en France, je n'ai qu'à reparaître! Non, Bruxellois, ni vous, Messieurs, je ne rentrerai jamais dans ma patrie sous une caution de 500 francs; non, encore une fois, non!!! je veux revenir paisiblement dans mes foyers. Je veux prouver à mes concitoyens que je suis restée pure de toute accusation; que j'ai soutenu la dignité française, , que je la suis par le cœur ; et comme l'épouse de César, je ne dois pas même être soupçonnée!!!

Ils sont vrais, ils sont honorables les motifs qui m'ont fait quit

ter mes pénates et renoncer à mes plus chères affections. Le premier est l'honneur... L'honneur! allez-vous dire, eh! quoi, c'est une femme qui s'exprime ainsi; elle devrait s'occuper du soin du ménage ou de tourner le fuseau. Non, Messieurs, la louange a chatouillé trop délicieusement mes oreilles pour pouvoir quitter désormais les pinceaux... cependant, il ne m'a fallu qu'une demiseconde pour voir en quelque sorte s'évanouir les songes les plus flatteurs! Ainsi le sort dispense à son gré la gloire, et ce n'est pas l'écrivain distingué, celui qui en est le plus digne, qui jouit de ses faveurs innocentes ou tardives.

Je ne suis point accoutumée à jeter le gant, mais je sais le ramasser; d'ailleurs mes armes ne sont ni charmées ni même offensives. Mon style est la plume, elle m'a servi à repondre à une lettre de M. Descham**, lettre consignée dans nos journaux français le 7 novembre 1820; elle tendait en quelque sorte à obscurcir l'intérêt que les Mémoires de l'impératrice Joséphine semblaient devoir promettre!* Voudrait-on m'en punir, me faire expier tant de succès!!! ou m'en préparer d'autres ! ·

J'arrive enfin au plus noble et au plus efficace de tous mes motifs, la gloire! elle est inconstante comme toutes les saisons; et pourtant j'avais su la fixer. Dès les premiers instans de mon séjour à l'hôtel de Belle-Vue, la foule importune ne pouvait m'assiéger, et les journaux, fidèles échos de la renommée, n'avaient point encore décliné mon nom dans leurs feuilles**. Un pieux devoir inspiré par la reconnaissance m'avait dirigé vers Bruxelles. Reconnaissance, fille du ciel, ma vertu favorite, mien génie que j'encense à mesure qu'il s'éloigne du globe... (où nous traînons jusqu'au tombeau, dit Bossuet, la longue chaîne de nos espérances trompées).

Deux volumes in-8° de près de 1200 pages, gravures, portrait, facsimile.

** Mon arrivée n'a été annoncée dans les feuilles de Bruxellès, que le 3 ou 4 mars.

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