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composé quelques écrits, tous ont été goûtés, soit par la plus rare bienveillance, soit par le charme du style, soit même par la singularité de leur cadre. Aussi tout semblait devoir me faire croire que je marchais éternellement dans un chemin sans épines; mais l'amour des lettres n'a jamais une perspective assurée : l'on veut monter sur le degré qui est le moins éloigné ; à peine y est-on arrivé, que l'on désire aussitôt parvenir à celui qui se trouve au-dessus; plus on monte, plus l'élévation devient dangereuse, plus l'on a besoin d'appui pour s'y maintenir ! Je l'éprouve aujourd'hui. Heureusement je suis convaincue, depuis longues années, que l'annonce du bonheur n'est que la voix prophétique de l'adversité, qui presque toujours nous menace de séduisantes espérances. J'ai choisi une carrière, j'en dois courir les chances; je dois me montrer grande et ferme sur le bord du volcan ; je laisserai jaillir ses feux, et s'ils m'atteignent, au moins ce ne sera pas en fuyant .

Tout est fiction, tout est allégorie dans ma manière d'écrire ; si la censure ou la critique effrayait ou retenait tout le monde, laplume de nos infatigables historiens ne serait pas aussi féconde. J'ai voulu exquisser, j'ai voulu peindre, j'ai travaillé en m'amusant.. Qui pouvait supposer qu'un livre imprimé en France, le 10 octobre 1819, serait mis à l'index à Bruxelles en avril 1821! Livre honoré des plus augustes noms; livre universellement recherché en Europe par sa singularité. J'aurais quelque droit de m'écrier au fond de ma prison, comme je l'ai déjà fait à Louvain : Est-ce ma faute, à moi Française, si les Espagnols ont voulu aussi tâter des révolutions; si les Napolitains ont voulu les imiter; si les Allemands sont entrés dans Rome; si les Grecs se sont révoltés; si les Turcs craignent avec raison d'être chassés de Bysance? Ici, je vous dirai de bonne foi, Messieurs : J'ai rêvé tous ces événemens; je les ai consignés dans mon œuvre du congrès d'Aix-laChapelle; mais il est des songes dont Dieu même est immédiatement l'auteur. L'Écriture ne nous laisse aucun lieu d'en douter; ce sont des grâces très-rares, et ils méritent d'autant plus de vénération, qu'ils se rapportent plus à l'unité des états ou au bien

être des peuples. Cicéron même mettait les songes au nombre des choses qui rendent témoignage de la Providence. Dans ce livre que l'on veut bien trouver mystique, j'ai chanté la bienfaisance; j'ai peint les vertus de votre auguste souverain et celles de sa digne épouse ; j'ai jeté quelques fleurs poétiques sur les honorables personnes qui avaient bien voulu sourire à mes travaux et les encourager. Si quelques lignes m'ont livrée à la persécution, il n'appartient qu'à vous, Messieurs, de bien juger mes intentions. L'ouvrage est moral, religieux, philosophique : lisez, et prononcez.

Après vous avoir donné de ma cause l'idée générale que vous devez en concevoir, il n'est pas inutile d'examiner en détail et de combattre avec raisonnement la série des pièces et des allégations qui composent cette procédure extraordinaire; si jusqu'à présent j'ai été assez heureuse pour préparer la conviction en ma faveur, c'est en portant les derniers coups à toutes les têtes de l'hydre que la calomnie et d'autres sentimens humains ont créées contre moi, qu'il m'importe de dissiper jusqu'au moindre nuage que des yeux fascinés et prévenus pourraient encore découvrir dans ma justification et sur mon inocence; je vais donc vous exposer les pièces originales de mon affaire, et quoique peu familiarisée avec les discussions de jurisprudence, il ne me sera pas difficile de répandre sur celle-ci une lumière qui fera ressortir les irrégularités et les erreurs sans nombre dont jusqu'à présent j'ai été la victime.

Lorsqu'on a lu avec attention l'arrêt de renvoi de la cour supérieure de justice de Bruxelles, et surtout le réquisitoire de M. le procureur du Roi, on ne peut s'empêcher d'y remarquer des inconséquences et même des contradictions plus qu'étonnantes dans un magistrat aussi éclairé ; l'imagination frappée d'un prévenu, trop facile peut-être à céder aux premières impressions, pourrait se laisser entraîner à des conjectures fâcheuses; je me bornerai à réfuter cette pièce ainsi que le jugement de Louvain; mais auparavant, je pense qu'il n'est pas hors de propos de dire quelques mots de la marche extraordinaire qu'on a donnée à cette procédure.

