Page images
PDF
EPUB

dant, j'essayai de le calmer. Soudain mon génie m'élève au-dessus de tous les périls qui m'environnent; je pé nètre tous les secrets motifs et le plan de mon accusation. Il fallait du moins un prétexte pour accomplir des projets criminels.

D. Voici un ouvrage que vous avez dédié à LL. AA. RR. et II. le prince et la princesse d'Orange; n'y trouvez-vous rien de répréhensible *.

R. Dans ce recueil singulier et précieux j'ai chanté la bienfaisance, j'ai célébré les vertus de mes honorables protecteurs **. Avec de semblables modèles je ne pouvais errer. La reconnaissance d'ailleurs a crayonné mes esquisses, la vérité a tenu la palette, et du moins mon tableau a le mérite d'une parfaite ressemblance. Les teintes en sont agréables; le vernis n'ajoute rien à sa beauté, à sa perfection; ma main docile n'a fait qu'obéir à mon cœur; la flatterie n'a point embelli

[ocr errors]

Page 179 à 239. La Sibylle au congrès d'Aix-la-Chapelle et de Carlsbad.

** Bruxelles, nouvelle Lutèce ! et vous, bons habitans! je vous porte dans mon cœur ; je vous reverrai avec le sentiment d'une joie inexprimable. Vous méritez, ô Bruxellois! de jouir de ces beaux jours du temps du bon prince Charles de Lorraine (1). Votre roi, son auguste épouse, le prince et la princesse d'Orange vous assurent à jamais la durée. Ce n'est plus heureusement l'époque de dire avec Ovide :

[ocr errors]

Seps bona sollicito victa timore cadit.

en

L'inquiétude et la crainte détruisent le charme des plus belles espérances. »

(1) Page 293. La Sybille au congrès d'Aix-la-Chapelle et de Carlsbad.

[ocr errors]

mon œuvre, et le plus noble désintéressement a guidé mes pas pour la présenter moi-même. Quant aux prédictions que j'ai cru devoir y rappeler, ce sont d'agréables fleurs que j'ai semées sur une terre inculte et aride. Ce qui m'est personnel dans cet ouvrage ne peut intéresser que mes amis; comme auteur, j'ai paré de quelques grâces mon style. C'est au public à public à prononcer si j'ai réussi. Si je me suis permis quelques emblèmes * c'est une ombre légère pour nuancer l'éclat des autres couleurs. Le grand jour blesse toujours des yeux délicats; l'obscurité leur convient davantage. La lumière politique ne devrait point briller pour les aveugles de circonstances; ces gens-là marchent toujours dans la voie des ténèbres et s'avancent à tâtons dans la route des affaires. Malheur aux écrivains qui leur déplaisent! ceux-là sont bien près d'être persécutés par les oppresseurs **. Quant à moi, monsieur, ajoutai-je,

Je n'avais mérité

Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité,

* Le génie oriental diffère tellement du nôtre, que ce n'est qu'avec une extrême réserve que l'on doit user de ces richesses étrangères. Ce sont des ornemens développés dans un vaste tableau. Cependant mon audace a réussi.

** Fontenelle fut persécuté par Letellier, confesseur de Louis XIV, à cause de son Histoire des Oracles. Il ne dut son salut qu'à M. d'Argenson, lieutenant de police, qui n'aimait pas les jésuites, qui le persécutaient.

Barbeyrac fut persécuté à cause de la belle préface dont il orna sa traduction de Puffendorff. Descartes avait été obligé de s'expatrier. Il est vrai que Mademoiselle Hubert, Messier, Boulainvil

D. Vous possédez, dit-on, la flèche d'Abaris? A vous entendre, elle a la puissance d'enlever M. le premier visiteur des douanes d'Hertain et ses estimables collègues ; vous possédez de même une loupe magique qui aurait le singulier pouvoir de lire au fond des cœurs? Répondez clairement sur ces deux importantes questions, et surtout ayez soin d'écarter toutes pensées ou mystiques ou supertitieuses.