En supposant que j'eusse été justiciable du tribunal correc

tionnel, c'était sans contredit le tribunal de Bruxelles, où le prétendu délit avait été commis, qui devait en connaître; car ce n'est qu'en forçant et détournant le sens de l'article 230 du Code d'instruction criminelle, que j'ai été envoyée devant le tribunal de Louvain. Je cite le texte de cet article : « Si la cour estime que le prévenu doit être renvoyé à un tribunal de simple police, ou à un tribunal de police correctionnelle, elle prononcera le renvoi, indiquera le tribunal qui doit en connaître. »> Je remarque ici que la loi ne dit pas qui devra en connaître, ni auquel elle en attribuera la connaissance; les mots qui doivent en connaître indiquent un présent, et signifient clairement que le tribunal compétent existait avant l'arrêt de renvoi. D'ailleurs en rapprochant cet article 230 des articles 427 et 542 du même Code, on verra que le renvoi d'un tribunal à un autre n'appartient qu'à la cour de cassation. Si j'étaie ensuite mon raisonnement de l'article 167 de la loi fondamentale, ainsi conçu : « Personne ne peut être distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne » ; et si l'on considère que ce juge était le tribunal correctionnel de Bruxelles où le prétendu délit a été commis, où l'instruction de la procédure a eu lieu, on reconnaîtra que la chambre des mises en accusasion de Bruxelles a excédé ses pouvoirs, et qu'il existait des motifs occultes pour me faire passer à Louvain, où je devais être jugée comme on l'a vu, et pour me distraire contre mon gré du juge que la loi m'assignait. J'aurais pu, il est vrai, me pourvoir en cassation contre l'arrêt dont il s'agit; cela n'eût sans doute pas convenu à certaines peret ce qui le prouve, c'est que j'ai été enlevée de Bruxelles pour être transférée à Louvain, avant que l'arrêt de la chambre des mises en accusation m'eût été signifié; on voulait probablement m'éloigner de mes conseils pendant le délai accordé pour se pourvoir en cassation à cause d'imcompétence; car une fois transférée à Louvain, j'arrivais dans une prison et dans une ville inconnue ; je ne pouvais plus communiquer avec mes avocats de Bruxelles; je devais en appeler d'autres sur les lieux; ceux-ci, ignorant les antécédans de ma procédure, ne m'avaient point

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d'abord fait les questions qui eussent pu les éclairer sur mes droits, et je ne pouvais leur remettre l'arrêt de la cour, qui ne m'avait point été signifié.

Il me paraît cependant, et toutes les personnes justes et sensées seront de mon avis, que j'aurais dû recevoir la signification de cet arrêt à Bruxelles, puisqu'il pouvait y être attaqué devant la cour de cassation; et qu'avant de me transférer à Louvain par une mesure subite et inopinée, il eût été de toute justice de me laisser à Bruxelles, après la signification de cet arrêt, le temps que la loi m'accordait pour recourir en cassation. La manière dont on a agi envers moi dans cette circonstance est, sans contredit, non seulement un oubli des égards que l'on doit à tout individu, et surtout à un prévenu à qui il est arbitraire et despotique d'enlever ses moyens de défense, mais encore une violation formelle de la loi.

On a été plus loin : l'arrêt de la cour de Bruxelles qui me renvoyait au tribunal de Louvain ne m'a été signifié qu'en même temps que l'assignation de comparaître au tribunal de police correctionnelle; on supposait sans doute que cet arrêt n'était pas attaquable. Il l'était cependant, car l'article 542 du Code d'instruction criminelle n'attribue qu'à la cour de cassation, et non à la chambre des mises en accusation, le renvoi d'une affaire de police correctionnelle d'un tribunal à un autre.

En suivant la marche qu'on a prise mon à égard, on ne me laissait pas les délais nécessaires pour mon pourvoi; puisque la citation ne m'avait été remise que le 30 mai, à quatre heures de relevée, et que je devais comparaître le 7 juin suivant, à neuf heures du matin, devant le tribunal de police correctionnelle. Il demeure donc évident qu'on voulait arracher d'emblée ma condamnation, sans me laisser la possibilité d'user de mes droits. On sait que ces manœuvres ont réussi au gré de mes accusateurs.

Il était essentiel que j'entrasse dans quelques détails sur cette persécution préliminaire, désavouée par la justice et par la loi, pour faire ressortir davantage l'inconséquence et le peu de fondement des prétextes de ma condamnation.

Je passe maintenant à l'examen du jugement de Louvain, qui me condamne à une année d'emprisonnement. J'aurais pu, avant de combattre les considérans de ce jugement, réfuter les allégations du rapport de M. le substitut du procureur général, fait à la chambre des mises en accusation; montrer à mes lecteurs cette pièce comme un monument du onzième siècle, y faire reconnaître des traces évidentes de l'ignorance et de la superstition de ces temps de ténèbres et de déplorable mémoire, et y signaler les erreurs d'un magistrat qui va exhumer du fatras poudreux d'une législation abrogée, et des archives des égaremens et des sottises de l'esprit humain, pour les faire servir à ma condamnation, des lois auxquelles la saine raison, les lumières et les connaissances positives ont imprimé le sceau de la démence et du ridicule. J'aurais demandé, sans inconvenance, si un substitut du 19° siècle avait conçu l'idée de faire reculer l'intelligence humaine de notre âge jusqu'aux époques malheureuses de Jeanne-d'Arc, d'Urbain Grandier, et de tant d'autres victimes d'une ignorance barbare.

En indiquant ces taches qui déparent en beaucoup d'endroits le rapport de la partie publique, en montrant au doigt ces erreurs inconcevables, je ne serais point sortie des limites d'une défense légitime: car les paralogismes de ce rapport ont eu un tel ascendant sur les juges du tribunal de Louvain, qu'il les a adoptés presque tous pour ma condamnation. Mais je crains qu'en discutant les choses, l'esprit public ne se reporte trop loin, et qu'on ne me prête l'intention de personnalités qui sont bien loin de ma pensée.

C'est donc à la réfutation du jugement du tribunal de Louvain que je dois seulement m'attacher; je ne puis m'abstenir de démontrer combien il repose sur des bases erronées.

Le premier considérant de ce jugement mémorable m'accuse de m'être vantée, dans des écrits publics, d'être en correspondance avec l'esprit Ariel, de posséder les flèches d'Abaris, une loupe magique et un talisman précieux. Il faut remarquer d'abord que l'ou

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