R. Les flèches d'Abaris * sont les traits inévitables de la vérité et de la raison, sa sœur, qui sont les armes les plus redoutables qu'on puisse diriger contre le crime.

La loupe magique ** est le miroir de la vérité et le verre omphaloptre, avec lequel celui qui la recherche avec ardeur peut lire, dans l'âme des hommes, les passions, les intérêts et les germes des vices les plus inperceptibles et les plus cachés.

D. Quel est ce talisman *** précieux avec lequel vous pouvez vous élever au-dessus de la voie éthérée ? Veuillez, je vous prie, m'en apprendre les singulières attributions?

R. C'est ce caractère ferme et inébranlable dont m'a

liers-Dumarsai, Lamétrie, Boulanger, Fréret, Mirabeau, Montesquieu, Helvétius, Rousseau, Voltaire, etc., etc., en furent, la plupart, quittes pour voir brûler leurs œuvres par la main du bourreau, moyen le plus sûr de donner de la réputation à un ouvrage et d'en multiplier les éditions.

* Page 73. La Sybille au congrès d'Aix-la-Chapelle.

[ocr errors][merged small]

douée la nature, et que l'étude de la vraie philosophie a fortifiée contre les revers de la fortune et les injustices des hommes. Munie de ce talisman, je peux parcourir une sphère plus étendue que le vulgaire ; me croire aussi invulnérable à l'aide de ce talisman que le fils de Thétis l'était devenu après avoir été plongé dans les ondes du Styx.

D. Que signifie ce jeu de tharot* que vous avez en votre possession, où il doit se trouver des hieroglyphes? Que conclure, en effet, du mélange de la coupe de ces cartes inconnues au vulgaire et de vos opérations chiromantiques?

R. Pourquoi, monsieur, se borner à une accusation vague? ne pas poser en fait que ces cartes peuvent servir à une opération mathématique ou relative à toute autre science? Votre devoir, comme magistrat, était de vous en informer et d'en acquérir même la certitude avant de disposer de l'honneur et de la liberté d'un auteur dont la réputation littéraire n'est point contestée. Quant à la chiromancie, tout en supposant que je me fusse livrée à cet art, pouvez-vous savoir sur quels principes cette science est fondée ? si vous ne le savez point, pourquoi osez-vous, avec les armes du préjugé et de la prévention, venir condamner ces règles et ces principes, lorsque moi-même je ne vous les ai pas exposés? Dailleurs tout est calcul dans la nature; vous me permettrez bien de découvrir des phé

* Page 193. Ibidem.

nomènes où d'autres ne découvrent que des choses ordinaires.

D. Vous êtes accusée de prévoir l'avenir6; il n'est point permis aux hommes de s'immiscer, en quelque sorte, dans les secrets de la Divinité; il serait absurde de l'imaginer.

R. Le don de prescience appartient au domaine de la révélation; l'Éternel peut à son gré répandre sur moi des grâces pour instruire à la fois et consoler les malheureux humains.

D. Pourquoi exigez-vous, des personnes que vous admettez auprès de vous, le dépôt de l'offrande qu'elles viennent vous consacrer? de même, vous les faites revenir quelquefois avant d'avoir pu obtenir de vous la faveur singulière de couper de la main gauche le mytérieux jeu de Tharot.

R. Sur la première question, je commence à vous répondre: 1o Le plus pur désintéressement a fait dans tous les temps la base de mon caractère, aussi noble qu'il est généreux. 2o J'aime naturellement à donner aux personnes qui m'honorent de leur confiance le temps de s'examiner elles-mêmes. 3o C'est un secret que je me garderai bien de révéler aux curieux: les mystères ne doivent point être connus des profanes; le grand architecte a le droit d'initiation; le vénérable, d'exécution; au frère intime, la discrétion; à l'aspirant, la soumission; pouvez-vous me comprendre, monsieur, vous êtes compagnon: dans le cas où ce langage vous paraîtrait extraordinaire, vous ne serez

« PreviousContinue »